y a de diftance en diftance dans toute la longueur du
canal, des gondoliers établis par la police , pour porter
les paffans à un prix réglé en quelqu’endr'oit qu’ils
veulent aller.
Toutes les rues font pavées de briques, mifes fur
le côté ; ôc comme il n’y paffe ni carroffes , ni chevaux
, ni charrettes, ni trainaux, on y marche fort
commodément. Les bouts de chaque rue ont été tenus
allez larges, & on a ménagé un grand nombre
de petites places, outre celle que chaque églife a
devant fon portail.
On a pratiqué dans toutes ces places , des citernes
publiques d’eau de p luie, qui le ramalfe dans des
gouttières de pierre placées au haut des maifons, ôc
tombe par des tuyaux dans les éponges des citernes. •
Ceux qui veulent avoir encore de meilleure eau ôc
en plus grande quantité, en envoient remplir des bateaux
dans la Brente, ôc la font jetter dans leurs citernes
, oit elle fe purifie ôc devient très - bonne à'
boire.
La place de S. Marc fait du côté de la mer, le plus
bel afpeft de Venife. Il y a toujours vis-à-vis de cette
place une galere armée, prête à défendre le palais
dans quelque émotion populaire. Elle fert encore à
l ’apprentiffage des forçats, dont on équipe les gale-
res de la république. Cette place eft fermée du côté
de l’orient par le palais ducal de S. Marc , qui eft
un gros bâtiment quarré, enrichi de deux portiques
l ’un lur l’autre. On voit au premier étage de ce palais
, un grand nombre de chambres dans lelquelles
s’affemblent autant de différens magiftrats pour y
rendre la juftice. La première rampe du fécond étage
conduit aux appartemens du doge ; la fécondé mené
aux falles du college de prégadi, du fcrutin , du
confeil des d ix , des inquifiteurs d’état, ôc du grand-
confeil;les murailles font tapiffées çà ôc là de tableaux
des maîtres de l’école Lombarde, Ôc d’autres célébrés
peintres.
L ’églife de S. Marc eft proprement la chapelle du
d og e , & on y fait toutes les cérémonies folemnel-
les. Cette églife eft collégiale , & n’a aucune jurif-
diâion au-dehors. Les vingt-fix chanoines qui la
compofent , ainfi que le primicier ou le doyen du
chapitre , font à la nomination du doge ; c ’eft toujours
un-noble vénitien qui eft pourvu de la dignité
de primicier, dont le revenu eft d’environ 5000 ducats,
fans une abbaye qu’on y joint ordinairement.
L ’églife de S. Marc eft remarquable par fes richef-
fes qu’on appelle communément le tréj'or de Venife ;
.cependant il faut diftinguer le tréfor de l’églife , du
.tréfor de la république. Les reliques font le tréfor
de l’églife ; ôc parmi ces reliques, on voit des châlfes
d’or Ôc d’argent enrichies de pierreries, avec une bonne
quantité d’argenterie pour l’ufage ôc pour l’ornement
de l’autel.
Dans un lieu joignant celui oh l’on garde les reliques,
on voit les richeffes du tréfor de la république,
.arrangées fur les tablettes d’une grande armoire ,
dont de fonds eft de velours n oir, pour les faire éclate
r davantage. Une baluftrade dans laquelle fe tient
;le procurateur qui en a les c lé s, empêche qu’on ne
puiffe approcher d’affez près pour y atteindre de la
main. Les richeffes, de ce tréfor confifient en corce-
lets d’or, couronnes d?or, pierres précieufes de toute
.efpeee, la couronne ducale, quantité de vafes d’agate
, de cornaline, &c.
La république avoit autrefois dans fon tréfor des
richeffes beaucoup plus, eonfidérables , entr’autres
une chaîne d’or qu’on étendoit le long du portique
du palais, ôc douze à quinze millions d’o r monnoyé
qu’on étaloit aux yeux du peuple dans certains jours
de folemnités ; mais la guerre de Candie a épuifé ôc
le prix de la chaîne, ôc les douze ou quinze millions
d’or monnoyé*
L’arfer^l de Venife eft le fondement des forces de
l’état. Son enceinte eft fermée de murailles , flanquées
de petites tours. On fabrique dans cette enceinte
les vaiffeaux, les galeres, & les galéaffes. Les
falles de l’arfenal font remplies de toutes fortes d’ar-;
mes , pour les troupes de terre Ôc de mer. Sous ceS.
mêmes falles font des magafins féparés qui contiennent
toutes fortes d’attirail & d’équipage de guerre.
L ’arfenal fe gouverne comme une petite république.
On y fait bonne garde , ôc les ouvriers y travaillent
fous l’autorité de trois nobles vénitiens, qui réfident
dans l’arfenal, Ôc qu’on ne change que tous les trois
ans. La république entretient ordinairement trois
ou quatre cens ouvriers dans fon arfenal pendant la
paix.
Outre les avantages que Venife partage avec les
autres villes maritimes, elle en retire encore un particulier
de fa fituation au milieu des lagunes , qui
font comme le centre oh aboutiffent diverfes rivières
, entr’autres le P ô , l’Adige, la Brente, la Piave,
ôc quantité de canaux que la république a fait creu-
fer pour le commerce étranger, commerce fans lequel
Vmife feroit bientôt miférable, Ôc qui même eft
à préfent réduit à celui d’Allemagne ôc de Conftan-
tinople : mais la banque de Venife dont le fonds eft
fixé à cinq millions de ducats, conferve encore fon
crédit..
Les Vénitiens, fuivantla coutume fanfaronne d’U
talie, ont donné une defcription fuperbe de leur capitale,
fous le titre de Splendor orbis Venetiarum, 1 .
vol. in-fol. avec figures. Craffo ( Lorenzo ) a de fon
côté publié en italien les éloges des hommes de Lettres
nés à Venife ÿ cette bibliographie parut en 1666,
en 2. vol. in-40. Il eft certain que Venife a produit
depuis la renaiffance des Lettres des favans diftin-
gués en tout genre ; on en jugera par mon triage.
Entre les papes natifs de cette ville , j ’y trouvé
Engene IV. Paul II. ôc Alexandre VIII.
Ëugene IV. appellé auparavant Gabrieli Condol-
merio, étoit d’une famille obfcure ; il fut élu cardinal
en 14 0 8 , ôc pape en 1 4 3 1 , pendant la tenue du
concile de Bâle; Les pères de ce concile déclarèrent
que le pontife de Rome n’avoit ni le droit de diffou-
dre leur affemblée, ni même celui de la transférer.
Sur cette déclaration Eugene pour marquer fa pnif-
fance, ordonna la diffolution du concile, en convoqua
un nouveau à Ferrare, ôc enfuite à Florence ,
.011 l’empereur grec., fon patriarche, ôc plufieurs des
prélats grecs, lignèrent le grand point de la prima-
tie de Rome. Dans le tenis qu’Eugene rendoit ce
fervice aux Latins en 1439 ; le concile de Bâle le dé-
pofa du pontificat , ôc élut Amédée VIII. duc de Savoie,
qui s’étoit fait hermite à Ripaille par une dévotion
que le Poggio eft bien loin de croire réelle.
Cet anti-pape prit le nom de Félix V. ôc dix ans
après, il donna fon abdication, qui lui procura de
Nicolas V . un induit par lequel le pape,s^engage de
rie nommer à aucun bénéfice confiftorial dans fes
états, fans le contentement du fouverain ; Eugene
mourut en 1447.
Paul II. en ion nom Pierre Barbô, neveu par fa
mère d’Eugene IV. fuccéda à Pie II. l’an 14 6 4 , ôc
mourut d’apopléxie l’an 1 4 7 1 , à 54 ans. Platine qu’il
avoit dépouillé de tous fes biens, & mis deux foii»
très-injuftement en prifon, ne l’a point ménagé dans
fes écrits. Ce qu’il y a de certain, c’eft que ce pape
n’aimoit pas les gens de Lettres, ôc qu’il lupprima le
collège des abbréviateurs , compofé des plus' beaux
efprits de Rome: Humanitatisfudia ira oderai, ut
ejus fiudiofos unonomine hcereticos apptllaret. II. étendit
la bulle des cas.réfervés aux papes, beaucoup
plus loin que fes prédécefféurs , afin de s’enrichir
davantage. Il obligea les cardinaux de figner toutes
les bulles fans leur en donner aucune connOiffance.
ïî envoya en France en 146^,, le cardinal cPÀrfâ§j
pour faire vérifier au parlement les lettres-patentes,
par lefquéllés le roi Louis X I. avoit aboli la pragma-
tiqueffanéfion ; mais le procureur général ôc l’uni*
verfité de Paris s’oppofefent à cet enregiftrement»
C’eft encore Paul II. qui par une bulle du 19 Avril
Ï4 7 0 , réduiiit le jubile à 25 ans, en efpérance , dit
Du-Pleflis Mornay, de jouir de Cette, foire l’an 1475 >
mais ce fut fon iucceffeur Sixte IV. qui en tira le
profit.
Alexandre VIH. en fon nom Pierre Ottobonî, fuccéda
à 79 ans au pape Innocent X I . en 16 8 9 , Ôc
mourut deux ans après. Il avoit en mourant fait deux
chofes; i° . fulminé une bulle contre l ’affemblée du
clergé de France, tenue en 1682 , ôc 2®. diftribué à
fes neveux tout ce qu’il avoit amaffé d’argent. Ce
dernier trait de fa vie fit dire à Pafquin, qu’il auroit
mieux vallu pour l’Eglife être fa niece que fa fille.
Paffons aux favans nés à Venife : je trouve d’abord
lés Barbaro; ôc fi leur famille ri’eft pas une des vingt-
quatre nobles, elle eft du-moins la plus illuftre dans
les Lettres.
Barbants ( François ) réunit les fciences au mani*
ment des affaires d’état ; en même tems qu’il rendit
de grands fervices à fa patrie, il traduifit du grec la
vie d’Ariftide ôc de Caton, après avoir donné fon
Ouvrage de re uxàrid ; il mourut l’an 1454.
La même année naquit fon petit - fils Barbants
( Hermolaüs ) un des favans hommes de fon fiecle.
Les emplois publics dont il fut chargé de très-bonne
heure auprès de l’empereur Frédéric, ôc de Maximilien
fon fils , ne le détournèrent point de l’étude.
Il traduifit du grec plufieurs ouvrages d’Ariftote,
ainfi que Diofcoride, qu’il mit au jour avec un dofte
Commentaire. Il étoit ambaffadeur de Venife auprès
d’ innocent V III. lorfque Iepatriarche d’Aquilée vint
à mourir. Auflï-tôt le pape lui conféra cette place,
qu’il eut l’imprudence d’accepter fans le confentement
de fes fupérieurs ; la république fut irritée, le-
bannit, ôc confifqua fes biens. Cependant il n’étudia
jamais avec tant d’application que depuis que fa
patrie l’eut maltraité. Sa dilgrace nous a procuré le
meilleur de fes ouvrages, fon édition de Pline, publiée
l’an 14 9 2 ; il y Corrigea près de cinq mille paf*
fages ; il a rompu la fclace, ôc s’il a fouvent fait des
plates à fon auteur, il l’a aulfi très-fouvent rétabli;
il mourut à Rome l’an 1493 •
Barbants (D an ie l) mort en 15 6 9 , à l’âge d e 4 1
ans, avoit été ambaffadeur en Angleterre , ôc fut un
des peres du concile de Trente. 11 a.donné laprattU
ca délia perfpecliva, Venife 15*59 ; ÔC il mit au jour
dans la même ville l’an 15 6 7 , un commentaire fur
Vitruve. Il étoit en même tems fi prévenu pour Ari-
ftote, qu’il lui auroit volontiers prêté ferment de fidélité
, s’il n’avoit pas été chrétien.
Bembo ( Pierre ) en latin Bembus, noble vénitien,
l’uri des plus polis écrivains du xvj. fie cle , naquit en
1470. Il parut beaucoup à la cour du duc de Ferrare,
ôc à celle du duc d’Urbin, qui étoient alors le rendez
vous des plus beaux efprits. Léon X . le nomma
fon fecrétaire avec Sadolet, avant que de fortir du
conclave, oh il fut promu à la papauté. Paul III. le
Créa cardinal en 15 3 8 , ôc lui donna un évêché; il
mourut l’an 15 4 7 , dans fa 7 7 année; Jean de laCaza
a écrit fa vie.
Son premier livre eft un traité latin, de monte Æt*
na , qui parut l’an i486 : à l’âge de vingt-fix ans ,
il écrivit gli A^olani, qui font des difcours d’amour,
ainfi nommés, parce qu’on fuppofe qu’ils furent faits
dans le château d’Azo'o. Us ont été traduits en fran-
çois en 1545 ; on le blâme juftement d’avoir donné
cet ouvrage, & d’autres poéfies encore plus licen*
tieufès, que Scaiiger appelloit dégarni(fimas obfceni-
taies. Nous parlerons de fon hiftoire de Venife à l’article
de cette république»
Ëgnàilo ( Jeâri-Baptifté ) Cri latirt ■ Ëgndliüs -, Célébré
humanifte dit xvj. fiecle j étoit difciple d’Arigê
Politien. Il enfeigna les Belles-Lettres dans Venife fy.
patrie avec une réputation extraordinaire, ôc ^ o b tint
que dans une âge décrépit la démifîiori de fort
z emploi; maison lui corifërva une perifion de deu.V
cens écus de rente, ducentos aureos numriiOs, ÔC fes
biens furent affranchis de toutes fortes d’impôts» Il
laiffa fa petite fortune, fa belle bibliothèque , fon
cabinet de médailles, ôc fa colleétion d’antiques, à
trois illuftres familles de Venife ; il mourût en î 5 53 ,
âgé de 80 ans»
Ses ouvrages font i° . de ronïattis printipibùs vet
Ccefaribtts , hbri très. L ’abbé de Marolles a traduit ce
livre en françois l’an 16 6 4 , 20. de Origine Tttrca*
rum , 30. obfervationes in Ovidium ; 40. Interpréta*
menta infamiliares epifolas Ciceronis ; 50. de exem*
plis illufirium virorurn, & c . Mais il parloit mieux
qu’il n’écrivoit, ôc ne mérite pas dans fes livres la
qualité de cicéronien qu’on lui a donnée»
Corradus rapporte un fait affez curieux fur la fa->
cilité de fon élocution. Egnatius étant fur le point dô
finir une harangue, vit entrer le nonce du pape dans
l’auditoire ; il recommença fon difcours, le répéta
tout différemment, ôc avec encore plus d’éloquencô
que la première fois ; de forte que fes amis lui con-*
feillerent de continuer fes harangues , fes leçons, &
de ne plus écrire.
Paul & Aide Manucfe, ont fait beaucoup d’hon-»
neur à leur patrie par leur érudition. Le premier né
en 1 5 1 z , fut nommé par Pie IV. chef de l’imprime*
rie apoftolique ; il mourut en 15 7 4 , à 62 ans. On a
de lu i , i ° . une édition eftimée des oeuvres de Cicé-*
ron avec des notes ôc des commentaires ; 20. des
épîtres en latin ôc eri italien ; 30. les traités de legV
bus romanis ; de dieritm apud Romarios veteres ratione *
de J'enatu romano ; de civitatc romand ; de comitiis Ro-
manorum.
Manuùe ( Aide ) dit le jeune, fils de Paul, ÔC petit*
fils d’Alde Manuce, le premier imprimeur de fort
tems, furpaffa la réputation de fon pere. Il vint à
R om e , oh il enfeigna les humanités, mais avec fi
peu de profit, qu’il fut obligé pour vivre de vendre
la magnifique bibliothèque que fon p ere, fon ayeul >
ôc fes grands-oncles , avoient recueillie avec un foin
extrême, & q u i , dit-on, contenoit quatre-vingt
mille volumes» Il mourut en 15 9 7 , fans autre récom*
penfe que les éloges dûs à fon mérite. Ses ouvrages
principaux, font des commentaires fur Cicéron, ôc
lur l’art poétique d’Horace, de qucejîtis per epiflolaS
libri très ; Commentarius de orthographia ; TraclatuS
de notis veterum, & d’autres livres fur les Belles-Lettres
en latin ôc en italien.
Frapaolo Sarpi ( Marco ) que nous nommons en
françois le pere Paul, eft un des hommes illuftres
dont Venife a le plus de raifon de fe glorifier. Il naquit
en 15 52 , ôc montra dès fon enfance deux qualités
qu’on voit rarement réunies, une mémoire pro-
digieufe, ôc un jugement exquis; il prit l’habit de
fervite en 1566 , ôc s’appliqua profondément à l’étude
des Langues , de l’Hiftoire , du Droit canon ,
& de la Théologie ; enfuite il étudia la Philofophie
expérimentale, ôc l’Anatomie. Il fut tiré de fon cabinet
pour entrer dans les affaires politiques , à l’oc-
cafion du fameux différend qui s’éleva entre la république
de Venife, ôc la cour de Rome , au fujet des
immunités eccléfiaftiques.
Le pere Paul choifi par la république pour fort
théologien, ôc l’un de fes confulteurs, prit la plume
pour la défenfe de l’état, ôc écrivit une piece fur
l’excommunication. Cette piece a paru en françois
fous le titre de droit des fouverains, défendu contre
les excommunications, &c. mais daris l’italien, elle
eft intitulée ; Confolation deVefprit pour tranquilliftr