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empêché que l’empire ne tombât Sans les mains
de là foldatefqtte. , ,
. Montefquieu & Voltaire ont obferve nui «
l ’autre que l’empire Romain, après,fes premiers
empereurs , fut gouverné comme Alger, par mie
milice qui nommoit. & qui dépofoit les chefs. Cette
.remarque-eft jufte. rajouterai que l’armée alors le
trouva dans un ordre inverfe à celui qu’elle doit
avoir dans la conftitution du corps.politique.
Dans l’ordre'naturel, les foldats font les lujcts
du fouverain, & ils eu font les fujets les plus honorables
, parce qu’ils en font les plus alïiijettis, parce
que, tous les autres corps ayant le droit d’examen
& de remontrances, le corps militaire eft le feul
qui doive, au premier figue du fouverain , quitter
Ion.pays, fa feinille & tous les objets de fes aftec-
tions , pour courir s’expofer aux fatigues, aux
dangers, à la mort.. ' . . ,,
Comme les fondons des guerriers font de défendre
l’état, & de conferver aux citoyens leurs
propriétés ; comme les , périls qu’ils bravent Tans
celle rendent ineftimable le prix de leurs fervices,
c’eft moins avec de l’or qu’il faut les payer qu’avec
des diftinSions & des. hbnneurs: . ;
C’ell cet ordre naturel qui fubfiftoit dans la république
; il fut tellement renverfé fous les empereurs
que de fujets, les foldats devinrent les maîtres du
prince qui fe difoit le fouverain ; qu’au lieu de
lauriers, de couronnes civiques & murales, de fur-
-noms,, de colliers & de triomphes, ils exigèrent
une forte paie, ils extorquèrent des dons fréquens ;
& qu’enfin, au Heu de conferver les biens du
citoyen, ils forcèrent les empereurs a les grever
exceffivement.
Les excès furent tels, que ces memes contrées
qui avoient pu fournir à l’ entretien des cours des
rois de Macédoine, du Pont, de la Capadoce,
de la Syrie, de la Judée, de l’Egypte, de la
Numidie, des Efpagnes &' des Gaules, à toutes
les dépenfes des républiques de Rome , de Carthage
, d’Athènes, de Sparte, de Corinthe , de
Thèhes, & de vingt autres états qui tous avoient
fubftfté enfemble , ne purent fuf&re à entretenir la
feule cour de Contontinopley & des troupes bien
moins norabreufes que ne l’avoient ete celles de
tous ces états,, [ ,
Je dis la cour de Conftantinople ; car ce ne fut
«u’aorès la tranflatlon de la cour impenale chez
les Thraces, que l’empire fut abfolument malheureux
& que l’état entier tomba dans une deca-
dence’ totale , dont aucun effort ne put le relever.
Le règne de Julien prouva même combien il etott
facile ae tout rétablir. S’il eût vécu quelques années,
s’il eût ramené la cour à Rome, comme le paga-
lîifme fur le trône, 4’empire eût pu facilement
reprendre fon ancienne fplendeur. _r., .
Mais avant cette tranflation, fi le lenat, qui
avoit toujours difputq au peuple fa fouverainete ,
voulut la difputer aux empereurs; s’il fut maltraité
ôç humilié ; fi Caligula menaça de mire fon
cheval confiil, comme Charles XII menaça le fenat
de Stockholm de lui envoyer fa botte pour le gour
verner ; fi les grandes familles furent abaiflëes,
l’empire ne fut pas malheureux ; .& il y . eut beaucoup
d’empereurs très-fages, fous Icfqueis Rome,
le fénat, les provinces, jouirent du fort le plus
fortuné.
s Les citoyens perdirent même pluueurs de ces
droits odieux qui révoltoient l’humanité : le fage
Adrien leur ôta le droit de vie 8t. de mort fur leurs
efj.ljives,' & le droit de les tenir enfermés dans ces
cachots que l’on appeloit ergafiules ; il voulut que
les, magiftrats fuffent juges entre l’efclave & le
maîtrè irrité. .; _• . _
Les comices fe tenoient toujours avec moins de
tumulte, mais non pas fans gloire & fans effet.
Quoique le peuple me fît plus de loix , quoiquil
fût un fouverain détrôné, il étoit encore nèceffaire
d’être eftimé de" ce peuple, dont on briguoit les
fuffragess • , ,
On eut auffi befoin de briguer,ceux de 1 armee,
quand elle difpofa de l’empire 5i & l’armée ne fit
pas toujours des choix indignes. On connoit affez
les fautes & les crimes commis par ces maîtres du
monde. Je ne les répéterai point; je ferai une remarque
moins commune ; j’obfçrverai . qu’il y eût
une foule d’empereurs diftingués par leur fagéffe
& par leurs talens j’obferverai que depuis Jules-
Céfar jufqu’à Julien , furnomraé /e philofophe, qui
fut le dernier des payens, fur quarante-quatre
ou quarante-fix empereurs „on en compte dix-fept
qui fe diftinguèreùt par leur efprit & leurs productions
littéraires. . . .
Si on compte les fages, on trouvera Augufte *
Vefpafien, Titus, Nerva, Trajan, Adrien, An-
tonin , Marc-Âurèle, Pertinax, Decius, Aurélien,
Probus, Tacite, Dioclétien, Julien.
Je ne crois pas que parmi les nations modernes
il y en ait une feule qui, depuis fa fondation, dix-
fept fouverains diftingués par la fupériorité de leur
efprit, & par des ouvrages de littérature ; je doute
meme qu’il y en eût beaucoup qui, dans l’efpace
de trois fiècles., ait fourni autant de fouverains allez
éminens en fageffe, pour qu’on puiffe les comparer
aux quinze Céiars que je viens de nommer*
_ Conclufion,
De tous les grands états, Rome eft peut-etrë
celui qui, pendant plufieurs fiecles, s eft le moins
écarté des principes d’un’e faine, théorie. . . . .
Il eut de l’unité dans les vues, de la funplicite
dans fes moyens ; ce qui eft plus rare encore
le corps politique, l’état y fut place fur fa ven-j
tablé bafe. . ' . .
Il eut de l’unité, puifque tout s yrapporteur a
un but unique., à la guerre-., à la conquête.
Il eut de la fimplicité dans fes moyens, qui tous
fe rapportoient a un feul, celui de fcen choiur les
chefs. »Lné it ^.
L ’état y étoît fur fa bafe : le peuplé y fut lé-
Jgiflateur. Le fénat y fut prince, c’eft-à-dire, chargé
de la puiffance exécutive.
Cette puiffance peut fe conftdérer comme divifée
én trois parties, l’ordre c iv il, l’ordre militaire &
la fimple police.
Le militaire , deftiné à n’agir que contre l’ennemi,
fut par-tout aftreint à une obéiffance paftrve , &
fournis à la volonté arbitraire d’un chef ayant droit
de vie & de mort.
La police, chargée de prévenir les crimes, a fou-
vent befoin d’une exécution prompte, mais moins
rigoureufe ; elle fe borne à réprimer & à em-
prifonner.
T a puifîance civile, dont l’objet eft la volonté
confiante & perpétuelle de rendre à chacun ce qui lui
efi dû, a , au contraire, des formes , des délais ,
des lenteurs ; il faut qu’elle ait toujours le temps
de connoîti'e le vrai, & qu’elle accorde à chacun
le temps de fe pourvoir de preuves, & de les lui
adminiftrer.
La police doit l’avertir, & lui amener les ac-
eufés ; le militaire doit lui prêter main-forte : l’une
& l’autre ne font que fes agens. Elle eft la première
des trois, celle à qui les deux autres doivent
reffortir, celle qui doit tout furveiller. Cette gradation
ne fut bien obfervée qu’à Rome, où l’armée
n’avoit pour chefs que des magiftrats, où
l’on difoit cedant arma togee.
Ainfi, le corps de la magiftrature, ou du gouvernement
, ou du prince , fe compofoit d’abord d’édiles
& de quefteurs, puis du préteur des citoyens & du
préteur des étrangers, puis des confuls qui préfi-
doient la ville, le fénat & l’armée, puis des cen-
feurs, puis , en quelques occasions, du diélateur, qui
terminoit cette pyramide, fans écrafer le peuple
ïégiflateur qui en étoit la bafe.
Cette magiftrature avoit un complément dans
la puiffance tribunicienne, efpèce de régulateur
qui devoit fervir fur-tout à l’empêcher de trop
pefer fur fa bafe, à en tenir toutes les parties dans
un jufte rapport, & à retarder la force du courant
qui entraîne fans ceffe la puiffance exécutive.
Toutes les places étoient annuelles; le tribunal
des préteurs changeoit avec eux tous les ans, & ,
dans ce tribunal, nul n’étoit juge d’aucune affaire
qu’il n’agréât également aux deux parties. Les confuls
jugeoient les -affaires criminelles ; mais on appeloit
au peuple de leur jugement. Ainfi iL y avoit
une magiftrature & point de corps de magiftrats,
point de légiftes de profeftion , point de place inamovible,
pas même celle du fenateur, que l ’on
pouvoit perdre en un moment, à la volonté du cen-
feur. Toute place n’étoit qu’un état d’épreuve.
La religion étoit foumife aux magiftrats & aux généraux
, tellement qu’un augure ayant voulu empêcher
le conful Claudius Pulcher, de donner un
combat naval, en alléguant que les poulets facrés
avoient refufé le grain, Claudius lui repartit : s’ils ,
Géographie ancienne. Tonie IL
ne veulent pas manger, qu’ils boivent, & les fît jeter
à la mer : mais auffi, quand les foldats demandoient
une bataille que les confuls ne jugeoient pas à prop
osé e donner, les augures n’etoient pas favorables
; à cet égard, tout étoit dans l’ordre.
Si l’on joint à ces obfervations celles que nous
avons déjà faites; que les fubftdes étoient payés
par les riches & les gens aifés-; que les prolétaires
& les capite cenfi étoient exempts d’impôts ; que
l’état n’etoit défendu que par ceux qui avoient des
propriétés à conferver ; que les foldats étoient les
fujets les plus fournis, les mieux difeiplinés, &
commandés par dés magiftrats militaires qu’ils
avoient choifîs dans les comices, en qualité de
citoyens ; on fera forcé d’avouer que toute la conA.
titution de l’état fuivoit l’ordre naturel, & fe trou-
voit fondée en raifon. Le fouverain faifoit des loix
& rie gouvernoit pas. Le gouvernement ne faifoiü
pas de loix & les faifoit obferver. Les citoyens*
obéiffoient féparément,comme fujets, & collective-'
ment ils faifoient des afles de fouveraineté, en don-'
nant la fanétion aux lo ix , en confiant leur gouvernement
aux plus dignes. Le peuple & l ’armée
n’étoient fournis qu’à des hommes d’élite. La jeuneffe
fentoit la néceffité d’aquérir l’eftime publique r
chaque individu développoit tous les talens'qu’il
avoit reçus de la nature ; chaque homme, pour ainfi
dire, étoit en pleine valeur ; chaque talent étoit
mis à fa place; l’état étoit fort de la force de
tous les citoyens.
Ce gouvernement eût été parfait, & peut-être
indeftraétible , s’il n’avoit pas eu dans fon fein une
multitude innombrable de gens qui, fous le nom
d’efclaves & d’étrangers, ne formoient pas partie
du corps politique, l’emportoient en nombre fur
celui des citoyens, ne participoient à aucun des
avantagés de Fêtât, en fiipportoient le faix, étoient
humiliés fans ceffe par l’orgueil des citoyens, 8c
s’intéreffoient plus à les voir opprimés, qu’à les
voir vaincre. C ’eft le vice qui perd toutes les républiques.
De la population de T Europe, lors des premiers fièclesde
Rome; trifies effets de Tambition romaine fur
cette population.
L’Italie, fi l’on en croit les auteurs, étoit très-
peuplée avant que les Romains euffent affujettis
fes villes libres. Au temps de Servius Tullius, elle
comprenoit de puiffans états vers le fud, fur-tout
dans la grande Grèce. Le feul état de Sybaris , au
rapport de Diodore, envoya une armée de trois
cents mille hommes contre les Crotbniates, qui lui en
oppofèrent une de cent mille. Or, quand deux états
voifins mettent quatre cents mille hommes en armes,
on peut raifonnablement fuppofer que leur
population eft de quatre à cinq fois plus confidé-
rable ; ce qui donneront plus d’un million & demi.
Strasbon ( L. v i ) dit la même chofe de Sy-%
baris, & ajoute de plus que la diftance de Cro*
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