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Italie , fous cent noms différons : ils l’ay oient rà-
vagée avant la fondation de Rome ; ils elnpe-
choient lés peuples de fe policer. Rome les combattit
long-temps , les vainquit, établit des colonies
nombreufes dans leurs territoires, cultiva leur
fo l , l’épée fur la charrue & le bouclier au bras.
Elle leur apprit malgré eux l’art d’enfemencer la
terre; elle porta fes conquêtes , fes inftruéUons,
des défrichemens du Tibre à l’Eridan de 1 Eriaan
au Danube & au Rhin.
Elle défendit aux Germains de paffer ces derniers
fleuves. Elle s’avança jufqu’au nord de l’Elbe ,
toujours défrichant la terre, fondant des colonies
, bêtifiant des villes, contenant les Barbares ,
leur enfeignant à labourer, leur impofant des tributs
de bleds , pour les contraindre à vivre agriculteurs
& à'ceüér leurs brigandages. |
Arles, Lyon , Strasbourg , Aix-la-Chapelle,
prefque toutes les villes du Rhône, du Rhin , du
Mein, du Danube , ont été fondées par fes colonies.
Les vignes qui font au bord de ces trois
fleuves ont été plantées par fesfoîdats , & données
enfuite aux habitans de ces cantons , pour. qu’ils
èn recueilliffent le fruit & le vin ,= & qu’ils s ac-
Coütiiniaffent à les cultiver.
Rome avoit défendu l’Italie aux Gaulois ; les
-Gaules aux Germains ; elle défendit aufli la Grèce
ries incürfions dés Barbares ; cinquante ans après
la mort d’Àlexandre-le-Grand, une foule de Gaulois,
de Baftarnes, de Thraces,. de Dalmates , de
fannoniens s’étoient jetés fur la Macédoine , l’a-
voient ravagée & traverfée fans, aucune réfiffance|
kc avoiènt voulu piller le temple de Delphes, que
l ’Athénien Calliope défendit contre eux, en les dê-
faifant au paffage des Thermopiles.; & depuis ce jour,
ils inquiétèrent toujours la Grèce , jufqu’au moment
où les confuls de Rome, vinrent enchaîner
les rois de ces contrées, & repouffer les Barbares."
Ce projet d’interdire îe midi aux Barbares, avoit
été fi bien formé par le fénat, qu’il défendit au-
conful C. Caffius , de paffer de la Gaule Cifal-
pine dans la- Macédoine, de peur qu’il n’enfeignât
aux Barbares, de nouvelles routes pour entrer dans
l’Italie ou dans la Grèce.
■ ' Enfin, Rome -ayant étendu fes conquêtes du
Font-Euxin à l’Océan Germanique , elle porta des
légions, elle éleva des murailles, elle forma une
ligne de.défenfe qui s’étendeit des embouchures
du Danube à celles du Rhin , afin que le midi
fût fermé aux incürfions de ces brigands fepten-
trionaux, qui, incapables de tout travail, ne cher-
choient qu’à recueillir où ils n’avoient point femé,
& dont les mains ftériles verfoient par-tout, fur
leur paffage, la famine, la defini élion & la mort.
■ Voilà ce qu’a fait, Rome , Rome dont les conquêtes
furent le moindre mérite;Rome , qui expia
par fes le ix , par fes mfiru&ions , par le foin qu'elle
p r it de cultiver, de peupler la terre, le fang qu’elle
j-épandit & les pleurs qu.’elle fit couler.
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Ce béau projet -d’écarter, les Barbares, forrrf&
par le fénat prefqu’à la naiffance de la république ,
(en 387 avant J. C .) fut conftamment fuivi &
réufîir pendant près de 800 ans ; & il ne fut pas ren-
verfé par la valeur des peuples feptentrionaux,
mais par l’imprudente permiffion que Valens (an
de J. C. 376 ) accorda aux Wifigoths de paffer-
le Danube & d’habiter fur les terres de.l’empire.
Il fembloit qu’il fut de la defiinée des Romains,
de n’avoir à craindre qu’eux-mêmes. .
Fautes , abus, imprévoyances.
Pinson réfléchit fur cette foule de grands homme*
que les comices placèrent à la tête de la république,
à la fréquence des affemblées du peuple, à.
la facilité d’élire un diélateur pour réformer les
abus, à la puiffance des tribims , pour les empêcher
de naître, au droit qu’avoient lescenfeurs de
connoître des délits publics & particuliers, de les.
publier & de les réprimer ; plus on s’étonne qu’une
telle république ait fini , & fur-tout qu’elle ait fini-
èn moins de cùrq cents années.
Mais il faut confidérer que dans cette grande
révolution, Tétât ne périt point, qu’il ne perdit
pas une province , qu’il ne fut ni fubjugué nï
divifé , qu’il ne fit que changer de régime, &
qu’il n’en changea qu’à une époque où il ne pou—.
voit plus garder , fans périr, celui qui Tàvoit élevé.
Quelle que fôit la conftitutiôn du corps-politique*
il n’y a que la paix qui la conferve.. A Rome ,,
les comices & le barreau refpiroient la guerre,
aufli-bien que les camps. Si celui qui avo t fiibju*
gué une province réntroiî en triomphe dans Rome ,
celui qui avoit bien parlé.dans les comices, ou a»
fénat, ou au tribunal du préteur, étoit ramené
chez lui en triomphe par fes. cliens & par le
peuple.
Tous les matins les cliens fe rendoient chez leurs
patrons ; ils y trouvoient un déjeuner tout prêt;
Dans lés commencemens de la république , ce ri’é»
toit qu’une firaple corbeille chargée de fruits : quand
les patriciens eurent des provinces dans leurs clien-
telles , ils donnèrent un feftin ; lorfque les cliens
forent trop nombreux, les payons leur donnèrent
en argent leur part du fèftiü. Ce repas, cet argent
& la diftriburioU de bled & d’huile que le fénat,
& , depuis., les empereurs faifoient tous les jours
aux pauvres citoyens, expliquent comment les
prolétaires & les cxipitc em.fi p envoient fobfifter fans-
I cultiver les arts mécaniques. Cette fiîbfiflance
fuffifoit dans un climat .doux,. qui invite à 1a
i fôbrîêté'^k qui difpenfe prefque de fe vêtir & de
j fe loger.
Mais cet ufage afferviffoit les cliens à leur patron
ils le fuivoient ja vec fes èfelaves & fes affranchis,
jufqu’aux portes du fénat ; ils Ty àttendoien t ;. ils.
lui formoient une éfeorte propre à foutenir fes.
prétentions , dans f e s comités 7 comme fes ordç^s
I dans les combat.
' Toutes ces inftitimôns développoient 'tellement
les paflions, qu’aujourd’hui même encore on -ne
lit point cette.: hiftoire fans fe paflionner.
- Pliis la conftitution du corps politique étoit
propre à enflammer l’ambition , à infpirer à la jeu-
neflè l’amour des combats , des diffenfion s , des
conquêtes, plus elle devoit imprimer aux coeurs1
naturellement ambitieux, le defir de dominer dans
Rome & d’aflervir la république.
Un peuplé roi; eft un fouverain qu’on flatte ,
qu’on trompe & qu’on détrône comme un autre,
quelquefois même plus aifément.
Le fénat trompa le peuple romain quand il l’engagea
à multiplier fes tribims. Le peuple ne vit
pas le piège; il crut que plus il auroit de défen-
feurs , mieux il feroît défendu. Ce fut lé contraire;
La puiffance des tribuns s’affoiblit en fe divifant.
Le fénat les oppofa les uns aux autres. Leurs avis
, eontradiéfoires ne furent plus un veto refpe&able.
Le s tribuns, choifis parmi les plus riches ou les plus
notables des plébéiens, dans des familles alliées aux
patriciens & aux fénateurs, eurent bientôt plus
d’intérêt à complaire au fénat qu’à fervir îe peuple.
Ainfi cette puiffance , qui devoit rendre la république
une pure démocratie, qui donna force de
loi aux plébifcites, & qui“ força le fénat d’obéir à ;
ries loix auxquelles il n’avoit aucune part ; cette
puiffance ■ n’empêcha pas la république de dégéné- ,
rer en àriftocratie.
La profpérité de l’état multiplia les inconvéniens.
Rome fut, de toutes les républiques de la terre ,. la
‘moins, avare "de fon droit de citoyen. Elle le donna
dans fes murà, à tout étranger qui ne cultiva ni
les arts ni le commerce; elle l’accorda hors de
fes murs, à des peuples entiers.
• Cette générofité contribua encore à fes fuccès*
On defira ce nom ; & le defir de l’obtenif, tint
dans la foumiflion les éfprits les plus ambitieux.
Elle le refofa courageufement à ceux de fes alliés
qui le lui demandèrent des armes à la main. On
ne, put donc y prétendre qu’en la fervant.
Toutes les villes qui le reçurent n’obtinrent pas
le droit de voter dans fes comices ; mais beaucoup
trop l’obtinrent.
Le nombre des citoyens inferits dans les trente-
cinq tribus urbaines ou rurales , s’étant prodigieu-
fement multiplié , les cenfeurs purent, difficilement
dénombrer cette multitude immenfe. Ils
firent une grande faute, dont ils ne prévirent pas
les conféquences ,'îorfqu’après la guerre de Macédoine
, ils confentirent que les citoyens de Rome
ne payaffent plus d’impôts , & que ce fardeau léger
, quand il eff porté par tous, ne pefàt plus que
fur ceux qui ne jouiffoient pas du titre de citoyen.
Alors, au lieu de Tordre juffe & naturel qui
faifoit fupporter les charges à ceux qui jouiffoient
ries avantages, ou eut un ordre inverfe de la juf-
tice & de la raifon, qui fit porter les charges de
l ’état à ceux qui »’ej» retiroient aucun dédommagement.
Alors Tes préteurs ,' les quefjéurs , les chevaliers
qui tenoient à terme tous les revends de la république
, & tous les autres agens du fife , fe périr.i*
relit des rapines & des vexations qu’ils n’auroienf
jamais ofé commettre envers les citoyens.;
les citoyens, qui ne craignoient pas que de tels
abus rejailliffent fur eux; les virent avec indifférence.
Les citoyens étant exempts de toute impofition '
les cenfeurs n’eurent plus le même intérêt à faire
le dénombrement des biens , dénombrement qiie
l’amas des ricliefîes mobiîlaires accumulées dans
Rome, rendoit auifi difficile qu’il Tavoit été peu
quand il ne s’agifloit que de connoître des biens
(territoriaux.
Long-temps avant que ces richeffes euffent abruti,
ou -,-comme on dit ordinairement -, corrompu les
moeurs des Romains, Tes cenfeurs avoient étrangement
ofé de leur pouvoir.
Prefque tous les traits que Thiffoire en rapporte ,
font des abus ou des vengeances. Le dièlateur
Mamercus Emilius, ayant réduit la durée de la
cenfure à dix-huit -mois fut dégradé par la vengeance
des cenfeurs. Nom-feulement ils Tôtent de
fa tribu , mais ils le condamnent a payer un impôt
que né pâyoient pas 'les citoyens de Rome & ’
ils grèvent fes ; biens d’une impofition huirVois
plus forte qu’ils ne dévoient l’être. Le peuple indigné,
voulut punir les cenfeurs: Marmercus intercéda
pour eux.
Les cenfeurs,,comme, le dit Tite-Live s’ac«
cordoient rarement, & la diverfité de leurs-avis
rendoient leur mag-ifirature moins terrible. M. Li~
vius & Claudius Nérô fè dérefioient : ils . étoient
tous deux de Tordre des- cHévaiiêrs ; ils fe dégradèrent
réciproquement, «t chacun fit ôter à l’autre,
le cheval qu’il tenoit de la république.
Livius donna un exemple de vengeance unique
dans Thiffoire - du monde- ; il dégrada trente-quati e
des tribus de Rome, & les"condamna à l’amende
en difant qu’elles étoient coupables de Ta voir condamné
quelques années auparavant, quoiqu’il fût
innocent, ou qu’elles Tétoient de l’avoir élu depuis
pour conful & pour cenfeur, quoiqu’il fût criminel«
Quelques années après, M. Porcins Caton, fi
fameux foiijje.nom de ctnfimr, ofa dégrader le féna»
teur MamiIîi^fi'pour avoir, difoit-ff, donné un baifer
à fa propre femme devant fa fille , quoiqu’à Rome
chacun baifât fes parentes fur là bouche, en quel«
que lia 11 qu’il les rencontrât.
Il faut bien que ees traits , fi vantés dans les
livres , aient affoibli, dans Tufagê, Tautorité de la
cenfure, car les- M ar in sle s Sylla , les Catilina.,
les Saîufte, les C.ëfar , le§ Antoine, -qui eurent
une jeuneffe fi dépravée , ne forent pas dégradés
par lis cenfeurs , dont là fermeté-eût faûvé la république
, s’ils eufienr fait" leur devoir.
Les cenfeurs pou voient bien punir quelques
particuliers ; mais Tétât avoit befoin, non pas-
* d’une réforaie , comme le difoient les partifims de^