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ligueur des faifons. Le Caftor au contraire,
conforme favorablement, mais moins heu»
reufement que le Singe, habitant des climats
froids , ou la rigueur des hivers , la
crue des eaux , le mettraient dans le cas de
périr , fent le befoin de prévenir la-mifère
a laquelle il ferait-expofé ; il conftruic des
digues, il forme une enceinte , il y conduit,
il y raffemble des vivres pour les tems de
difette : obfervons en même- tems que leSinge
fe reunit en troupes , qu elles ne font en
commun , comme les membres qui la composent
en particulier , que turbulentes , que
chaque individu y agit & varie fes aâions,
fuivant fon caprice , & fans uniformité; que
le Caftor , au contraire, forme des fociétés
tranquilles , dans lefquefles tout elt réolé ,
chaque membre fuit un travail continu” &
tous un plan général. Nous verrons que parmi
les infeâes , les. travaux fout de même en
raifon des befoins, du nombre, & de la forme
des parties. Ainfi l’Abeille folitaire , conformée
comme l’Abeille qui vit en fociété ,
creufe un trou, le partage eji cellules, amalfé
des vivres dans chacune , y pond un oeu f,
& fon travail eft fini, elle a pourvue à la
fubfiftance de fa poftérité-, qui n’a pas befoin
d un logement plus -commode , & quTremplira
elle-même les befoins qu’eile éprouvera
: dans cette clalfe , chaque individu
ayant un fexe , les jeunes mères pourvoiront
aux befoins des petits-, auxquels elle donneront
nailfance ; mais la poftérité de l'Abeille
qui vit en fociété , a des befoins quelle
ne remplirait pas elle-même ; il lui faut une
cellule ou un berceau, qui exige plus de travail
-que le trou dans lequel la poftérité de
l’Abeille folitaire eft commodément: il.n’y
a , parmi ce-genre d’ infeâes , qu’un petit
nombre de femelles , il n’y en a qu’une par
famille ; elle ne pourrait préparer les cellules
néceffaires pour chacun de fes petits, & leur
donner , quand ils font nés, les foins que
leur état exige; les individus fe réüniflènt
en fociété pour fubvenir en commun , aux
befoins plus nombreux, néceffaires pour la
confervation de leur efpèce. Les travaux , la
réunion en fociété , font donc parmi les animaux
en raifon, ou des befoins réciproques
des individus , comme parmi les Caftnrs, ou
des befoins de la poftérité , comme parmi
les Abeilles, & en raifon en même-rems
des moyens d’exécuter. Les animaux plus
grands que le Caftor, & ceux qui font intermédiaires
entre lui & les infeâes, donc
un grand nombre eft laborieux , exécutent
fort peu , parce que la plupart manquent de
parties conformées d’une manière propre
pour agir : il eft probable que la nature qui
a déterminé leur conformation , ne les laiffe
pas fouffrir de leur inaâion, qu’elle les a
dédommagés ou par une conftitution plus
forte , ou par des éqüivalens. Ainfi ceux
quelle couverts de poils ferrés , d’un duvec
épais , & de plumes lî propres à conferver
la chaleur , n’ont pas befoin de préparer ni
pour eux , ni pour leur poftérité , un abri aufli
alfuré contre la rigueur des faifons , & l’attaque
de leurs ennemis que les infeâes qui
font nuds; il leur fuffit de pofer leurs petits
mollement , de fe coucher ou fur eux , ou
près d’eux pour les échauffer ; ils font à portée
de les défendre , & de leur fournir les
alimens néceflaires ; enfin les mères furvivenc
à la naiffance des petits, & elles peuvent pour-
\ voir à leurs befoins ; mais les infeâes n’exiftent
plus quand leur poftérité naît; il a fallu prévoir
fes bef ins, la garantir contre l’intempérie des
faifons , contre la rapacité des différens animaux
, & la placer ou dans un lieu cù elle
Trouve des alimens, ou en raffembler dans 1 endroit où elle doit naître. Ces exemples
fumfent pour démontrer que l’affociation ,
les travaux , font en raifon des befoins :
l’examen des mouvemens fera voir que le
travail eft en même-tems une fuite du nombre
& de la conformation des parties.
L’aâion la plus ordinaire des animaux fur
les objets à leur portée, eft le mouvement
par le moyen duquel ils prennent eux-mêmes
de la nourriture , ou ils en fourniffent à leurs
petits. Nous avons parlé de cette aâion en
tiaitant des rapports entre- la nature des alimens
, & la forme des parties qui fervent
à les prendre. Je n’ajouterai que fort peu- à
p r é l i m i n a i r e . c x y
ce que j’en ai dit. Les quadrupèdes qui ont des
clavicules apparentes ( dit un célèbre anato-
miftè, M. Vicq-d’Azir, en a reconnu dans
beaucoup de quadrupèdes ,' qu on avoir cru
en manquer ) qui font fifïipedes , qui -ont
l’habitude de redrefTer la partie antérieure
du corps, &. d’accroupir la partie poftérieure,
tels que les Singes , les Makis , les Sarigues,
les Ecureuils, les Rats, les Souris , &c. fai-
fiflent leurs alimens avec un des pieds de devant
, les retiennent en les preffant entre
leurs doigts qu’ils courbent, & la plante de
leur pied, fi leurs doigts font longs & flexibles
, comme ceux du Singe ; en les tenant.
entre la plante de leurs deux pieds de devant
approchés l’un'de l’autre, fi les doigts font
courts & peu flexibles, comme ceux des
Ecureuils, des Rats g de quelque façon qu’ils
les tiennent, ils les portent à leur gueule ,
& les préfentent entre les dents : parmi les
oifeaux , le perroquet dont les doigts font
longs & fort flexibles, faifit. de même fes alimens
avec un de fes pieds , & les porte également
à fon bec. L ’ Eléphant abaifle les branches'
& les plie jufqu’à la portée de fa
bouche , pour, en détacher les feuilles , &
peut-être aullî les fruits, il arrache de terre
les racines avec fes_.défenfes , il les ramaffe
avec fa trompe, & les porte à-fa bouche.
L’aâion des animaux que je viens de nommer
, fur leurs alimens, la manière de les
prendre dépend donc d’une conformation
qui leur eft particulière.. Les autres quadrupèdes
approchent leur bouche des alimens
qti’ils Veulent prendre les carnivores les faillirent
de leurs dents , qui font longues, acérées
& tranchantes ; ceux qui paiffent, raf-
femblent avec leur langue l’herbe éparfe ,
la pincent entre leurs lèvres , tandis que leurs
dents en féparenr la fommité du bas de la
tige. Mais je répéterois ce que j’ai déjà dit,
& je renvoie à l’article que j’ai indiqué plus
haut.
Après le befoin de prendre des alimens,
le plus preffant eft de fe garantir foi & fa
poftérité, de l’inrempérie des faifons ; du
choc des corps; en mouvement & de l’attaque
de fes ennemis. Un petit nombre de
quadrupèdes fe prépare un afyle; il le cherche
& le trouve dans -là terre qu’il fouille.
Aucun n’édifie à fa furface & ne s’y prépare
une retraite, parce qu’aucun n’en a
les moyens. Les quadrupèdes qui fouillent
la terre pottr fe réfugier dans les cavités,
qu’ils y ont creufées font fijjip'edes. Leurs
doigts font armés d’ongles forts & longs ,
peu courbés, propres à fouir la terre, &
fort différens des griffes arquées, tranchantes
& acérées des quadrupdès carnivores ; ils
font eux-mêmes foibles, expofés à la pour-
fuite d’un grand nombre d’ennemis & fans
défenfe ; tels font le Lapin, le Mulot, le
Rat, la Souris, le Tatou, &c. expofés fur
la terre à la pourfuite des quadrupèdes carnivores
, des oifeaux de rapine avides de leur
chair, fans défenfe contre ces ennemis, la
plupart plus puilfans qu’eux par leur mafle
& leur force individuelle , & tous armés
avantageufement, ils feraient fans cefle
en danger; ils cherchent donc un afyle qui
les dérobe à la vue & à la pourfuite de leurs
ennemis : le Lapin fe réunit & forme une
forte d’aflociation pour le creufer , ou plu-,
fieurs fe raflemblent- de concert au même
endroit, & s’y préparent une retraite en
commun, parce que le volume du corps
exige, dans cette efpèce , une cavité fpa-
tieufe & profonde pour s’y loger, que la
fouille en ferait pénible pour un individu
feul , qu’à proportion qu’elle eft poulfée plus
profondément, l’afyle eft plus fur, & parce
qu’on n’y tranfporte, on n’y raffemble pas
de vivres -, que ceux dont on fe nourrit,
répandus aux environs de la retraite , fuf-
fifent aux befoins de l’aggrégation. Le Rat,
la Sarigue, & les autres quadrupèdes de cette
clalfe ne fe réunifient point pour fouiller
la terre',: quoiqu’ils s’y réfugient dans des
trous, parce qu’à proprement parler ils ne
la fouillent pas, ils agrandiffenr feulement
des ouvertures qu’ils trouvent déjà faites,
ils fe contentent d’un efpace où ils trouvent
feulement à fe loger , & où ils fe tiennent
près de l’entrée ; parce que leur goût pour
la chair, leur voracité extrême-lés tendent
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