
accufé, enfin d’être, en fon abfence j Ton procureur
fpécial à Rome, pour lui épargner la dé-
penfe d’y venir. Les devpirs des cliens étoient de
racheter leur patron , s’il étbk fait prifonnier à la
guerre ; de contribuer au mariage de fa fille, s’il étoit
hors d’état de le faire; de lui aider à payer fes dettes;
mais fur-tout de le garder & de l’accompagner,s’il
étoit en quelque péril, s’il fortoit pour une affaire
publique, ou quand il follicitoit quelque charge.
Les cliens faifoient fréquemment de petits préfens
à leur prote&eur, venoient fort aflidument le
matin lui faire leur cour : c’étoit même une
grande marque d’attachement que d’y arriver le
premier. De fon cô té , le patron tenoi.t une table
ouverte pour fes cliens, ce qui cmportoit une
grande dépenfe fur la fin de la république, que
les premiers hommes de l’état avoient plufieurs
milliersL.de cliens. Tant les patrons que les cliens,
ne pouvoient intenter d’a&ion l’un contre l’autre
; que fi l’un d’eux le faifoit, fa trahifon pa-
roiffoit fi odieufe, que la première perfonne qui
le tuoit, étoit cenfée rendre fer vice à l’é t a t e n
le délivrant d’un monftre.
Cette efpèee de patronage, qui n’eut d’abord
lieu que de particulier à particulier, s’étendit
dans la fuite aux colonies , aux villes municipales
& alliées, aux provinces fujettes du peuple Romain,
qui toutes faifoient choix d’un proteâeur à Rome.'
Quelquefois même les nations conquifes faifoient
elles-mêmes honneur à la valeur du conquérant,
en choififfant un protecteur dans fa famille.
Après l’expulfion des rois, qui oublièrent trop
vite qu’ils n’étoient que les chefs d’une fociété
d’hommes nés libres, mais aux fages établifîe-
mens defquels Rome doit encore plus fa grandeur
iuivante qu’au fénat même, ce corps fit part au peuple
du pouvoir fuprême , en lui laiffanr le droit
d’élire les magiftrats, à condition cependant de
les choifir parmi les patriciens. 11 lui céda aufli
le droit de déclarer la guerre & de nommer
des généraux, fe rèfervant celui de faire la paix,
qui fourniffoit au fénat le prétexte de retenir le
peuple à l’armée, lorfque l’on pouvoit craindre
quelque mutinerie à la ville. A ces deux chofes
près, le fénat retint par-devers lui toute la fou-
veraineté; de manière que le gouvernement fut
prefque purement ariftocratique pendant-quelques
années, jufqu’à ce que Valerius Publicola eût
donné attëinte à cette forme, par une loi qui
permit l’appel au peuple dans tous les cas, fur-
tout dans celui de condamnation à peine capitale.
Le peuple, obligé defervir à la guerre à fes frais,
& de négliger pendant ce temps la culture des
terres , fe vit bientôt réduit à la dernière mi-
fère , par la nécefiîté des emprunts & par la
dureté des créanciers : il fe mutina. Pour avoir
refufé de le fatisfaire fur une çhofe jufte , on
fut contraint de lui accorder cette magi-ftrature
tirée de fon corps, appelé tribunal du peuple,
Ôc le privilège de faire des loix. Cet événement
eut lieu felze ans après l’expulfion des rois., c’ eft-
à-dire en 260. Dès ce moment, le peuple commença
à tout ofer & le fénat à tout craindre.
Cependant ce dernier affoupiffoit de temps en
temps le mal intérieur par des remèdes convenables.
Il diflribua régulièrement du blé au menu
péliple, lui partagea les terres conquifes, contint
ou flatta les villes d'Italie, en les faifant ou co-
lonies ou villes municipales.
Colonies. Les colonies, ainfi nommées du mot
colonus (habitant), furent celles que l’état, après
les avoir conquifes, peupla d’habitans de Rome
qu’on y envoya. Cette fage précaution déchar-
geoit la capitale du peuple fuperflu & d’un
nombre infini cfaftVanchis, contenoit dans le devoir
ces nouvelles conquêtes, & récompenfoit
les fervices des foldats, en leur donnant de petites
poffefîions. Mais dans les derniers temps le petit
peuple , amolli par les plaifirs de Rome , n’alloit
plus qu’à regret habiter les colonies. C ’étoit un
fujet de fédition, lorfque l’on parloit à des gens
qui n’avoient- rien , de leur donner du bien hors
de cette ville. Toutes les colonies fe gouver-
noient par les loix romaines. D ’ailleurs elles
étoient de deux efpèces ; favoir, les colonies Romaines
, dont les habitans étoient, au moins de
nom, citoyens Romains, & avoient les droits de
bourgeoifie privés & économiques, mais non les
droits publics de citoyens Romains ; & les colonies
Latines, qui n’avoient que droit de latinité,
confiftant en droit de fuffrage par permifîion des
magiftrats de Rome , & celui de devenir citoyens
Romains, quand on avait exercé la magiftrature de
cette ville.
Municipes. Quant aux villes municipales , le
préfent que les Romains leur firent du droit de
bourgeoifie, les avoit fait nommer ainfi, du mot
munus (préfent), ou du mot munia (fondions).
Les unes avoient droit de bourgeoifie & de
-fuffrage ; les autres n’avoient que le premier
fans le fécond, que les Romains regardoient comme
le droit le plus éminent du citoyen. Toutes fe
gouvernoient par leurs propres magiftrats & par
leurs loix particulières. Les municipaux étoient
incorporés à la guerre dans les légions , & non
parmi les troupes alliées.Enfin, ils pouvoient parvenir
aux plus grandes places de la république.
Marius , Pompée & Cicéron n’étoient que de
familles municipales. On voit combien la condition
des municipales étoit préférable à celle des
colonies. C ’eft qu’il étoit accordé à des villes
puiffantes que l’on vouloit s’attacher.
Il y avoit encore en Italie deux autres efppces
de villes ; favoir, les villes alliées ou libres, Sc
les préfeétures.
Les villes alliées, à l ’exception d’un certain
contingent dhommes & d'argent qu’elles dévoient
fournir pour la guerre , étoient totalement
libres, ayant leurs lo ix , leur fénat, leur peuple
en particulier.
Les
Les préfedures étoiént la pire efpèee de toutes.
Quand Rome étoit mécontente d’une v ille, elle
y envoyoit un préfet qui la gouvernoit avec un
pouvoir abfolu , comme les proconfuls ou les
préteurs gouvernoient les provinces.
Les dettes, & les ufures qui en font la fuite
ordinaire, excitoient.depuis long temps les plaintes
du peuple. Il fallut en venir à l’abolition des
dettes. Ceci eft une partie intéreffante de lhif-
toire économique des Romains.
Les dettes chez les Romains croiffoient avec
iine extrême rapidité, à caufe des intérêts ex-
ceflifs que l’on exigeoit à chaque premier de
mois. La loi des douze tables les modéra à un
pour cent ; mais elle fut fi févère contre les débiteurs
infolvables, qu’elle permit au créancier
de les faire efclaves, & même, s’ils étoient plufieurs
, de fe partager le corps du débiteur en
morceaux. Quoiqu’il n’y ait pas d’exemple que
la rigueur ait jamais été pouffée à ce dernier
excès , on vit prefque toujours une révolte à
chaque fois que les dettes du menu peuple fe
furent accrues au point de voir un grand nombre
de gens expofés à la tyrannie de leurs
créanciers. Il eft vrai que les confuls Valerius &
Martius propofèrent, en 402, un expédient qui
fut adopté par le fénat. Il nommèient cinq con>
miffaires qui liquidèrent toutes les créances ,' accommodèrent
les créanciers avec leurs débiteurs,
établireat des banques fur la place, où l’on paya
des deniers du tréfor pub'ic,pour le foulagement
de ceux qui avoient trop fouffert en s’acquittant
de leurs propres biens. Ils éloignèrent ainfi toutes
les anciennes créances , & drefièrent de nouveaux
regiftres publics , à deux colonnes, pour
tenir compte, à l’avenir, des emprunts & des
acquittemens. Immédiatement après , en 427 ,
l ’article de la loi des douze tables fut alongé par
la loi Pcetilia Papiria. Elle défendit de lier ni
_maltraiter le débiteur infolvabîe, s’il n’étoit coupable
d’ailleurs ; déclarant que fes biens, & non
îa perfonne, étoient au pouvoir du créancier.
Loix agraires. Si toutes ces chofes étoient beaucoup
pour le peuple , elles n’étoient rien pour les
tribuns, moins curieux, dit-on, du bien général que
de leur intérêt particulier. Ils ne cefioient de jet-
ter un conp-d’oeil d’envie fur les grandes dignités
de l’état, dont ils fe voyoient exclus par leur
nai fiance. Ils réfolurent donc d’abolir la diftinc-
tion importune de patriciens Sc de plébéiens ,
d’abroger la loi qui prohiboit les alliances d’un
rang à l’autre , & d’ouvrir au peuple l’entrée des
hautes magiftratures. Tout ce qu’ils voulurent,
ils l’obtinrent, en menaçant le fénat de la loi
agraire, comme toujonrs redoutable aux grands,
faifie avidement par le peuple, & funefte aux
deux partis. Voici ce que l’on entendoit par loi
agraire. On a vu précédemment que les. terres
conquifes fe partageoient au peuple. Mais ce
partage étoit fouvent infidèle en le faifant, S>C
<Géographie ancienne, Tome JI,
inutile après l’avoir fait. Les gens riches s’e
faifoient adjuger une partie fous des noms fup-
pofés ; & le peuple , foit fainéantife , foit difli?
pation, foit néceflité réelle, fe voyoit tôt ou
tard contraint à leur vendre l’autre ; de façon
qu’après un certain temps, tous les fonds fe
trouvoient entre les mains des Grands. Alors les
tribuns propofoient de les partager de nouveau :
une telle propofition excitoit autant le courroux
de l’une des parties , que la joie de l’autre. Voilà
quelle fut la loi agraire ou des champs, dont les
Gracques.fe fervirent pour en faire le germe des
guerres civiles.
Depuis que le peuple eut accès indifféremment
à tous les grades, le titre de patricien ne
fervoit plus qu’à entretenir chez quelques-uns
un refte d’orgueil, il étoit même, à vrai dire,
plutôt nuifiblc que profitable, puifqu’il excluoit
de la change de tribun. D ’un autre côté, les familles
qui s’étoient élevées au plus haut degré
par la puiffarice tribunicienne , après avoir obtenu
ce qu’elles defiroient, quittèrent l’efprit du
peuple pour prendre cêlui du fénat, méprifèrent
les tribuns fuivans , & devinrent leurs plus fiers
antagoniftes , lorfque ceux-ci voulurent acquérir
à leur tour le droit de mêprifer aufli un jour
leurs fucceffeurs.
Noblejfe & hommes nouveaux. La diftinélion de
nobles 8c d'hommes nouveaux fut fubftit-uée à
celle de patriciens & de plébéiens , avec un
acharnement beaucoup plus fort de part & d’autre.
Rome fe divifa en deux partis. La faélion
des grands 8c la faéfion du peuple. Les plébéiens
anciennement parvenus, eurent beau crier que
c’étoit profaner les dignités q. e de les mettre
aux mains de gens fans nom : les mêmes armes
dont ils avoient jadis fait ufage , étoient reftées
an pouvoir de leurs adveriaires. Si la puiffance
de Sylta remit pour quelque temps les chofes
fur l’ancien pied, les arrangemens qu’il avoit faits
ne durèrent qu’un temps. Le peuple outragé continua
fes progrès T 8l par - là devint de jour en'
jour plus audacieux. Alors quantité de gens de
haute naîflance , tels que Cinna , Carbon , Lé-
pide , Clodius , Céfar & d’autres patriciens,
s’appercevant que le plus court moyen 3 pour
parvenir, étoit de gagner la multitude, fe jettè-
rent dans la faSion du peuple; comme, de fon
côté, la fa&ioii des grands fut , par des raifons
d’intérêt partidulier , retenir dans fon parti un
grand nombre de gens de l’étage inférieur. On
alla briguer les fuffrages dans les villes municipales
8c dans les colonies , ' dont les habitans,
aufli bien que ceux de la campagne, paffèrent
infenfiblemenr à Rome, attirés par les plaifirs de
la vie oifive dont jouiffoient les citoyens. Rome
fe peupla donc outre mefure, de gens qui ,
n’ayant rien à faire , s’adonnèrent à fuivre les
grands qui vouldienr fe les attacher, déterminés
à tout entreprendre pour des hommes que Salufte
Nonn