
Marius acheva la conquête de la Numidîe, &
fit voir aux Romains Jugurtha & fes fils chargés
de fers.
Au milieu de tant de fuccès , le. fénat, fidèle à
fes principes, arrêta encore les Cimbres, les Teu-
tons, les Barbares du nord qui vouloient pénétrer
en Italie. Une armée leur en ferma les paflages fous
la conduite de Catulus, & les força de prendre
leur route vers les Gaules. Une autre armée roumaine
les y ' fuivit. Cinq confuls furent battus fuc-
çefiivement par ces Barbares ; mais l’Efpagne leur
fut fermée par Marcus Fulvius. Bientôt après ils
furent exterminés, en deux grandes batailles, par
les armes de Marius. Par-tout où ils portèrent leurs
pas, ils trouvèrent les Romains. Ils cédèrent, non
à leur fortune, dont ils triomphèrent cinq fois, mais
à leur prévoyance , à leur fagefle, à l’inébranlable
fermeté de leur génie.
L’Arménie, le Pont, la Cappadoce, tons les
varies états de ce Mithridate qui fe défendit, pendant
quarante années, contre les plus grands capitaines
de Rome, tombèrent enfin fous les talens
du jeune Pompée ( 689 ) qui, bientôt après, ré-
gjuifit la Syrie en province romaine, & fournit la
Judée.
Cêfar, fon gendre & fon rival, brifa le joug
que les Germains avoient impofé aux Gaulois,
écarta d’eux celui que les Helvétiens leur préparaient
, & leur impofa celui de Rome. Il impofa
ce joug aux Bretons; & , après avoir vaincu Pto-
lomée en Egypte ( 707 ) , Pharnace en A fie , fur
les bords de l’Euxin ; il défit Juba dans la Mauritanie
( 708 ) : Juba fe tua, comme Mithridate, pour
ne pas tomber entre les mains d’un vainqueur.
Ces conquêtes , fruits de deux cents années
de guerres & de viéfoires, ne furent pas comme
celles d’Alexandre , d’Omar , de Charlemagne,
de Gengis , de Tamerlan , l’effet paffager du courage
d’un, grand homme, placé dans quelques cir-
conftanees heureufes ; elles furent l’ouvrage d’une
fucceffion de grands hommes, fucceflion telle que
l’on n’en vit jamais ailleurs de femblable. C’étoit
le réfultat néceflaire de l’éducation, de la confti-
tution, de l’ordre- permanent qui régnoit dans la
république, & du génie du fénat, de ce fénat où
les vainqueurs dé tant d’états apportoient en tributs
leurs connoiffances des hommes, des lieux , des
peuples, des moeurs, des coutumes, des affaires,
4ê la guerre, & de la politique ; où ils délibéroient
èpfemble & de ce qu’ils avoient fait & de ce^qu’il
falloit faire pour affervir de nouvelles nations.
Ces conquêtes ne. ceffèrent pas par accident, par
épuifement , par impoffibilité d’en faire d’autres ;
mais par la résolution du fénat, par le confeil que
lui donna. Augufte de çeffer d’étendre un empire
qui n’avoit plus que des déferts & des fauvages à
conquérir, k
La Perfe étoit, en effet, le feul empire qui pût
tenter Rome ; car elle ne connoiffoit guère l’Inde
& la Chine que de nom ; & la Perfe, féparée par
des déferts de fable, ravagée par les Partlfès J
devoit paroître peu importante aux maîtres des
plus belles contrées de l’Europe, de l’Afie & de
l’Afrique.
Quatrièmes effets de cette conftitution.
Rome fupérieure par fes lotx & par fa littérature. Si
Rome n’eût fait que des conquêtes, elle eût pu
prétendre à l’emporter fur les Tartares, fur les
Arabes, fur les Perfes, qui ont fournis, par leurs
armes, autant de contrées qu’elle ; mais' elle feroit
inférieure à la Grèce, à la ville d’Athènes , à nés
nations modernes, jadis foibles provinces de fon
varie empire ; elle feroit fans mérité aux yeux du
fage ; on ne l’offriroit pas en exemple aux peuples
qui veulent s’inftruire.
Mais Rome, qui fut affez fage pour former fon premier
code de l’affemblage des meilleures loix qu’elle
ait trouvées dans la Grèce & les colonies grecques
établies au midi de l’Italie, eut encore la fagefle
de former fes codes fubféquens des réflexions les
plus profondes des préteurs & des plus grands
jurifconfultes, énoncées avec une concifion oc une
clarté qui fait, de la plupart des loix romaines,
des maximes admirables.
Rome n’aflervit pas les peuples conquis à fuivre
fes lo ix , elle fouffrit qu’ils confervaffent leurs
lo ix , leurs coutumes, leurs gouvernemens municipaux
; mais elle les vit infentiblement abandonner
leurs loix pour adopter les tiennes.
Long-temps après la deftruétion de la république,'
Juftinien fit rédiger le corps du droit romain ;
& cet ouvrage, qui n’eft' pas fans défauts, qui
manque dsune bonne méthode, eft pourtant le
corps de droit le plus complet, le mieux rédigé,
le mieux écrit qu’il y ait encore ; le féul peut-
être où la loi foit énoncée avec une telle fagefle ,
qu’elle porte avec elle l’efprit dans lequel on doit
l’entendre, qu’elle éclaircit le doute, & qu’elle
prévient les objections. Les loix des modernes font
des ordres dont fouvent on ne voit pas les raifons ,
ou dont les caufes font développées dans de verbeux
- préambules. Celles des Romains font des
réflexions profondes, dont le motif fe fait fèntir
prefque toujours à un leéteur attentif. C’eft le
meilleur modèle du ftyle dans lequel on doive
écrire les lo ix ; & c’eft, de tous les riyles, le
plus difficile. Chaque phrafe doit être claire,
concife, contenant une idée complète, & tellement
préfèntée, qu’elle fàtisfaffe l’efprit du le&eur
& la confidence du juge.'
Rome donnoit le nom de prudtns (1) à fies jurifi»
confiultes, pour les faire reflouvenir que toutes
leurs paroles dévoient être dictées par la prudence.
Le code de Juftinien fut long-temps, égaré dans
les fiècles de barbarie qui fiuccédèrent aux beaux
(l) Prudentes w
fïecles de Rome : la raifion fiembloit s’être éclipfiée
avec lui. Enfin , on en retrouva un exemplaire dans
Amalfi, & cet exemplaire eft le premier livre qui
ait commencé à parler à la raifion des peuples
modernes ; il eft le premier appui qu’elle ait trouvé
pour fe relever du fond de l’abîme où la fiuperfi-
tition, la fiervitude, la féodalité, l’ignorance l’avoient
précipitée.
Si l’on ne trouve point dans le corps du droit
romain les noms des Seipion, des Caton , des
Cicéron, on y retrouve les noms des dificiples
eleves a l’école qu’ils avoient formée; car fi la
Jufë ce eft 9 en effet , comme on la définit dans les
inftituts, la volonté> confiante 6» perpétuelle de rendre
a chacun ce qui lui appartient, les rédacteurs de ce
-code n ÿ ont pas manqué en formant cet ouvrage,
puifqu’ils nous ont tranfimis le nom de ceux à qui
font dues la plupart de ces loix.
L’efprit de fimplicité, de clarté, d’exaCtitude,
de vérité, de concifion , qui préfida aux premières
loix de Rome, fiemble s’être propagé de fiècle en
fiecle, & avoir paffe des premiers prudens, aux
Ulpiens, aux Popiniens, & enfin aux jurifconfultes
choifis par Tribonien, pour rédiger cet ouvrage.
C’eft cet efprit qui le rend encore le manuel
de tous les. jurifconfultes de l’Europe, qui en fait
encore la loi de plufieurs peuples ; c’eft cet efprit
qui 1 a fait nommer la raifon écrite ; furnom qui lui
demeurera jufqu’à ce qu’un recueil de décifions plus R
fages viennent le lui enlever. Mais quel eft le corps
de jurifconfultes que l’on puifle comparer aux
prudens de Rome ?
Ces guerriers, qiii vainquirent le monde & qui
furent les legiflateurs , ne négligèrent jamais de
cultiver leur efprit. Les plus braves des hommes
en furent aufli les plus eloquens. Si Rome ignora
long-temps les beaux-arts, fi elle confondit longtemps
1 artifte & l’artifan , jamais elle ne méconnut
l’avantage des lettres. Plaute, Térence, Caton,
Cicéron, Salufte, Lucrèce, écrivirent du temps de
la république. Seipion l’Africain étoit le plus
grand orateur de fon temps ; fon efprit & celui
de^Lélius fon ami, avoient affez de culture pour
qu’on les foupçonnât d’avoir travaillé aux ouvrages
de Térence , qui, né en Afrique, amené à Rome , -
livré long-temps à l’efclavagè, affranchi par fon
mérite, ne fiembloit pas devoir parler la langue
latine avec tant d’élégance.
Tous les vainqueurs du monde étoient jurifconfultes,
orateurs & gens de lettres. Le fils de
Seipion l’Africain compofa une hiftoire de la Grèce,
dont Cicéron parle avec éloge. Seipion Emilien,
eleftruâeur de Carthage, fut l’ami de Polybe ;
Caton compofa un livre des origines; Céfar, fameux
Par fes commentaires comme par fes armes
etoit poète ; il avoit fait des tragédies : Augufte
& Antoine firent des vers ^ & même des épi—
grammes 1 un contre l’autrè, en fè difputant par
l e glaive l’empire de la terre.
Des efprits ainfi cultivés, ainfi exercés dans
tous les genres, ainfi préparés aux armes, aux
lettres, aux affaires, ont-ils dû leurs fuccès au
hafard, aux vains caprices d’une fortune aveugle ?
Ils ont difparu de la terre ; leur empire a été
détruit. Cependant leur code eft la bafe de notre
legiflation ; les écrits dé leurs auteurs font la bafe
de nos études. Rome domine encore en Europe;
elle préfide à nos loix ; elle préfide à notre éc'u-.
cation ; elle préfide à nos arts ; de quelque côté '
que nous portions nos regards, par - tout nous*
trouvons Rome encore.........
Cinquièmes effets de cette conftitution.
Rome défriché les contrées du nord ; elle y bâtit
des villes ; elle en inftruit les peuples. De toutes les
nations policées, Rome fu t, fans contredit, la
plus terrible dans la guerre ; fes guerriers, fem-
blables au feu , détruifbient tout dès qu’on lui
refiftoit ; mais le pays êtoit-il fournis, Rome , avec
plus de célérité encore, réparait tous les maux
qu’elle avoit faits.
Jamais elle ne détruifit une ville un peu importante
fans la rétablir ; Corinthe, Carthage,. Jéru-*;
falem, furent détruite de fond en comble, leurs
richefies furent tranfportées à Rome ; & , bientôt
apres, par les foins du fénat, Corinthe , Carthage
& Jérufalem fe relevèrent plus fomptueufes 8c
abondèrent de plus de richefies.
Par-tout ou elle étendit fa domination, elle érigea
de vaftes monumens, elle laifla des traces de
la grandeur: nous en trouvons par-tout; & fes
grands édifices nous frappent d’admiration jufques
dans leurs débris.
Elle unit, par des canaux & des chemins, toutes
les provinces de ûm empire. Elle nè craignit pas
d’entreprendre, & elle acheva une route qui alloit
du détroit de Calais au Bofphore de Thrace , où
Conftantinople eft aftuellement bâtie, & de ce
Bofphore’à Antioche, 8c aux confins de la Perfe.’
Ces étonnans ouvrages qui la diftinguent fi fort
des nations conquérantes, n’étoient point une vaine
déclamation, & n’auroient pu exifter fans des foins
plus importans.
Rome étendit fes conquêtes fur deux fortes de
peuples : ceux du midi & ceux de l’orient étoient
des peuples policés qui l’empoi*toient fur elle
en richeffes , en population , en fciences ; elle apprit
d’eux la légiflation, l’art de bien camper, de
conftruire des flottes, de bâtirjdes palais, des temples,
des théâtres, des cirques, des obélifques ; de cultiver
tous les arts, de jouir de tous lesbiens que la nature
prodigue à l’homme induftrieux. Mais les
peuples du nord étoient des barbares, ignorant
tout, errans fous' des forêts, vivant de la chair
de leurs troupeaux , des efpèces d’animaux féroces*,
qui, fans cefle occupés à fe battre, ne favoient pas
même combattre.
Ces fauvages avoient defeendu plufieurs fois eu
A a a a a 2