grossière, qui n’est certes pas nul. Il ne tient pas compte de la pente
des différents affluents qui est un facteur important de leur faculté de
transport, ni de leur situation dans une région plus ou moins riche en
pluies. Nous avons donc bien des réserves à faire sur la précision que
nous pouvons lui attribuer. Peut-être l’erreur commise est-elle du
simple au double. Exprimons par E cette erreur. Pouvons-nous dire
dans 32 000 ans ± E le lac Léman n’existera plus et le Rhône du Valais
se suivra sans interruption lacustre avec le Rhône de Genève?
Aucunement.
Du Rouveret à Genève, la pente est nulle actuellement. Quand le
Léman sera comblé et transformé en une plaine du Rhône, la pente
du fleuve devra être ménagée. De même que dans la vallée du Valais
le Rhône a une pente moyenne de 2 °%0, de même la plaine du Léman,
quand elle sera parcourue par un fleuve, devra avoir, elle aussi,' une
pente analogue. Or 2 °°/00, sur les 72km de longueur du lac, représente
444m. y faudra donc que le fleuve, non seulement comble le lac jusqu’à
la nappe actuelle des eaux, mais qu’il comble en partie la vallée
de telle manière, que la plaine du Rhône passe au Bouveret à 444m,
disons 150™, au-dessus du niveau actuel. Le plafond régulièrement
incliné de la vallée du Rhône de l’avenir passera à 150™ au-dessus de
Villeneuve, à 130™ au-dessus de Vevey ; à Lausanne, il affleurera le
talus de la terrasse de Montbenon; il passera à 50™ au-dessus du lac
à Nyon, et viendra se continuer avec la pente actuelle du Rhône à
Genève seulement. Nous pouvons évaluer à 43 mille millions ™3, (superficie
du Léman, multipliée par 150“ ,-divisée par 2,) le volume d’allu-
vion nécessaire pour parfaire cette pente indispensable à l’écoulement
du fleuve. Cette même pente se continuera en remontant dans le
Valais, et la plaine du Rhône se relèvera par un comblement d’allu-
vion de 150™. Si nous évaluons à 280k™2 la superficie du plafond de
la vallée du Rhône de l’embouchure de la Massa au Léman, nous
avons encore un volume de 42 mille millions ™3 à faire combler par
l’alluvion des torrents alpins, avant que le Rhône puisse amener ses
bouches jusqu’à Genève. Gela double à peu près le volume à remplir;
cela double par conséquent le temps nécessaire au comblement. Dans
64 000 ans + E ' nous n’aurons plus de lac.
Je préfère traduire autrement ce résultat et dire : d a n s q u e lq u e s
d iz a in e s d e m i l l i e r s d ’a n n é e s , le L ém a n a u r a v é c u . Etant
donnée l’incertitude qui pèse sur ces chiffres, et qui peut, je l’ai déjà
dit, les faire varier du simple au double, on se demandera peut-être si
ce n’est pas un simple enfantillage que d’essayer de tels calculs. Je ne
le crois pas. Ils répondent à des questions toujours posées, et non encore
résolues, sur la durée des âges géologiques. Est-ce par siècles ?
Est-ce par millions d’années que nous devons mesurer les époques de
la terre? Disposons-nous d’un temps presque illimité pour les révolutions
du globe? ou, au contraire, est-ce que nous devrions raccourcir
considérablement les espaces de temps que géologues e t paléontologues
réclament pour le développement de leur histoire? Tant que-
nous n’avons pas de réponses précises, nous devons nous contenter
d’analogies. Eh bien ! il me paraît que c’est trouver une analogie intéressante,
si nous pouvons dire : dans quelques dizaines de milliers
d’années, ou, si l’on veut, dans quelques fois la durée du temps qui
nous sépare des premières dynasties d’Egypte, le Léman sera comblé,
et à sa place le Rhône se continuera en pente douce des Alpes
au Jura. Une plaine d’alluvion étendra son tapis à 80“ au-dessus de
la table où j ’écris, à Morges. Si, à cette époque* il y a encore des hommes,
et s’ils pratiquent des sondages artésiens sur l’axe du lac, ils tra verseront
une couche de 400™ d’alluvion, fluviatile d’abord, fluvio-lacustre
et lacustre au-dessous, avant de rencontrer les scories de coke
jetées dans l’alluvion actuelle par les fournaises de nos bateaux à
vapeur. Une couche allant jusqu’à 400“ d’épaisseur, étendue sur des
centaines, presque un millier de kilomètres carrés, n’est-ce pas quelque
chose, même en géologie? Quelques dizaines de milliers d’années
suffiraient à notre petit Rhône alpin pour l’établir.
E a u x et alluvions de l’Arve. — L’Arve n’est pas un affluent du
Léman; cette rivière n’appartient donc pas à notre sujet. Mais elle
nous est si près voisine, que je crois devoir utiliser un remarquable
travail, fait sous la direction de M. le professeur L. Duparc, de l’université
de Genève, par M. le Dr Boné Baëff; (') il donnera une idée des
variations d’un grand fleuve glaciaire de notre région. C’est la seule
étude complète que-nous possédions sur ce sujet; son résumé intéressera
nos lecteurs. Pendant une année entière (à l’exception du
mois d’octobre où les travaux du laboratoire ont été interrompus par
(!) Dr B. Baëff. Les eaux de l’Arve. Recherches sur l’érosion et le transport des
rivières torrentielles glaciaires. Genève 1891.