
loit fur l’urne ou ils jetoient leurs fuffragès, 8c
prononçoit leur jugement.
Cenfeurs. La cenfure étoit encore une des dignités
affeélées aux patriciens, à qui le peuple en
laifîa le droit exclufif, tant qu’il ne le crut que
de peu de confidération , & qu’il ne manqua
pas de partager fi-tôt quM la vit dans un haut
crédit. Pour entendre quelles étoient les fondions
de cette charge, il faut favoir que le roi Servius
Tulius , après avoir rangé tous les citoyens , chacun
félon fa fortune, tous fix clafles différentes,
établit l’ufage d’en faire tous les cinq ans le dénombrement
( çenfus )* ou cens On appela aufli
cette opération le lujlre, à caufe du facrifice
d’expiation qui s’offroit alors pour la nation en
général ( luere). Tout le peuple Romain, fous
les armes , paffoit en revue dans le champ de
Mars. Chaque particulier préfentoit un mémoire
fidèle de l’état aâuel de Ces biens, fuivant lequel
on changeoit ou l’on confervoit le citoyen dans
fa ciaffe, & on l’impofoit à la capitation. Les
confuls remplirent ces fonétions jufqu’en 310.
Alors , furchargés d’affaires, ils demandèrent que
l’on établît en leur place deux patriciens prépo-
fés à cet emploi. Papirius & Sempronius Atrati-
nus furent les premiers cenfeurs. Ils avoient tous
deux exercé le confulat ; & , depuis, l’on ne
manqua prefque jamais demies choifir, parmi les
confulaires ; ce qui fer vit beaucoup à donner à
cette, dignité le grand éclat qu’elle acquit bientôt.
En effet, les cenfeurs ne fe bornèrent pas à fe
charger de la revue du peuple, de l’eftimation
des biens ,_de la taxe des personnes, du rôle
public de tous les citoyens & de leurs facultés ;
ils fe conftituèrent encore fagement juges des
moeurs & de la conduite des particuliers. Selon
quMs la trouvèrent bonne ou mauvaife, ils élevèrent
ou dégradèrent le citoyen, choifirent le
fénateur, caflerent le chevalier, ou firent monter,'
fo it d’un ordre à l’autre, foit d’une tribu à
une autre, ceux qu’ils en crurent dignes ; ne fe
contentant pas d’avoir l’infpeélion fur Rome
feule , mais étabhffant dans les colonies des
fu b fri tut s (fubcenfores) , qui leur rendoient compte
de la conduite & des facultés des citoyens de
ces villes. C ’eft a in fi que, pour la vertu qu’tlJe
fuppofoit dans la perfonne qui en étoit revêtue,
elle devint l ’honneur le plus grand que pût recevoir
un citoyen Romain. On gardoit le titre
pendant cinq ans, quoique l’exercice fût borné
à dix-huit mois. Ce fut le diélateur Æmilius
Mamercus, q u i, en 309 , le réduifit à cet efpace
de temps. Les cenfeurs .en furent fi piqués, qu’ils
le firent paffer dans une rribu inférieure. Les., patrieiens
luttèrent pendant près d’un fiée le pour
empêcher le peuple de parvenir à cette place.
Martius Rutilius, le premier plébéien qui eut
obtenu la diâature , entreprit décidément de
paffer de cette. dignité à la cenfure. Le fénat
nomma tm chélateur expiés pour l’en empêcher ;
maïs ce Tut inutilement. Le peuple s’en mocqtîâT
& Martius, en 403 , eut la fatisfaéfcion d’avoir
le premier transféré dans fon ordre les deux plus
belles places de .l’état.
Prince du fénat. Le titre de prince du fénat
n’étoit pas un titre de charge ou d’emploi, mais
un fimple titre de dignité, fi confidérable cependant
par l’idée qu’ il donnoit de la perfonne
à laquelle on, le conféroit, que l’on le regardoit
comme fupérieur à tout autre, & que de préférence
on défignoit la perfonne par ce titre, de
quelque autre place qu’elle fûi ou, qu’elle eût été
revêtue. Les cénleurs avoient le droit de conférer
ce titre à la perfonne qu’ils j; geoient être le
citoyen de l’état le plus recommandable par fes
moeurs, par fes vertus & par fes fervices :
ce qu’ils' faifoient en le nommanr le premier,
lorfqu’ils faifoient l’appel de tous les membres
dont le fénat devoit être compofé. Car on fait
qu’une des plus importantes fondions de leurs
chargés, étoit de former le nombre des féna-
teuts, en faifant l’appel de tous ceux qui dévoient
compofer ce cofps. Le titre de prince du fénat
étoit à vie : les cenfeurs n’en nommoient un
autre qu’après fon décès. Anciennement on nom-
moit toujours à cette place le plus ancien des
cenfeurs. Sempronius fut le premier qui , en
faifant l’appel du fénat, s’écarta de cet ufage,
contre l’avis de fon collègue. Il fit ce choix à
fa volonté, & l’on continua d’en ufer ainfi. Mais
prefque toujours on avoit foin de choifir parmi
ceffx qui avoient déjà exercé la cenfure, le
perfonnage qui jouiffoit le plus hautement de
l’eftime publique. Il devenoit, par cette nomination,
le premier & , pour ainfi dire , le doyen
des fénateurs. Le conful, après avoir rapporté
l’affaire , prenoit fa voix immédiatement après
celles des magiftrats. ’
Tribuns du peuple. Mais la viéloire antérieure
que le peuple avoit obtenue par l’établifTement
du tribunal, fut le plus grand échec que la puif-
fance confulaire ou patricienne ait jamais reçue.
Dès les premières années de la république , le
menu peuple , vexé par les ufures fajfoit à
chaque inftant éclater fon mécontentement contre
les patriciens. Ceux-ci , pour le diftraire, entre-
prenoient fans cefie de nouvelles guerres, qui exi-
geoient des enrôlemens toujours accompagnés
de promeffes que l’on ne tenoit jamais , de le fa-
tisfaire au retour'; jufqu’à ce qre le menu peuple ,
las enfin d’être la dupe de ces fauffes promeffes, fi
fouvent réitérées, prit, à la perfuafion de Sici-
nius & de Brutus , le parti de fe féparer du fénat,
& fe retira fur le Mont facré en 259. Alors il
fallut lui donner plus qu’on ne lui avoit refufé
d’abord. Il demanda d’avoir des magiftrats annuels
tirés de fon corps, qui euffent affez de puifiance
pour lui fervir de proteéleurs contre l’injuftice des
grands. Appius, partifan outré de la fàâion du
fénat, cria vainement que ce feroit mettre dans
SL
ROM
Rome des peftes publiques, qui dommêilCé-
roient par écrafer le fénat, & finiroient par
perdre l’état entier. Il n’éroit plus temps de dif-
puter ; il fallut y fouferire. Le peuple exigea
qu’ils fuffent élus aux alfemblées par -tribus ;
qu’ils eulfent infpeétion fur tous les magiftrats,
droit d’aftifter à la porte du fénat pendant les délibérations
, autorité de confirmer ou de s’oppofer
aux décrets du fénat ou des confuls , 8c que la
création d’un di&ateur n’en fufpendîrpas les fonctions.
Les patriciens , de leur côté, obtinrent que
les tribuns du peuple n’auroient ni autorité fur
le di&ateur, ni marque de grande magiftrature,
mais un feul fergent; qu’ils ne pourroient fortir
des portes de Rome; & ,c e qui eft fort effentiel,
que leur volonté ne feroit comptée pour rien,
s’ils n’étoient tous du même avis* On en nomma
deux d’abord ; ce furent Sicinius & Brutus. Peu
de jours après, le peuple en voulut avoir trois de
plus. Ils furent appelés tribuns, parce qu’ils étoient
tous cinq tribuns légionnaires , c’eft-à-dire colonels.
Trente-fept ans après , le peuple voulut en-
coréen avoir cinq. Les jeunes fénateurs, ardens à ré-
fifter à toute innovation , s’élevoient vivement contre
cette nouvelle prétention,. lorfque les anciens,
meilleurs politiques, leur firent fentir que le peuple
étoit aveugle, & que toute la force des tribuns
confiftant dans leur unanimité , plus il y en auroit,
plus il feroit facile d’en féparer un des autre«.
Les tribuns-s’attribuèrent, depuis, l’autorité de
faire des loix, de prendre féance au fénat, de
le convoquer & proroger, d’emprifonner les
confuls. Enfin les facilités qu’ils trouvèrent à mener
le peuple par des harangues, des propofitions,
des injures contre la nobleffe, éleva fi haut leur
crédit, que la fuite ne démontra pas moins l’utilité
que les inconvéniens de cette magiftrature. Elle
monta à fon comble au temps de Marins. Ce fut
elle qui porta ce guerrier au faîte des grandeurs
& de la tyrannie. Mais quand Sylla eût à fon'
tour le deffus , il ne crut mieux fe venger de la faction
de Marius , qu’en abaiflant les tribuns , au
.point de les réduire prefque à rien. Il ne leur
laifla uniquement que le droit d’appel, ordonnant
par une loi expreffe qu’ils ne poutroient à l’avenir
haranguer le peuple , ni faire de loix , &
que l’appel à eux n’auroit plus lieu. Comme
ils avoient fouvent affeété un zèle exagéré pour
difpofer le peuple à leur accorder les places qu’ils
en attendoient , SylU leur prohiba l’entrée à
toute autre magiftrature. Ce point de la loi
les indifpofoit plus que tous les autres. Anfîï
fut-ce le premier dont ils poufuivirent l’abrogation.
Mais cette puiffance contribua enfin à la ruine
de la république. Car ce fur en partie par lemi-
niftère des tribuns, que Céfar vint à bout de fis
defleins. Malheur prefqu’inévitable alors, & qui,
peut-êrre, n’eût jamais eu lieu, fi, dès les com-
mencemens, le fénat eût montré plus d’égards
pour le peuple.
ROM
Les loix propofées au peuple par un de fes
tribuns ne porroient pas, à proprement parler, le
nom de loix , mais plus fimplement celui de
requifitions (rogationes) , quoique dans l’ufage on
les confondît fouvent enfemble, fur-tout lorfque
le peuple , en approuvant le requifiroire , lui avoit
par fon ordonnance ou plébifcite, donné la forme
d’une loi. Alors on l’intituloit du nom du tribun
, comme on l’auroit fait du nom du conful.
On difoit la loi Manilia ,* mais à proprement
parler, il eût fallu dire , la loi faite fur les re~
prèfentations de Manilius. Le tribun affembloit le
peuple par curies, propofoit fon requifitoire, 8c
prenoit les fuffrages.
Ediles. Ce fut en 2.59 que le peuple obtint fes
tribuns ; l’année fuivante il voulut des édiles. Ce
terme fignifie m.vniftre prépofé aux édifices publics.
Ædes. La reflemblance exa&e qui fe trouve entre
les charges de prévôt des marchands & de lieutenant
de police jointes enfemble, avec des édiles ,
difpenfe d’entrer dans aucun détail fur cette charge.
L’intendance des fêtes publiques étoit comme, on
v o it , de leur reffort. En 387 ils s’en acquittèrent
mal. Les jeunes patriciens voyant le peuple peu fa-
tisfait, s’offrirent de les donner à l’avenir à leurs
dépens , pourvu que l’on voulût créer pour eux
deux charges d’édiles. On y confentit, & le fénat
, pour faire honneur à ces nouveaux emplois,
les mit au nombre des magiftraturés curules. Ainfi
ces derniers furent nommés édiles - curules, 8t
eurent le pas fur les anciens, qul-retinrent lé
nom d’édiles du peuple.
Les édiles - curules étoient chargés de toutes les
fêtes, fpeébcles , jeux de cirques. combats d’animaux
, &c. de l’examen des pièces des théâtres
& des livres qui fe publioient. Leur emploi s’éten-
doit encore à quantité d’autres chofes ; entre
autres, les confuls, au retour de leur armée dévoient
leur rendre compte des grains & munitions
enlevés à l’ennemi. Cette place étoit d’une
prodigieufe dépenfe, parce que, lorfqu’un grand
venoit folliciter le peuple pour obtenir quelque
éminente dignité, le peuple, le jour de l’élection
, fe fouvenoit de la follicitation , à proportion
de ce que- le prétendant l’avoir amufé pendant
fon ediiiré : tellement qu’il n’étoit pas fort
rare de voir un homme riche fe ruiner, tout en
un jour, à donner un fpe&acle. Ceci ne furpren-
dra pas , fi Fon fait attention que ces fpe&acles
confiftoient en combats d’animaux rares , que l’on
faifoit venir des lieux connus les plus éloignés (1);
en batailles navales que l’on donnoit fur des lacs
creufés exprès, fans parler des troupes nombreufes
de gladiateurs qu’il falloit entretenir & former,
des comédiens , danfeurs, joueurs d’inftrumens
& même des théâtres immenfes, que l’on étoit
ob’ igé de conftruire à chaque fois. Car, jufqu’au
(*) Sylla donna, dans le cirque, le fpc&acle d’une
chaffe de cent lions , faite par des Africains, *3