c ’est à une action directe de ces fleuves qu’il faut attribuer le creusement
de ces rigoles.
C’est donc aux actions d’érosion ou d’alluvion d’un courant profond
que nous devons avoir recours pour expliquer l’établissement des
ravins, sous-lacustres. Mais une telle action implique que le fleuve
descendrait dans les couches profondes du lac et ne s’étalerait pas à
la surface, ou bien entre deux eaux. La chose est-elle possible ?
Nous avons v u f1) que la densité de l’eau du Rhône est le plus souvent
supérieure à celle du maximum de densité de l’eau distillée. Sur
15 échantillons que nous avons étudiés en 1886,14 avaient une densité
supérieure à 1 .0, si nous faisions intervenir à la fois la température
de l’eau du fleuve et sa charge en alluvion dissoute et suspendue. Si
donc la densité de l’eau du lac n’était pas supérieure à celle de l’eau
distillée à 4°, nous serions assurés d’avoir pendant la plus grande partie
de l’année l’eau du Rhône plus lourde que celle du lac, môme si
celle-ci était à la température de 4°.
Mais l’eau du lac n’est pas de l’eau distillée. Sa densité est de
0.000101 plus lourde que celle de l’eau pure, ainsi que nous le verrons
plus loin. Nous apprendrons d’autre part que les couches profondes
ont une température de 5° environ.
A 5°, l’eau distillée a une densité de 0.999 995
Ajoutons-y une surcharge de 0.000101
Nous aurons pour l’eau du lac, dans les grandes profondeurs,
une densité de 1.000 096
Si nous comparons cette densité à. celle des eaux du Rhône, nous
verrons qu’elle est plus faible-que celle de 12 des échantillons étudiés
par nous; que les N° I du 11 janvier 1886, N° XII du 21 août etN° XIII
du 29 septembre, ont seuls une densité plus légère. L’eau du lac est
moins dense que l’eau du Rhône pendant la plus grande partie de
l’année. Celle-ci, plus lourde, doit s’écouler le long des talus du cône
d’alluvion sous-lacustre; elle doit Chercher la ligne de plus grande
pente jusque dans les grands fonds du lac et, là seulement, s’étaler en
nappe horizontale. Pendant cette descente, elle doit former un courant
posés par l’affluent immédiatement à son entrée dans le lac ne permettant pas l’établissement
de la structure assez compliquée du ravin sous-lacustre. Je n’ai pas eu
l ’occasion d’aller étudier l’alluvion de la Reuss; aussi ne puis-je qu’indiquer ici ce
point d’interrogation.
(*) V. page 873.
limité, comme le ferait un fleuve de mercure ou d’acide sulfurique qui
descendrait dans le lac.
Cétte descente du courant du Rhône dans la profondeur du lac, on
la voit à son début. C’est ce que l’on appelle la b a t a i l l i è r e . A l’entrée
du fleuve dans le lac, en été, lorsque ses eaux grises et opaques arrivent
à raison de 300, 400 ou 500 m ètres cubes par seconde, cet énorme
courant d’eaux froides et lourdes s ’avance en masse dans le domaine
du lac et, su r un espace de quelque 100 à 200 mètres, s’écoule horizontalement.
Puis, tout à coup, le fleuve descend dans la profondeur
et ses flots boueux disparaissent sous les eaux du lac. Cette cascade
sous-lacustre se continue dans lesxouches profondes. C’est à elle qu’est
dû le ravin que nous avons à expliquer. Comment ce courant limité
d’eaux lourdes, qui descend le long du talus immergé du cône d’alluvion,
peut-il tracer un ravin ?
Est-ce un phénomène d’érosion? Ce courant creuse-t-il la vase
molle du cône d’alluvion, et s’y fraie-t-il un chenal? Cela n ’est guère
probable,; Son pouvoir d’affouillement doit être faible, et, dans le lac
Léman du moins, le fond de la rigole est à peu près au niveau général
du cône sous-lacustre.
Je crois plutôt à un fait d’alluvion. Le courant limité par des masses
d’eau dormante doit, en frottant sur ces parois liquides, y déterminer
des remous, tourbillons verticaux dans lesquels l’impulsion de l’eau
fluviale s’annule èt s’arrête; l’eau courante, en se mélangeant avec
l'eau en repos, laisse tomber son limon en suspension ; il se fait un
dépôt d’alluvion sur les deux côtés du courant, et celui-ci bâtit ainsi
ses berges qui se surélèvent constamment. Ces digues doivent limiter
toujours mieux le courant sous-lacustre et le contenir dans un ravin
toujours mieux différencié.
L’existence de ces remous latéraux est prouvée par un détail des
sondages de M. Hôrnlimann. Un échantillon du sol, que cet ingénieur a
capturé sur un petit monticule de la berge de droite du ravin sous-lacustre,'
est constitué par du sable lavé presque pur, presque sans
mélange de vase. Tandis que tous les autres échantillons de sa collection
sont formés par la marne argileuse de l’alluvion moderne du lac,
dans ce point-là, le sable pur montré l’action de courants énergiques,
qui ont entraîné plus loin l’alluvion impalpable, et, dans leurs
mouvements tourbillonnants, n’ont laissé reposer que les matériaux
grossiers.