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bèïenné , cherchciî tous les moyens de Satisfaire 1
la paffien criminelle. Ses premières tentatives
n’ayant pas réulïi, & croyant tout poflîble au
xfégré de puiffance qu'il avoit ufurpé , il fit revendiquer
cette jeune fille , comme étant efclave
d’un certain Claudius, homme corrompu & lâchement
dévoué à fa perfonne. L'affaire fut portée
au tribual cl’Appius: il ordonne que la jeune Virginie,
qui avoir comparu avec fon père, feroit
rendue à fon prétendu maître. Les li&eurs alloiènt
s’en faifir , iorfque fon malheureux père , ne
voyant pins pour elle de milieu entre une prompte
mort, & des jours couverts d’ignominie , fai-
fit un couteau, le lui plongea dans le coeur &
courut vers-le camp , montrant par-tout ce fer ensanglanté.
Ils exhorta les foldats à l'aider dans fa
vengeance, & à profiter de cette occafîon pour
recouvrer leur liberté. Dans le même temps, Ici-
lius & Numitorius , l’un amant, l’autre oncle de
Virginie j en faifoient autant à Rome. Ils promenèren
t le corps de cette infortunée dans les principales
rues ; en fuite* ils allèrent joindre l’armée
commandée par Fabius x & foulevèrent tous les
efprits.
Audi-tôt, les foldats quittent leur générât, reviennent
à Rome, &_campent fur le mont Aven-
îïn. L’autre armée en fait autant: on fe retire fur
le mont facré. La plus grande partie du peuple
les ayant été joindra, ils ne promettent de revenir
dans la ville qu’à condition que l’on abolira
les décemvirs , & que fon éjira des tribuns
du peuple. Tout étant convenu avec le fénat,
chacun rentra dans Rome. Virginiiis, Icilius &
Numitorius furent élus tribuns. Valêrius & Hora-
tius, îlîuftres fénatèurs qui avoîent beaucoup influé
dans la révolution , furent revêtus du confulat, &
peu après que les tribuns furent entrés en charge,
ils poufuivirent les décemvirs, & Appius fur-tout,
qui mourut en prifon. On, ne fait pas s’il périt
par. ordre de Virginiiis* ou s’il ne fe défît pas
lui-même, pour échapper à l’ignominie d’un fup-
plice fi juftement mérité : fes collègues éprouvèrent
à-peu-près le même fort. On approuva
en fuite les deux dernières tables de loix : elles furent
jointes avec lés autres, & compofèrent ce
code appelé depuis loix des dou\c tables.
Les deux confuîs remportèrent de grandes victoires
fur les ennemis de la république. Valérîus
défît les Eques ; Horatius , les Sabins. Le fénat
leur refufoit les honneurs du triomphe ; mais le
le peuple les leur accorda. Ils fe rendirent l’un &
Fautre très-agréables, au peuple, en portant différentes
loix qui abailToient la puiffance confulaire ,
& relevaient celle de tribuns.
Il fe paffa quelques années dans ene tranquillité
aiTex confiante. Si quelques petites guerres en interrompirent
le cours , la vifroire qui les fuivit,
rétablit prômptemeht l’ordre. Les Eques & les
Yoifques s’armèrent de nouveau, ravagèrent les
tacapagnes latines,& vinrent jufqueafur le terri*
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totre de Rome. Ils furent battus dans une batalll*?
fanglante, & dont on dut le gain à la valeur & à l’intelligence de Sulpicius , (général de la cavalerie
, qui fiirprit les ennemis par derrière.
Peu après , le peuple romain fe déshonora par
un jugement inique. Les Ardéates & les Anciens
fe difputoient un terrein d’une certaine étendue:
ils prirent le peuple romain pour juge. Ils eurent
bien lieu de fe repentir de leur confiance. On
fit intervenir un vieillard de 83 ans, qui prétendit
avoir connoiffance que ce terrein étoit une
dépendance de Coriolles ; & d’après fon témoignage,
la république fi? l’appropria.
Les plus grands maux de Rome fe formèrent
toujours dans fon fein ; & toujours ils avoiem
pour caufe l’ariftocratie des grands & les prétentions
quelquefois outrées des tribuns. Dans Toc*
cafion préfente, elle n’étoit que très-raifonnable,
ce me femble. La divifion rigoureufement marquée
entre les patriciens & les plébéiens , entre-
tenoit un efprit de corps qui devenoit, fi l’on
peut employer cette exprdfion, une haine politique.
Afin de la faire cefler, & dé tendre à
rapprocher infenfiblçmentles efprits«, Canuléius,
l’un des tribuns, propofa d’abolir la loi qui inter-
difoit les mariages entre lés familles patriciennes
& lés familles plébéiennes. Il alla plus loin ; il
propofa qu’il fut permis au plébéiens d’afpirer au
confulat, dont jufqu’alors les patriciens étoienu
feuls en poffefiion. Le fénat fort embarraflé, accorda
l’abolition de la loi concernant les mariages 5'
mais il ne voulut pas cohfentir à ce que lapremière
dignité de l’état pût être pofledée par des citoyens
du peuple. Comme fi les Appius , & tanfe
d’antrês-’n’étoiént pas.cent fois au deffous des plé*
bléïens.qui montaient des talens & des vertus.
Les peuples voifins , informés de ce qui fe paf*
foit à Rome, faillirent cette -oc cafion pcmrffe je :e# -
fur les terres de la république. La confufion s’aug-
mentoit avec le danger. Le fénat preffôit le peuple
de prendre les armes : les tribuns s’y oppo-
foient, jufqu’à ce que l’on eût adhéré à leur demande
enfin on imagina un expédient pour con-
ferver les droits du fénat & les intérêts du peuple,,
du moins pour le calmer par la ceflion apparente
d’un pouvoir tel qu’il le defiroir : ce fat d’élire
des tribuns militaires, avec la-puiffance du confulat
, lefquels pouvoient être choifis indifféremment
entre les plébéiens. Cette proportion plut,
au peuple, qui, toujours plus raifonnahle & plus,
modéré que ne feignent de le croire ceux qui
gouvernent , fe contenta du droit d’élire des.
plébéiens , fans en abufer. Probablement il ne s’eni
trouva pas dont le mérite, contre-balançât celui
des patriciens qui étoient fur les rangs : Les trois,
tribuns militaires ( en 309 ) , furent choifis entre
les patriciens. Ils abdiquèrent au bout de trois
mois. On leur fubffitua des confiais.: c’étoit revenir
à l’ancien régime.
L’aanée fiuvante ( | io } , on créa à Rome une
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Nouvelle magîftrature : ce fut celle des cenfeurs.
Rome fut allez tranquille pendant trois ans : elle
appaifa des troubles furvenus dans Ardéa ( 311 ),
&. repeupla cette ville , que la guerre avoit
privée de la plus grande partie de fes habitans,
Mais il s’éleva de nouvelles diflenfions entre les
tribuns & les fénatèurs, au fujet des terres que
l ’on avoit accordées aux habitans d’Ardéa. Ces
maux n’étoient que les avant - coureurs de ceux
qui, peu ^près , défolèrent la ville.
La famine (en 3 13 ) , répandue dans le territoire
de Rome, y occafionna ia pefte ; & ces
deux fléaux' réunis en favorifèrent un troifième,
les féditions,
L. Minucius, intendant des v ivres, diflipoitle
plus qu’il lui étoit poflible , ces troubles domefti-
ques } il pallioit les effets du mal, mais fans pouvoir
en détruire la caufe. La mifère devenant plus grande
de jour en jou r, plufieurs perfonnes , aveuglées
par le défefpoir, le précipitèrent dans le Tibre.
C e trait fuffit pour juftifier prefque- entièrement
la conduite des tribuns. Car enfin, qu’eff-ee que
c ’eft qu’un gouvernement où les grands ont les
richeffeSjOÙ le peuple eft dans-leur dépendance,
& que là mifère & la privation de fes droits détermine
à quitter la vie ?
Dans ces circonftances, un chevalier romain ,
nommé Moelius, crut pouvoir profiter de fes
richeffes pour fe mettre à la tête de la république.
Par Une libéralité que fa conduite paffée
rendoit fort fufpêâe , il raifoit diftribùer beaucoup
de bled au peuple, & fe ménageoit ainfi les efprits,
pour parvenir à l’exécution de fes deffeins cachés.
Minucius les pénétra : averti de plus que l’on
portoit de nuit chez le chevalier romain des armes
en grande quantité , ilaflembla le fénat, expofa le
danger. Aufli-tôt on nomma un diâateur : ce fut
Q . Cincmnatus. Ce vénérable vieillard, l’homme
de reflburce de la république, parut au milieu de.
la place, fur fon tribunal: de-là il dépêche Servius ,
général de la cavalerie, pour ordonner à Moelius
de comparoître. Celui-ci, craignànt d’être la victime.
d’une obéiffance trop prompte, & ne voulant
pas déceler fes projets par un refus trop marqué
, balança quelque temps de fe rendre aux
ordres du difiateur. Servilius , fentant la caufe de
ce délai, ordonna au lifieur de le faifir. Le chevalier
fe retire ait milieu de la populace , & tâche
de l’intéreffer en fa faveur. Alors le général de
la cavalerie s’avance, met l’épée à la main , pour*
fuit Moelius, l’atteint & le tue fur la place. Le
difiateur, cela eft tout fini pie', donna de grandes
louanges à Servilius ; mais ce qui doit concourir^
l’éloge du peuple, de quelque ration que ce foit,
c’eft que cette mort, ayant été préfentée comme
jafte , tant parce que le dictateur avoit par fa
place un pouvoir abfolii, que parce qu’on regarda
Moelius comme un mauvais cit03'en , n’excita pas
un foulévement général. Le refpefi pour les loix
& l’amout de la patrie continrent le peuple & l’ern-
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pêchèrent de venger la mort d’un homme qui
fe montroit fon protefieur, en lui faifant du bien.
On lui diftribua le bled trouvé dans -les greniers
de Moelius. Il eût mérité fon fort, ne fût-ce que
pour avoir précédemment emmagafiné des grains ,
& par-là contribué à la famine. Et fans doute,
dans ce gouvernement oppreffif, il n’étoit pas
le feul coupable de ce crime.
Pour ne pas exciter les efprits à la révolte j
les hiftoriens Làtiqs difent, pour ne pas trouver
un trop grand nombre de coupables , qu’on ne fit
aucune pourfime contre les complices. Les tribuns
, qui fe plaignoient hautement d’une punition
de ce genre, qui n’avoit été précédée par
aucun jugement, menacèrent Servilius de le faire
précipiter du haut de la roche Tarpéïenne, pour
avoir tué un citoyen dans le fein de fa parrig.
La même conduite des tribuns fe manifefta encore
lors de l’éle&ion des confuls. Ils empêchèrent
que l’on en nommât cette année, & firent élire
des tribuns militaires. Mais, puifqu’ils avoient
été a fiez puîffans pour empêcher îéleâion des
confuls, on ne peut guère croire ce que difent
les hiftoriens, que ce fut malgré les tribuns du
que les tribuns militaires furent choifis dans la
la noblefle.
La défeélion des Fidénates ( an t 313 ) , qui fe
donnèrent aux Véïens, & le maffacre des am-
bafiadeurs Romains, qui alloiènt leur en demander
raifon , mirent le peuple dans la néceffité de
reprendre les armes. On nomma deux confuls :
ce furent M. Geganius & L. Sergius. Celui - ci ;
chargé de faire la guerre à Tolumnius, roi des
Véïens, lui livra bataille en-deçà de l’Anio. Les
Romains eurent l’avantage ; mais ils perdirent
beaucoup de foldats. Comme on ne voulut pas
laiffer à la tête de l’armée un général fi prodigue
de fang, on nomma diâateur Mamercus Emilius.
Ce ne fut pas lui qui retira le plus de gloire de
cette campagne, mais A. Cornélius Coffus. Il
tua de fa propre main Tolumnius, & fe fit un
trophée des armes de cet ennemi. Ç ’étoit la fécondé
fois que les Romains remportoient des dépouilles
opimes.
L’année fuivante il y eut des tremblemens de
terre. On ordonna des prières publiques. Sous
les confuls Julius Julus & L. Virginiiis, les Fidénates
& les Véïens joignirent leurs troupes &
ravagèrent les campagnes romaines. On nomma
un dictateur : ce fut Q. Servilius Prifcus. Il défit
les ennemis près de Numemum, & s’empara de
Fidènes. Cette conquête lui mérita le furnom de
Finèdate , qu’il tran finit à fa poftérité.
Dans la guerre qui fuivit ( ans 317 & 3 1 8 ) ,
on nomma encore un dictateur, fur un faux bruit
que l’ennemi allait prendre les armes.
Emilius ( 319 ) , dont la charge reftoit fans
a&ivité, puifque la guerre n’avoit pas lieu , voulut
cependant faire ufage de la dignité qui lui
avoit été confiée. Il propofa une loi pour abrège«