comble de malheur, je ne trouvai que des bceufs pour me traîner
à la première station ; et à la seconde, outre des bêtes à
corues, il me fallut prendre des Valaques pour conducteurs.
Ce fut la première, et heureusement la seule fois que j’eus à
me plaindre des paysans Hongrais : ceux-ci étaient de mauvais
drôles dont l’accoutrement et la figure sauvages m’avaient, dès
en partant de la station, annoncé le caractère; ils commencèrent
par être négligens, de mauvaise humeur, et finirent par
devenir insolens. Je fus obligé de me fâcher serieusement, jusqu’à
me mettre en devoir de leur administrer des coups de
canne, et de leur promettre une autre bastonnade à la station
prochaine. Mou air décidé et mon sang-froid leur en imposa, et
quoiqu’èn pleine nuit au milieu des marais, je parvins à Nagy
Kalia* oh les deux drôles, craignant que je n’effect'uasse ma
promesse, me demandèrent pardon.
Je n’arrivai pourtant dans cet endroit que pour y mourir de
faim; toutes lès provisions de l’auberge avaient été probablement
mangées dans le jour, et ilfallut me coucher avec un petit pain et
un verre de mauvais vin. Nagy Kallo était marqué sur ma carte
comme un lieu de poste ; mais depuis six ans on n’avait pas demandé
de chevaux au maître de poste ; je fus obligé de recourir
encore aux Vorspan. Le juge me fit attendre fort long-temps,,
parce qu’il ne pouvait encore trouver que des boeufs , et qu’il
n’osait pas me proposer de prendre des chevaux extraordinaires,
c’est-à-dire, de payer la station double. Je l’assurai que j’étais
disposé à tout, et même à lui donner pour boire, pourvu
qu’il en finit, et ne m’obligeât pas encore à me servir de bêtes
à cornes et surtout de Valaques. Ma générosité ne fut pas perdue
; on m’amena quatre bons chevaux et un conducteur honnête,
avec lequel je fis très-rapidement la station jusqu’à Teglas.
Le chemin était meilleur que celui que j’avais jusqu ici parcouru,
parce qu’on commence à entrer dans une partie sèche
de la plaine. '
Je ne m’arrêtai qu’un instant à Teglas où j’avais une lettre
pour M. De Bek, qui, pour le moment, était absent. Madame
De Bek me reçut fort bien, et m’engagea a rester au moins a
dîner, m’assurant que j’avais tout le temps d arriver à Debret-
zin. Je trouvai près d’elle deux petites Françaises, ou plutôt
deux petites Belges, ses parentes, que j’eus grand plaisir à voir,
tant est fort l’amour de la patrie, qu’on se rattache en quelque
sorte à tout ce qui peut s’en rapprocher. On me fit voir avant
le dîner les jardins que M. De Bek fait arranger ; je n y trouvai
qu’un grand défaut, celui d’etre dans une plaine paifaitement
unie : mon premier soin, dans un pareil terrain, eut ete d y
faire une montagne, d’où la vue pût au moins s etendre à quelque
distance ; c’est à peu près la seule chose qui manque à ces
jardins, qui, du reste, sont fort agréables, fort bien disposés,
et qui renferment beaucoup d’arbres fruitiers, chose généralement
très-rare dans les plaines de la Hongrie. Après le dmer,
je pris congé de mes aimables hôtesses, et, malgré leurs instances,
je partis pour Debretzin, où j’arrivai à la nuit tombante.
Tout le chemin se fait dans une plaine sans culture, qui commence
à devenir tres-aride. ••
Quoique je fusse entré de nuit dans Debretzin, j’avais déjà
aperçu que la ville ne devait avoir rien de bien attrayant; mais
le retour du jour ne m’en fit juger encore que plus défavorablement.
La plupart des maisons n’ont que le rez-de-chaussée,
et ce n’est que çà et la qu’on en voit quelques-unes de un ou
deux étages, qui partout ailleurs seraient à peine regardées. Les
rues ne sont point pavées, et il parait que’dans 1 hiver elles pre-
Vilie
de Debretzin»'