de l’inclinaison des plans isothermes dans les eaux profondes du Léman.
(L) Mais quelques critiques m’ont été faites à ce sujet par des
hommes de grande autorité, qui ont refusé d’admettre que des solides
en suspension dans l’eau pussent augmenter la densité du liquide.
Vous avez affaire, m’ont-ils dit, à de l’eau, ayant et gardant sa densité
d’eau, qu’elle soit ou non traversée par des solides qui tombent dans
cette eau.
J’ai donc dû reprendre la question ab ovo et chercher si l’alluvion
en suspension dans un liquide augmente, oui ou non, la densité de ce
liquide. J’ai traité le problème par voie d’expérience (mai 1887).
E xp. I. Dans un vase plein d’eau, j’ai laissé reposer au fond une
masse d’argile lacustre moderne, alluvion du plafond du lac Léman
J ’ai placé dans l’eâu un aréomètre et j ’ai laissé s’établir l’équilibre
thermique. L’aréomètre est au zéro dans l’eau limpide; lorsque j ’agite
le limon pour le mettre en suspension dans l’eau, je vois l’aréomètre
se soulever notablement, en indiquant que l’eau trouble est plus dense
que l’eau limpide.
E xp. II. Soüs une balance hydrostatique, j’ai suspendu par un fil
une sphère de verre, alourdie par du plomb jusqu’à ce qu’elle dépassât
de très peu la densité de l’eau. Je l’ai pesée successivement dans
l’eau limpide et dans la même eau troublée par l’alluvion en suspension;
j ’ai constaté que, dans cette dernière, le solide pesait moins, que
par conséquent la densité de l’eau était augmentée.
Ces deux expériences montrent un excès de densité dans l’eau chargée
d alluvion. Quelle est la valeur de cet excès? L’alluvion suspendue
dans l’eau augmente-t-elle la densité de cette' eau de tout son poids
(pesé dans l’eau) ou seulement d’une, fraction dp ce poids? L’expérience
suivante répond à cette question.
Exp. III. Je place un bassin plein d’eau chargée d’alluvion sur une
balance sensible, et je l’équilibre exactement par des poids. Puis, alternativement,
je laisse déposer l’alluvion' au fond du vase, ou. je la mets
en suspension dans l’eau en l’agitant avec une baguette. Je ne constate
pas de différence appréciable dans le poids du bassin.
Le volume de l’eau n’a pas changé; que l’alluvion fût déposée au
fond du vase, ou qu’elle fût en suspension dans l’eau, son poids n ’a
pas non plus changé. Donc la densité de l’eau trouble est égale à la
m Comptes-rendus. Acad. sc. Paris, Cil, 7.12. 1886.
moyenne proportionnelle des deux densités de l’eau et de l’alluvion.
Donc, pour obtenir la densité de l’eau trouble, je n’ai qu’à additionner
le poids de l’alluvion par unité de volume d’eau et à soustraire le
poids de l’eau déplacée par l’alluvion.
Mais comment concilier cela avec l’expérience classique de Leib-
nitz? Dans un vase d’eau, posé sur une balance, on place un flotteur et
on suspend, sous celui-ci une balle de plomb ; on équilibre avec des
poids, puis on coupe le fil et on laisse tomber la balle à travers l’eau.
Pendant tout lé temps de la chute, la balance s ’incline et montre que
le poids du vase, eau et plomb, s’est allégé; l’équilibre ne se rétablit
qu’au moment où la balle repose sur le fond du vase.Q) '
Les résultats de cette expérience sont très différents de ceux que
j ’ai obtenus avec de l’alluvion impalpable. Dans l’expérience de Leib-
nitz, il y a diminution du poids du vase quand le solide traverse l’eau
pendant la chute; dans mon expérience 131, il y a égalité de poids. D’où
vient cette différence?
Les seules conditions qui soient dissemblables résident dans les
caractères du mouvement. Dans le cas de la balle de plomb, il y a
chute accélérée dans l’eau; le solide part de la vitesse initiale nulle,
pour atteindre le fond du vase avant que les frottements de l’eau aient
transformé le mouvement accéléré en un mouvement uniforme. Dans
le cas de l’alluvion suspendue dans l’eau, vu la très petite masse des
particules de l’alluvion’ impalpable, le mouvement devient très vite,
presque immédiatement, un mouvement uniforme; il n’y a plus trace
d’accélération.
Ne pourrait-on pas modifier l’expérience de Leibnitz de telle manière
que le gros'solide que l’on fait tomber dans l’eau acquière l’uniformité
de chute avant qu’il ait atteint le fond du vase? J’y suis arrivé
comme suit :
E xp . IV. Je place sur une balance une longue éprouvette pleine
d’eau. Je dépose sur le môme plateau de la balance un bloc de cire
que j ’ai alourdie avec du plomb jusqu’à lui donner une densité légèrement
supérieure à celle de l’eau; le poids de ce bloc placé dans l’eau
est facilement appréciable à la sensibilité de ma balance. J’équilibre
exactement avec des poids. Puis je jette dans l’eau le bloc de cire, qui
descend lentement, vu sa faible densité, et qui, au lieu du mouvement
(*) Voir la jolie, variante de cette expérience,, par M. L. Dufonr. Bull. S. V. S. N.
XI, 322. Lausanne 1872.