les analogues se plaisent dans les eaux courantes, aux bizarres érosions
des galets calcaires dont je vais parlër, enfin à l’abondance du poisson
qui se rassemble en ce point ; on dit que les poissons recherchent
avec passion les localités où l’eau froide d’une source entre dans le lac.
Mais l’étude plus attentive de la région m’a fait écarter cette supposition.
En effet, les omblières d’Y voire ne présentent aucune dépression
du sol ; la carte hydrographique ne montre ni entonnoir, ni creux,
ni déviation quelconque des courbes isobathes. Il n ’y a rien d’analogue
à ce que nous trouvons dans le seul exemple jusqu’à présent bien
authentique, à ma connaissance, d’un affluent sous-lacustre, lé célèbre
Boubioz du lac d’Annecy, Les recherches fructueuses de M. A. Delebecque
en 1890 et 1891 ont montré en effet que le Boubioz est un
affluent sous-lacustre ; il l’a prouvé en constatant le 25 février 1891 par
un sondage thermométrique une température de l’eau de 11.8° dans le
fond de l’entonnoir, tandis que le lac d’Annecy était gelé et avait par
conséquent les eaux à 4° au plus dans le fond, et 0° à la surface du
lac. Ç) D’uffe autre part la carte hydrographique du lac (a) fait voir que
le Boubioz est un vaste entonnoir de plus de 50m de profondeur, creusé
dans le talus du lac en un point où ce talus est déjà sous 30m d’eau.
La sonde est descendue dans le Boubioz à 81m soit à l 6 m plus bas que le
plafond du lac d’Annecy. (3) Donc un affluent sous-lacustre, venant
sourdre sur les talus dû lac," empêche le dépôt de l’alluvion, et les
griffons de la source restent au fond' d’un .entonnoir dont les dimensions
peuvent être considérables. (4) Nous n’avons rien de semblable à
Yvoire ; donc les omblières d’Yvoire ne sont pas le point d’émergence
d ’une source.
Nous arrivons à la même conclusion p a r les sondages thermométriques
que nous avons effectués sur place, soit M. Delebecque soit
moi-même ; nous n’avons pas trouvé de différence de température entre
l’eau qui gît sur la moraine sous-lacustre et les eaux avoisinantes, à
même profondeur. Il est vrai que cet argument est peu démonstratif,
- (fi A. Delebecque et L. Legay. Sur la découverte d’une source au fond du lac d Annecy.
G. E. Acad. sc. Paris, 20 avril 1891.
(2) Carte hydrographique du lac d’Annecy par Delebecque et Legay, ingénieurs des
Ponts et chaussées.
(3) Arch. Genève, XXIV, 404,1890.
(4) Avec une sonde très.sensible, j’ai reconnu le 29 septembre 1890 qu’au fond de
l’entonnoir du Boubioz il y a une cheminée rocheuse à parois presque verticales.
car sa signification est négative, et il serait réfuté par un fait positif
qui viendrait à être constaté.
Un troisième argument auquel j ’attachais une grande valeur est
l’absence de brouillards locaux apparaissant en temps froid sur les omblières
d’Yvoire ; jamais les riverains n’en ont observé. J’admettais que
l’eau d’une source, probablement plus chaude que le lac en hiver,
s’élèverait jusqu’à la surface, s’y étalerait en nappe tiède et causerait
le développement dé brouillards. Ce mode de preuve a perdu beaucoup
de sa signification depuis que la nature d’affluent du Boubioz a été
démontrée, car dans ce point, non plus, les pêcheurs n’ont jamais noté
d ’apparition extraordinaire de brume. D’après cette expérience il semblerait
qu’une source chaude qui sourd dans le lac à 80m de profondeur
n’arrive pas à la surface avec une chaleur suffisante pour provoquer
la formation d’un brouillard. (!)
Quoi qu’il en soit, jusqu’à nouveaux faits, j ’écarte pour l’interprétation
de la moraine sous-lacustre d’Yvoire l’hypothèse d’une source
affluente, et je dois chercher une autre explication de la faible épaisseur
ou de l’épaisseur nulle du dépôt de l’alluvion lacustre dans cette
localité.
J’attribue cette faible épaisseur des couches d’alluvion en ce point
à l’action des courants. S’il est une région du Léman où les courants
doivent être puissants, c’est dans ce détroit de Promenthoux qui rétrécit
subitement la section transversale du lac, aussi bien dans sa largeur
que dans sa profondeur, courants divers dus au transport de l’eau
dans la direction de l’émissaire, dus aux dénivellations continues, aux
seiches, aux vents, etc. Ces courants que nous étudierons dans un
autre chapitre ont certainement dans cette localité un maximum d’intensité.
Une course dans une haute vallée du Jura m’a appris comment les
choses se passent au fond du lac. A la fin de janvier 1886, la vallée du
Locle était enneigée depuis le mois d’octobre. Les chutes successives
d e neige avaient recouvert le sol d’une couche que l’on estimait à
50 on 60cm en moyenne. Et cependant toutes les arêtes, les crêtes, les
pointes du terrain étaient à nu, et le sol ou le gazon y apparaissaient
A découvert. C’était l’effet du vent qui avait balayé la neige poussié-
Pj Pendant la congélation du lac d’Annecy en février 1891, M. Delebecque a
constaté que sur le Boubioz la glace avait la même épaisseur que sur le reste du
lac. C’est une confirmation du fait allégué.