»e s’en mutina que plus fort. On ne trouva de
remède plus prompt & plus efficace que d’élire,
fuivanr l’ufage, un di&ateur. L’avis en fut ouvert,
par Appius, qui avoit bien le caraftère d’un def-
pote. Les Volfques, les Eques, les Sabins étoient
près d’attaquer Rome. Le fénat, qui avoit befoin
ou peuple, eut l’attention de choifir un homme
doux & pacifique : ce, fut Valerius. Il choifit pour
général de la cavalerie Q . Servilius , frère du
conful de l’année précédente (2 5 9 .)
Ce nouveau di&ateur convoqua une aftemblée
générale dans la place des comices, promit au
peuple que ni fa liberté , ni la loi Valeria, en
faveur de l’abolition des dettes, ne foulfriroient
d’atteinte. Cette efpérance flatteufe, jointe à l’efi
time que l'on avoir pour le dictateur, engagèrent
tout le monde à le fuivre. On marcha avec confiance
à l^ennenû, & le fuccès répondit à un fi
beau commencement. Vétufius battit les Eques,
& prit leur camp , qui fut pillé, -& reprit les
villes latines dont ils s’étoient emparés.
Virginius mit les Volfques en fuite, & s’empara
aufil de leur camp, dont le pillage enrichit
un peu les foldats. Il les pourfuivit fi vivement,
qu’il entra avec eux dans la ville de Velitres ,
dont un grand nombre d’habitans fut paffé au fil
de l’épée. Cette conquête apporta quelque foulage
ment. On y établit une colonie des plus pauvres
, qui étoient le plus tourmentés par leurs
créanciers.
Quant au di&ateur, il remporta fur les Sabins
une viéfoîre complète, s’empara de leur camp,
en abandonna le pillage aux troupes, & rentra
triomphant à Rome. On fut même fi content de
fa conduite , qu’on lui accorda une diftinâion
qui devint héréditaire dans fa famille. On lui af-
figna une place honorable dans le cirque, avec
une chaife curule pour voir le fpe&acle.
En rapportant ces honneurs accordés aux chefs,
on eft indigné de voir le peu d'égard que l’on
montrait pour le peuple. Il étoit écrafé par un
intérêt ufuraire il abandonnoit fon travail ,
s’éloignoit de fes propriétés p<*ur prendre les armes,
défendoit l’état au moins autant que les riches , qui
avoient plus à perdre que lu i, qui n’avoit que
peu ; & cependant les patriciens ne vouloient le
relâcher en rien de leurs injuftes prétentions.
On ailpit même jufqu’à tromper cette partie in-
téreflante de la nation. Aftùrément le fénat n’igno-
roit pas que Valerius avoit promis l’abolition
des dettes ; il avoit laiffé partir le peuple dans
cet efpoir» Mais au retour de l’armée, il refufa
l’effet des promsffes du di&ateur. Il faut rendre
juftice à ce vertueux perfonnage : il n’avoit pas :
cherché à faire illufion. . . . Le refus du fénat !
l’indigna. Il convoqua le peuple, fe plaignit de
ne pouvoir tenir la parole qu’il avoit donnée,
& fe démit fur le ebamp de fa dignité*
Les efprits n’étoient pas préparés it cette abdi-
£3tipjî. Aucun cfief, ami des intérêts du peuple,
île s’étoit difpofé à le conduire dans cètté coït?
jonélure délicate : il refia à la merci des confuls*
Ils fentirent bien que des efprits mécontens pou-
voient s’échauffer promptement. Ils eurent recours
au feul remède dont le defpotifine fénatorial
leur permit d nfer. On prétexta une incurfion
prochaine de la part des Sabins, & l’on tint les
troupes hors de Rome. Le peuple, que l’on
avoir déjà trompé de la même manière, ne s’é->
loigna qu’autant qu’il étoit néceffaire pour fe
trouver en pleine liberté.
Cependant quelques bons efprits fe mirent a
la tête du peuple ; on fe créa de nouveaux officiers
, & ayant à la fête de toute l’armée un
plébéien , homme ardent & courageux , ils fe
retirèrent fur le mont qui depuis fut appelé le Mont
facré. (A n 260.)
La nouvelle de cette défertion affeéla différ
remment les efprits , félon qu’ils étoient portés
à la violence ou à la juftice. Je remarque feulement
que les fentimens n’étoient partagés que
fur ce qu’il convenoit d’accorder, ou de refufer
au peuple. '
On étoit d’ailleurs affez perfuadé de fa juftice
pour ne pas craindre une invafion défaftreufe, ÔC
le renverfement total de la ville. C ’eft que réuni
en màfle, le peuple eft jufte, & qu’il ne vou-:
loit pas ufurper un pouvoir placé dans des
mains plus habiles, mais qu’auffi il cherchoit à
n’être pas écrafé par ce même pouvoir.
Après bien des délibérations , on arrêta dans
le fénat de députer vers les mécontens, pour
leur propofer des moyens d’accommodement«'
Dix commiftaires, à la tête defquels T. Largius^
Menenius Agrippa & Valerius tenoient le pre-.
mier rang, furent nommés & députés vers eux :
011 les introduifit dans le milieu du camp. Ils
parlèrent aux foldats avec force, & pourtant
avec douceur, pour les engager à revenir dans
leur commune patrie. Agrippa fe fervit d’urt
apologue (1) que tout le monde connoît, & il
fit impreftion fur le plus grand nombre. Mais Lucius
Junius s’étant chargé de porter la parole
au nom du peuple, déclara que perfonne ne
retournerait à Rome, à moins qu’on ne leue
accordât des magiftrats tirés de leur ordre, lef-;
quels dorénavant veilleraient à la confervatiort
de leurs droits. Cette nouvelle prétention étonna
les députés. Elle n’étonna pas moins les fénateurs
auxquels ils allèrent en rendre compte. Il s’éleva
d’abord une foule d’oppofitions, parce que c’étoit
changer la forme du gouvernement. Et certainement
c’eft toujours un mal dans un état, qu’il
faille accorder des changemens exigés par la
force. Mais le premier tort eft à ceux qui maintiennent
les formes vicieufes ou les abus, & qui 1
(1) La fable des membres du corps, qui refufent dc|
faire leurs fondions, pour fe venger de l’cftomac.
profitent. En fupprimant la royauté , les fénateurs
avoient gardé, tout le pouvoir, & le
peuple n’en avoit qu’un plus grand nombre de
maîtres. Il trouva dans^cette occafion un moyen
d alléger ce fardeau ; il en- profita & fit bien.
N ayant pas d’autre voie de ramener le peuple à
Rome, on lui accorda ce qu’il demandoit. (A n née
260^)
Dès que l’on eut rapporté cette réponfe dans
le camp , on procéda à l’éîe&ion des nouveaux
magiftrats : ils furent appelés tribuns du peuple,
& 1 on rendit leurs personnes facrées. L’armée
rentra enfuite dans la v ille , & demanda, peu
après, la création de deux nouveaux magiftrats ,
pour aider les tribuns. Cês derniers furent nommes
édiles, parce que leurs fonctions étoient d’avoir
infpeâion fur les a.des, c’eft-à-dire, les
édifices publics & particuliers. Le peuple fe ré-
ferva le droit de les nommer.
La guerre, qui furvint bientôt, ne fut pas
longue. Le conful Cominius battit les Volfques ,
leur enleva quelques villes , & alla mettre le
liege devant Corioles. Les habîtans firent, pendant
quelque temps, une vigoureufe réfiftance. Mais
^°.rt‘e ». furent vivement repoufîes par
C . Marcius, jeune patricien d’une grande valeur,
lequel s étant enfiiite emparé de la v ille, en reçut
le nom de Coriolan.
Le même jour de la prife de Corioles, les-
Antiates, qui venoient au fecours de cette ville
livrèrent bataille aux Romains. Coriolan y fignala
ce nouveau fon courage, & ce fut principalement
à fa valeur que l’on dut la défaite de l’en-
nemi. Aufîi le conful lui mit-il une couronne
c or fur la tête, en lui affignant plufieurs autres
recompenfes. Mais il ne voulut recevoir qu’un
cheval fuperbement enharnaché , & un feul des
prifonniers, ancien ami dè fa famille, auquel il
rendit la liberté.
L’année 261 fut remarquable par une grande
famine. Le fénat envoya des députés dans les
provinces voifines, pour y avoir des grains. Et
pour comble de maux, les Volfques prirent les
armes, & vinrent ravager les terres. Cependant
le peuple, animé par {es tribuns , & demandant
toujours l’abolition des dettes, refufoit de fervir.
Un petit nombre de volontaires feulement accompagna
Coriolan, & lui fuffit pour battre l’ennemi
: il rapporta un butin immenfe.
A la fin de l’année ^ Coriolan fe mit fur les
rangs pour la place de conful. Il joignoit à une
ame forte & courageufe, un coeur droit & généreux
; mais dur à lui-même, il l’étoit aufti pour
les autres. Le peuple , qui craignoit de ie voir
gouverner par un homme de ce carattère, lui
r* a a 6 con!^ at- Coriolan en fut vivement irrité.
Aufti. dans toutes les occaftons fe laifta-t-il
emporter en déclamations conrre le peuple.
.11 faut convenir que Thiftoire romaine a été
écrite avec une grande partialité par les hiftoriens
anciens, & une grande ignorance des droits
de l’homme par les écrivains modernes. J’en
pourrois citer mille exemples; je m’en tiens à
celui-ci. '
Les patriciens, comme chefs des partis qui
marchoient contre Tennemi, s’étoient arrogé la
plus grande partie des terres conquifes : le peuple
en .avoit peu. Mais les diffenfions avoient
empêché la culture des unes & des autres. La
fréquence de ces diflenfions avoif évidemment
fa caufe dans le refus que faifoit le fénat de
procéder à un plus égal partage des terres. On
a. vu de plus que pour diftraire le peuple de la
fuite qu’il aurait pu mettre à fes demandes, on
prétextoit le danger d’une invafion , ou l’efpoir
momentané du pillage ; mais, pendant qu’entraîné
par fon zèle .pour le bien de l’état, & cédant
aux circonftances , le peuple prenoit les armes,
les champs reftoient réellement fans culture. Car
' alors on avoit peu d’efclaves, & toute la famijlle
cultivoit elle-même. De ces terrés négligées, il
s’enfuivit une famine conftdérable. Les riches en
profitèrent pour vendre leu/- bled à très-haut prix.
Le peuple fe fouleva, & fes plaintes étoient
juftes. Cependant les hiftoriens anciens & modernes
traitent de féditieux les tribuns qui fou-
tenoient cette caufe , & forcèrent le fénat de
faire acheter des grains en Sicile : on l’eut à bon
compte; & , pour dédommager le peuple de ce
qu’il avoit fouffert, un grand nombre de fénateurs,
touchés de la mifère générale , vouloir
que l ’état fît les frais d’une diftribution gratuite.
Cela encore n’étoit que jufte. Car enfin d’où
provenoient les fonds de Tétât ? N’étoit-ce pas le
fruit des conquêtes? Et qui les avoient faites ces
conquêtes ? N’étoit-ce pas la nation ? Et puifque
les fimples foldats avoient moins reçu que leurs
chefs dans les partages , l’humanité n’exigeoit-
elle pas que l’éiat leur donnât alors gratis, ce
qu’ils lui avoient procuré au prix de leur fang?
Cette année 261 , il y eut donc une grande
famine. Coriolan fe diftingua par fon oppofition
à la gratification propofée, & parla avec beaucoup
de force & de liberté fur les dangers de fouffrir
plus long-temps la puiftance du tribunal. Ces
difeours, prononcés en préfence même des tribuns,
les animèrent fortement contre ce patricien.
Il en rêfulta que fes violences eurent l’effet
de celles d’un de nos'arifiocrates modernes , qui
a infiniment nui au corps Jptrhuçl qu’il vouloit
défendre. Les tribuns faifirent cette occafion d’une
indignation générale, pour élever leur puiftance
& abaifler celle du fénat. Ils demandèrent & obtinrent
que Coriolan fût ciré devant le peuple.
Il y fut accufé d’avoir voulu, par la famine,
forcer les citoyens à fouffrir les fers & la fervi-
tu.de. On fent bien que Coriolan , quoiqu’un
fougueux ariftocrare, n’étoit ici qu’une caufe
fecondaire ; on v o it , dit M. l’abbé de Vertot
( Hijl, des Révol. rom, t. 1 ) , par les difeours des