
Les précautions, dont je viens de parler,
ne peuvent .être qu’utiles en tout terris,
mais elles fetoient fur-tout nécelTaires dans,
les années pluvieufes : elles font relatives
au lieu d’éducation , Si -contiennent les
moyens qui m’ont paru propres à diminuer
les effets immédiats de l’humidité-fur les
Vers; il me relie à parler des moyens de
diminuer les effets de la mauvaife qualité
des feuilles en ces mêmes années.
Les feuilles nuifent par la furabondance de
leurs fucs , qui font cruds aqueux , Si fur-tout
par l’humidité , ou l’eau qui couvre leurs fur-
faces , qui remplir leurs pores. Ces feuilles
fouvent cueillies par la pluie , ou en étant
encore couvertes Si pénétrées , diftribuées
dans cet état aux vers , les morfondent par
le froid de leur cohtaél , les environnent
d’une atmofphere froide & humide qui s’élève
de leur amas , Si qui fe mêle à celle du
lieu d’éducation. 11 réfulte uu très-grand mal
de ce ptemier inconvénient ; la mauvaife
qualité des fucs ne produit pas un moindre
mal; ils relâchent Si tuméfient les vaifleaux.,
ils y forment des engorgemens Si s’y corrompent
; d’où fuit la maladie appellée pourriture.
11 faudroit donc ou ne cueillir les feuilles ,
s’il étoit poffible, qu’après qu’elles atiroienr
été relfuyées par quelques heures fans pluie,
ou par quelques rayons de foleil ; ou il faudroit
les étendre fur des claies à trois ou quatre
pieds de - terre fous des hangards , Si les
JaifTer relTuyer avant de les donner : plus
elles refleroient fous ces hangards , moins
elles feraient mal faifantes. On éviceroit certainement
la morfondure occafionnée par le
contait d’une feuille couverte d’eau , Si dont
les pores en font remplis : ce feroir remédier
au premier inconvénient ; mais les feuilles
tranfpirent, comme on fait , fi abondamment
que quelques heures de féjour fous le
hangard fuffiroient non - feulement pour
sécher feur furface , pour vuider leurs
pores, mais même pour évaporer une partie
de la furabondance aqueufe de leurs fucs.
Elles abonderaient donc beaucoup moins
en eau , & leurs fucs en produiraient d’autant
moins de mauvais effets.
Ce que je viens de propofer n’eft pas fondé
feulement fur la théorie & le raifonnemem,
mais' fur l’expérience. En 17 7 6 je paffai
toute la faifon de l’éducation des Vers , à
dix-huit lieues de Paris, près la ville de
Dreux , à la terre de M. Rouflil de Cham-
feru. Ce vertueux citoyen après avoir, pendant
trente ans , exercé avec diftindtion la
profeffion d’oculifte, avoir tranfmis à fou
fils , docteur en médecine , fes connoilfances
& dépofé, entre fes mains , le foin de fervir
les concitoyens, s’eft retiré à fa terre de
Chamferu ; il y donne fes foins & des mé-
dicamens gratuits aux pauvres des environs ,
& s’y occupe dans fou loifir de cour ce qui
eft relatif à l'économie rurale , en particulier
à l’éducation des Vers à foie. M. de
Chamferu a fait faire de nombreufes plantations
de mûriers ; fa maifon eft vafte , il
en a confacré une partie du comble à un
lieu d’éducation,-qui forme une affez longue
galerie : un des côtés des murs eft plein ,
il n’y a d'ouverture à l’autte qu’use porte
d’entrée ; des tablettes avec un rebord, attachées
aux murs dans leur longueur, à une
diftance convenable, au-deflus les unes des
autres, fervent pour placer les feuilles &
les Vers ; deux croifées ficuées, Une à chaque
bout de la galerie, l’éclairent & fervent à
y renouveller l’air ; un poêle dont le tuyau
eft entouré d’une large doublure de fer
blanc, & fort à travers le comble, eft placé
au milieu de la galerie, à peu près vis-à-vis
la porte d’entrée ; quatre thermomètres, un
à chaque bout-, deux au milieu indiquent
le degré de chaleur.
C ’eft dans le lieu que je viens de décrire
que AL de Chamferu élève des Vers tous
les ans. En 17 76 , l’éducation fut de quatre-
vingts mille , ce qu’on connoît par le poids
des oeufs ou de la graine qu’011 a mis éclore.
Une fille qu’on avoit envoyé palfer-en. Provence
plufieurs aimées pour y apprendre la
conduite des "Vers ôc la filature des cocons,,
préfidoit à l'éducation, ordonnoit aux autres,
domeftiques fous l’infpe&ion du maître. On
pratiqua, fui vant te befoin , les di ver fes
précautions dont j’ai parlé , foie pour le lieu
d’éducation , foie pour le foin de refibyer
les feuilles avant de les dillribuec j ces pré?
tau cio ns furent fouvent employées ôc eurent
un plein fuccès. Tout l’été , ôc en particulier
le tems de l’éducation, fut mauvais.
Le tems fut eu général froid ; il tomba une
grande quantité de pluie, fouvent pendant
des journées entières ; il y eut de freqtvens
orages abondant en eau mêlée de grele ,
avec de foibles coups de tonnerre ; le vent
fut prefque continuellement à l’pueft ou au
nord-oueft. Ce dernier ramenoic de la fe
rénité à laquelle fuccédoient prefqu’aufli-tôt
de nouveaux orages fyiyis de pluie pendant
deux ou trois jours , ôc le vent tournoit
alors à l’oueft ou au fud-oueft. La meme
difpofition pluvieufe Ôc froide fut à peu près
générale , & la récolte de la foie fut tres-
mauvaife, même dans les provinces méridionales
1 le prix de cette préçieufe mar-
chandife doubla à l’automne. Cependant
Mv cta Chamferu perdit peu de V er s, il
eut la quantité de cocons ôc de foie que
quatre-vingts mille Vers produifent annee
commune. Une, partie de fa foie avoic ete
dévidée-à la fin de feptembre j quand je
revins à Paris ; il m’en remit des échantillons
pour une dame de fes amies, que
fon. commerce mettoit à meme de la faire
jugée par les gaziers qui emploient la plus
belle foie ; elle leur fit voir les échantillons
& me chargea de répondre .qu’ils, avoient
trouvé la foie d une très-belle qualité , qu ils
la prendraient à un huitième au-deffus du
prix de celle qui étoit dans le commerce.
Si quelqu’un doute des faits que je viens
de rapporter , il peut en demander la confirmation
à M. de Chamferu & à ma.de-
moifelle Philidor ,• connue par la manière
diftinguée avec laquelle elle a fait le commerce
des modes, , & qui fit voir les échantillons
aux gaziers.
Je crois donc que les précautions que je
viens d’indiquer pourraient, prévenir nue
grande partie des ravages que la pourriture
occa lionne, Mais ces précautions ne peuvent:
erre propofées en totalité qu à ceux qui font
des élèves en grand, pour qui ils. font un
capital important. C ’eft déjà beaucoup de
lauver une grande parue de ce capital. Mais
chacun nepeut-ilpas pratiquer de ces précautions
ce que lui en permettent les circonf-
tances où il fe trouve ? & cette approximation
même i;e produirait-elle pas un. bien ?
Celui qui ne . nourrie que quinze cens ou
deux mille Vers, n‘a pas, beaucoup de feuilles
'à cueillir; il lui fera plus facile d’en faite
la récolte d’avance , il n’aura pas befoin d’un
hangard ou d’un grenier fort fpacieux pour
les faire fécher ; il les diftrtbuera plus scelles
8c. il préviendra un des principaux incon-
véuiens; quelque reftreinte que foir fon habitation
, au lieu de pofer les clayons lur
lefquesl* il élève fes Vers, au rez de chauf-
fée , dans le même lieu où il vie ôf couche
avec fa famille , comine je l’ai , vu eu ufage
parmi les payfansen Italie, ce poffeffeur d’un
petit nombre de Vers, ne pourra t-tl pas les loger
dans un grenier ?
La fécondé maladie dont il périt beaucoup
de Vêts eft le mufeardin. On appelle,
en Provence, le Ver qui en eft atteint,
luire. Le rems de cette maladie eft celui
où le Ver qft prêt de monter ou de filer:
quelquefois elle fe déclare après que le ver
a commencé fon cocon ; elle paroît attaquer,
ceux qui font les plus forts & d’une plus
grande taille : ils fe raccourciflent, & leue
peau devient jaune, comme s’ils avoient
déjà filé, comme s’ils étoient prêts à paffer
à l’érat de chryfajide ; leur corps raccourci
devient gros , tuméfié & dur ; ils femblenc
foufflés, on dirait que leurs pieds leur font
rentrés dans le corps, ils ne fauroient plus
marcher , ni faire de mouvement ; ils paffenc
quelques jours en cet état, & pétiffent après
que leur peau s’eft fendue & qu’il en a découlé
une férolké fétide. Aucun des Vers