iA
II
l
98 V E R
mort Subite du médecin Caius Julius, parle encore
d’un infiniment appelle fpecillum ; mais c’eft fans.au:
çune raifon qu’on l’ interprete par un. verre lenticulaire
; ce mot lignifie une Tonde ; & fi l’on pretendoit
par les circonftancêS du partage , que ce tut un instrument
optique, il faudroit l’entendre d’une lorte
de petit miroir, ou d’un infiniment à oindre les yeux
comme dans Varron.
Il y a une feene d’Ariftophane qui fournit quel*-
que chofe de plus Spécieux,\x>ur prouver que les
anciens ont été en pofi'efiion des verres lenticulaires.
Ariftophane introduit dans fes nuées, acte I I . feene j .
une efpcce d’imbécille nommé Strepfiade, faifant
part à Socrate d’une belle invention qu’il a imaginée
pour ne point payer fes dettes. «A v e z -v o u s v u ,
» d i t - i l , chez les drogüifies, la pierre tranfparente
» dont ils fe fervent pour allumer du feu ? V eux - tu
» dire le verre, dit Socrate ? O u i, répond Strepfiade.
» Eh bien, voyons ce que tu en-feras, réplique So-
» crate. Le voici j dit l’imbécille Strepfiade: quand
» l’avocat aura écrit fon aflignation contre moi, je
» prendrai ce verre, & me mettant ainfi au foleil, je
» fondrai de loin toute fon écriture ». Quel que foit
le mérite de cette plaifanterie, ces termes de loin ,
«Wrjpwfftt'ç, indiquent qu’il s’agifloit d’un infiniment
qui brûloit à quelque d if ta n c e & conféquemment
que ce n’étoit point une feule fphere de verre dont
le foyer eft très-proche, mais un verre lenticulaire qui
a I’eflîeu plus éloigné.
A cette autorité on joint celle du feholiafie grec
liir cet endroit ; il remarque qu’il s’agit d’un « verre
» rond & épais, , fait exprès pour cet ufa-
» g e , qu’on frottoit d’huile, que l’on échauffoit, &
» auquel on ajuftoit une meche, que de cette ma-
» niere le feu s’y allumoif ». Cette explication quoi-
qu’inintelligible en quelques points, Semble prouver,
dit- on , que le feholiafie entend parler d’un verre convexe.
Mais je réponds d’abord que ce pafiage du fcho-
liafte eft une énigme ; outre qu’un verre rond &c épais
qu’on frottroit d’huile, que l’on échaufFoit , & auquel
on ajuftoit une mecbe, ne défigne en aucune
maniéré nos verres lenticulaires, faits pour aider la
vue. J ’ajoute enfuite que le pafiage d’Ariftophane
n’eft pas plus décifif ; &c s’il etoit permis de prêter
une explication fine à ce pafiage d’un poète plein
d’efprit, je dirois, que puilque le deflein de fa piece
eft de ridiculifer Socrate, il ne pouvoit mieux remplir
fon but qu’en mettant dans la bouche de Strepfiade
un propos aufîi ftupide que celui de prendre
un verre avec lequel il fondroit l’écriture de fon
avocat, & faifant en même tems approuver cette
idée ruftique par le philofophe éleve d’Anaxagore.
Enfin on peut raffembler un grand nombre de
partages qui juftifient que les anciens n’ont point
çonnu les verres lenticulaires, &C d’un autre côté on a
des témoignages certains qu’ils n’ont commencé à
çtre connus que vers, la fin du treizième fiecle.
C ’eft dans l’Italie qu’on en indique les premières
traces. M. Spon, dans fes Recherc. d'amiq. diff. 16'.
rapporte une lettre de Redi à Paul Falconieri, fur
l’inventeur de lunettes .Redi allégué dans cette lettre
une chronique manuferite, confervée dans la bibliothèque
des freres prêcheurs de Pife ; on y lit ces
mots : Fratrer Alexander Spina, vir modeflus & bonus,
quetcumque vidit & audivit facta, fcivit &facere : occu-
laria ab aliquo primo facla & communicare nolente,
ipfe fecit, & communie avit corde b ilan, & volente : ce
bon pere mourut en 1 3 1 3 à Pife.
Le même Redi pofledoit dans fa bibliothèque un
manuferit de 1 1 9 9 , qui contenoit ces paroles remarquables
: Mi trovo cofi gravofo d'an n i, die non avrei
valtn^a di leggere e di ferivere fen^a vetri appellatî oc-
chiali, trovaù novellamente per comrnodità db poveri
V E R
vecchi, quando ajfebolano di vtdere ; c’efi-è-dire « Je
» me vois fi accablé d’années , que je ne pourrois
» ni lire ni écrire fans ces verres appellés occhiali
» (lunettes) qu’on a trouvés depuis peu pour le fe-
» cours des pauvres vieillards dont la vue eft affoi-
» blie». ,
L e diélionnaire de la Crufca nous fournit encore
un témoignage que les lunettes étoient d’une invention
récente au commencement du quatorzième fiecle.
Il nous apprend au mot occhiali, que le frere
Jordan de rivalto, dans un fermon prêché en 1 3 0 5 ,
difoit à fon auditoire, qu’il y avoit à peine vingt
ans que les lunettes avoient été découvertes , & que
c’ctoit une des inventions les plus heureufes qu’on
put imaginer. ■
On peut ajouter à ces trois témoignages ceux de
deux médecins du quatorzième fiecle, Gordon &:
Gui de Chauliac. Le premier, qui étoit doéleur de
Montpellier, recommande dans fon l'ilium Medicinoey
un remede pour conferver la vue., « Ce rernede eft
» d’une fi grande vertu, dit- i l , qu’il feroit lire il un
» homme décrépit de petites lettres fans lunettes».
Gui de Chauliac, dans fa grande Chirurgie, après
avoir recommandé divers remedes de cette efpece
ajoute, « que s’ils ne produisent aucun effet il faut
» fe réfoudre il faire ufage de lunettes ».
Mais fi le tems de leur invention eft affez bien con-
ftaté, l’ inventeur n’en eft pas moins inconnu: cependant
M. Manni le nomme Salvino de gli armati, dans
une differtation fur ce fujet, qu’on trouvera dans le
rauolta d'opufeuli fe ientif e Philolog. t. IV. Venet.
‘ 7 3 9 ' P prétend en avoir la preuve prife d’un monument
de la cathédrale de Florence, avant les réparations
qui y ont été faites vers le commencement du
dix - Septième fiecle. On y lifoit, dit-il, cette épitaphe
: Qui giace Salvino cT Armato de g ! armati, di
Firen^e , inventof delli occhiali, & c . M C C C X V 11 .
C ’eft donc - l i l , Selon M. Manni, ce premierûnven-
teur des lunettes qui en faifoit myftere ', & auquel le
frere Aleffandro di Spina arracha fon fecret pour en
gratifier le public. Montucla, Hijl. des Math. (Z>. ƒ.)
V e r r e t o u r n é , ( Arts. ) c’eft-à-dire verre travaillé
au tour ou au touret.
Pline,/. X X X V I . c. x xv j. a donné une description
également élégante & concife des différentes façons
dont les anciejis préparoient le verre-, & dans ce
nombre il parle du verre qu’on tournoit de fon tems ,
ou qu’on travailloit au tou r, torno teritur. Il ajoute
qu’on le gravoit comme de l’argent, argenti modo cce-
latur. M. de C aylus, dans fon recueil d’antiquités, a
rapporté des preuves de la première opération dont
parle Plin e ,& des exemples de la fécondé qui fe pratique
toujours. Enfin il a inféré dans le même ouvrage
la maniéré de tourner le verre, que lui a communiquée
M. Majauld,doûeur en Médecine; nous allons
auffi la tranferire mot-à-mot dans cet ouvrage.
On ne parvient, -dit M. Majauld, à tourner un
corps quelconque, que par des moyens propres à fes
differentes qualités. Les Dois, la pierre , les métaux
ne peuvent être tournés qu’avec des outils d’acier
plus ou moins trempés, Selon que le corps que l’on
veut travailler eft plus ou moins dur. Le verre, matière
plus feche & plus caffante, ne pourroit être
travaillé au tour que difficilement avec ces fortes
d’outils. On ne fauroit enlever des copeaux du verre
pour le rendre rond ; ce n’eft qu’ en l’ufant fur le tour«
qu’il eft poflible de le tourner. Convaincu de cette
vérité par l’exemple que fournit l’art de travailler le
verre en général, M. Majauld a fait tourner félon les
mêmes principes, deux gobelets de cryftal faélice,
fur un defquels on a formé de petites moulures très-
déliées qui produifent un fort bel effet.
„ Pour y parvenir , on maftiqua fur un mandrin de
bois un gobelet de cryftal pris d’un flacon, dont on
avoit coupé la partie Supérieure, parce qu’on ne
trouve pas des gobelets auffi épais que le font les flacons.
Après l’avoir fait monter fur un tour en l’a ir ,
& l’avoir mis auffi rond de tous les Sens qu’il fut poflible
( car quelque rond que paroiffe un verre Soufflé ,
il ne l’eft jamais entièrement, & les bords ne fe trouvent
pas perpendiculaires au fond) ,on eflaya de le
dégroffir au fable de grès avec un outil de bois dur;
mais cortime le travail languiffoit, on fubftitua du
gros émeril au fable, ce qui fit beaucoup mieux ; dépendant
le verre ne fe tromvoit pas rond, & l’outil
pouvoit en être la caufe.
Pour y remédier, on fondit d’autres outils com-
pofés d’un alliage de plomb & d’une partie d’étain.
Ces nouveaux outils exerçant une réfiffanceplus forte
, ôc toujours plus égale que ceux de bois, produi-
firent un effet favorable, & le verre fut plutôt & plus
exaélement rond. Mais l’outil par le travail formoit
une boue dangereufe pour l’ouvrier. On fait que le
plomb infiniment divife, en s’infinuant par les pores
de la peau, enfante des maladies très-graves, & les
ouvriers qui ne travaillent que l’étain p u r, ne cou?
rent pas les mêmes rifques. On fondit donc des outils
de ce métal qui réuflirent encore mieux que ceux
dans lefquels il entroit du plomb, parce qu’étant d’une
matière plus dure, ils etoient encore moinsexpo-
fés à perdre leur forme.
Ayant enfin dégrofli les grandes parties avec le
gros émeril & les outils d’étain, on fit des moulures
avec de petits outils de cuivre ; ceux d’étain minces,
tels qu’il les faut pouf cet ouvrage, perdoient leur
forme en un inftant, & n e pouvoient tracer des'petites
parties bien décidées, telles qu’elles doivent
être pour former des moulures. On travailla enfuite
à effacer les gros traits avec un émeril plus fin ; on
fe fervit d’autres fois d’un troifieme émeril en poudre
encore plus fin , pour effacer les traits du fécond,
ufant toujours des outils d’étain pour les grandes parties
, & de cuivre pour les moulures.
Enfin l’ouvrage étant parfaitement adouci ( car il
eft impoflible de détruire les traits du premier émeril
qu’avec le fécond, & ceux’ îiu fécond qu’avec le
troifieme ) , on fe fervit de pierre de ponce entière,
laquelle ayant reçu une forme convenable au travail
, & Servant d’outil & de moyen pour ufer, effaça
entièrement le mat du verre travaillé par le troifieme
émeril. Cette pierre qui paroît fort tendre, né
laifle pas cependant de mordre fur le verre. Il eft même
important de choifir la plus légère pour cette opération
; elle n’a pas de ces grains durs que l’on trouve
dans la pierre ponce compacte, quipourroient rayer
l ’ouvrage, & faire perdre dans un inftant le fruit du
travail de plufieurs jours. Alorsilnefut plus quéftion
que de donner le poli au verre ; on. le fit avec la potée
d’etain, humeétée d’huile , appliquée fur un' cuir de
vache propre à faire des femelles d’efearpin, & le
cuir collé fur des morceaux de bois de forme convenable
à l’ouVrage.
Lorfqu’on travaillera le verre avecl’émerilou avec
h ponce, On ne manquera pas d’humeéler l’un &
l’autre avec de l’eau commune. Il ne faut ni noyer
ni laiffer les matières trop feches ; fi on les noyoit
trop,le lavage feroit perdre l’émeril,parce que l’ eau
l’ entraîneroit ; fi on laiflbit l’émeril trop fe c , il ne
formeroit qu’une boue trop épâiffe pour mordre.
La préparation de l’émeril n’eft pas de peu d’importance
pour la perfe&ion de ce travaif L e gros
emerxl que l’on trouve chez les marchands eft en
poudre fi inégale & fi grôffiére, qu’il feroit impoffi-
Dle des en Servir tel qu’il eft. Les parties de l’émeril
dans cet état formeroient des traits, qui s’ils rt’expo-
loient pas le verre au rifque d’être coupé , prépare-
roient du-moms un travail proportionné à leur profondeur:
inconvénient qu’il faut évite r, fi l’on ne
lorne X V I I%
veut fe mettre dans le cas d’dtre obligé de doubler
ou de tripler le tems qu’ il faut pour tourner le verre.
T ou te la préparation de l’émerilconlifte à le broyer
dans un mortier de fe r , & à enlever par le lavage, de
l’ émeril en poudre plus ou moins fine, ainfi qu’on le
pratique dans les manufaftures des glaces.
On prendra du gros émeril tel qu’il fe'vend chez
les marchands, car leur émeril fin eft communément
de l’émeril qui a fe rv i, 8c qui eft altéré par les matières
, au travail dcfquellcs il a déjà été employé ; il
fe vend fous le nom de potée d’émeril. On mettra ce
gros émeril dans un mortier dé fe r; on lHùmcâerà
d ’eau commune, & ori le broyera jufqu’à ce que les
plus gros .grains aient été écralés : ce qui fe fentira aii
fément fous le pilon. Oh verfera dans le mortier une
quantité d’eau fufiîfante pour en emplir les trois
quarts, endélayant bien tout l’émeril qui fera au fond.
Après avoir laifle repofer l’eau un inftant, on en verfera
environ les deux tiers dansuneterrine verniflee;
on broyera de nouveattee qui fera précipité au fond
dit mortier , on le lavera comme la première fois Sc
l’ on répétera cette manoeuvre jufqu’à ce qu'on àpper-
çoive qu’ il ire refte plus qu’un tiers , où environ de
l’émeril dans le mortier.
Cet émeril ne fera pas en poudre bien fine ; mais
il n’aura plus les grains danger eux. qu’il avoit auparavant
; il fera propre à commencer l’ouvrage; car
ainfi que je l’ai déjà d it, les verres Soufflés étant trop
peu ronds, il faut pour les ébaucher, une matière qui
les ronge avec une force proportionnée-I leurinéoa-
lité. On agitera enfuite l’eau de la terrine chargée d°é-
meril ; on laiffera repofer cette eau pendant une minute
;on en verfera en inclinant doucement, les deux
tiers dans un autre vafe verniflè. On lavera encore
l’émerii de la première terrine, afin d’en enlever les
parties 1 es plus fines , en verfant toujours de même
l’eau après l’avoir agitée, & laiffé repofer comme la
première fois. On laiffera précipiter ces deux fortes
d’émeril ; on jettera l’eau qui les Surnagera ; l’émeril
de la première terrine fera de la Seconde fineffe &
celui de la fécondé fera l’émeril le plus fin. La potée
d’etain contient Souvent des grains durs, qui peuvent
rayer le verre au lieu de le polir ; il feroit bon conféquemment
de la préparer comme l’émeril, en n’en faifant
cependant que d’une forte. Si on vouloit ufer
du tripoli de V en ife , on le prépareroit comme la
potée d’étain ; il donne un très-beau poli au verre. '
Le choix du maffie n’eft point indifférent; il faut
qu’il foit de nature à pouvoir être adhérent au verre.
Les ouvriers composent ordinairement leur maftic
fin avec la colophone , la poix blanche, la poix noire
& le rouge-brun d’Angleterre. IJs combinent ces
ingrédiens , de façon qu’ils font un tout plus dur que
mol. Si le maftic eft trop m o l, le verre en s’échauffant
pendant le travail, feroit expofé à fe déjetter ; il fe-
roit difficile de le remettre rond, & le travail devien-
droit très-imparfait ; il eft donc important qu’il foit
un peu dur. On fait chauffer le maftic & le verre pour
le maftiquer; on les fera chauffer de mêmeinfenfible-
ment pour l’enlever de deffus le mandrin ; maisü’i!
reftoit du maftic attaché au verre, il faudroit l’hu-
mefter1 d’huile, le faire chauffer de nouveau ; alors le
maftic pénétré par l’huile deviendra liquide & s’en»
lèvera aifément, en l’effuyant avec un linge.
Le maftic dont on vient de donner la recette, eft
très-bon ; mais il arrive que lorfque l’on effuie le
verre pour en enlever le maftic diffous par l’huile ,
les grains de rouge-brun d^Angleterre qui font mor-
dans, le rayent. Il vaudroit donc mieux faire entrer
le blanc d’Efpagne au lieu du rouge-brun ; le verre n©
feroit point expofé aux mêmes inconvéniens, & le
maftic n*en auroit pas moins les mêmes propriétés.
Il feroit affez difficile de déterminer la forme des
outils ; elle dépendra de celle que rôh aura deflein
Nij