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geoifie, Ou de la qualité de -citoyen d’an lieu -accordé
à un étanger.
Les lois de Lacédémone étoient ii remarquables
par leur Angularité à cet égard, qu’on ne. le laffe
Ipointd’e a parler. Lycurgue'qui en fut l ’auteur , les ,
tira de l’on vafte génie. Il forma dans le fein même
-d e laG re ce , un peuple nouveau, quin’avoit rien
-de commun avec le rèfte des Grecs que le langage^
Les Lacédémoniens devinrent par fon moyen des
^hommes uniques dans leur efpece, differens de tous
les autres par leur maniéré comme par leurs fenti-
-mens, par la façon même de s’habiller & de fe nourrir
comme par le caraûere de i’ efprit & du coeur ;
maisrienne contribua davantage à en faire une nation
'ïfolèe, que la belle loi de Lycurgue, de n’accorder ,
-la xénélajie à aucun étranger , fans de preffans motifs,
•&; même d’empêcher que tout étranger eût à fa v o lonté
, la libre entrée en Laconie.
Cet ètabiiffement avoit les plus grands avantages.
~îl s^agiffoît d’établir une forme de gouvernement &
:desréglés de conduite extraordinaires, une religion
-Simple & dénuée de cette pompe extérieure qui en
faifoit ailleurs l’objet principal, un culte libre de la
plupart des fuperftitions qui regnoient chez les autres
peuples, des fêtes & des jeux où la jeuneffe de
Pun & de l’autre fexe paroiffoit n ue , un partage
é g a l des terres entre les particuliers, avec ce qu’il
failoit prëcifément à chacun pour vivre ; l’obligation
de manger en commun avec une extrême frugalité,
l a profcription de l’or & de l’argent, l’pfage enfin de
31e vendre ni acheter , de ne donner ni recevoir, de
ne cultiver ni art de lu x e , nhcommerce, ni marine,
•de ne point voyager hors du p a y s , fans la permif-
Üon de i’ état., & de ne point fe conduire par les
maximes étrangères. Ces différentes lois ne pou-
'voieiit s’obferver en biffant à l’étranger un libre accès
; les unes âuroïeht été fouverainement imprudentes
, &: les autres auroient renfermé une entière
impoffibilité. Qu’on juge enfuite fi la sténélajîe n’é-
toit pas un réglement néceffaire pour leur fervir
d ’appui.
Elle ëtoit propre à prévenir toutes les violences
& les perfidies dont les étrangers jaloux pouvoient
fe rendre coupables. Lacédémone n’avoit plus à
craindre, ni un Hercule qui après avoir été reçu
dans les murs, maffacrât les princes, ni un Pâris
qui enlevât la femme de celui qui lui donnoit un
trop facile accès, ni de nouveaux Myniens, qui par
ïa plus noire ingratitude, conjurafferit la perte de
ceux qui leur auroient accordé l’hofpitalité. Le
peuple étoit à couvert des efpions, & de toutes
.perfonnes mal-intentionnées , que le defir de nuire
auroit pu amener ou retenir dans le pays. Les forces
de l’état inconnues aux voifins, leur en deve-
noient plus redoutables. Les endroits foibies dont
ils auroient pu tirer avantage, étoient dérobés à leur
vue ; tout etoit myftere pour eux , non-feulement
l ’intérieur de la république, fes projets, fes deffeins
cachés, mais encore fes moeurs & fa police ; rien
d e plus capable de les tenir dans le refpeft.
Le grand bien de la xénélajie, étoit encore de
prévenir les innovations que le commerce des étrangers
ne manque jamais de faire dans le langage &
dans Les moeurs. Les maximes une fois établies parm
i les Lacédémoniens , dévoient s’y conferver plus
Laines, nul mélange n’en altéroit la pureté; elles
dévoient y être plus longtems uniformes, nul genre
d e vie différent n’ infpiroit le goût de la nouveauté ;
& i i d’inconftance ou la malice des particuliers
le s portoient à innover, du-moins ils n’avoient point
d’exemples étrangers qui fomentaffent leur envie.
Il étoit par confequent & plus rare d’y voir le désordre
, & plus facile d’y remédier.
Les étrangers font fouveqt dans des difpofitions
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peu favorables au pays dans lequel ils viennent
voyager. Les mieux intentionnés apportent nécef-
ïairement avec eux des façons de/penfer & d’agir,
Capables de troubler l’harmonie d’un petit état, oit
doit regner une régularité parfaite, Lycurgue voulut
que le fien fût de cette nature. Il avoit établi
dans l’intérieur un arrangement sûr & confiant, que
les atteintes feules du dehors pouvoient troubler.
Dans cette idée, les étrangers lui parurent fufpefis,
il crut devoir les éloigner pour prévenir dans fon
état la corruption des moeurs.
Rome avilit peu-à-peu la dignité de citoyen , en
la rendant trop commune. Lacédémone par fon
extrême réferve à accorder Ce droit, le rendit efti-
mable & précieux. Le titre de citoyen, devenu très-
rare , acquit un nouveau prix dans l’idée des étrangers.
Nous en avons un bel exemple dans Hérodote,
Les Lacédémoniens vouloient attirer auprès d’eux
Tifamene éléen de nation & devin célébré, pour
le mettre avec leurs rois à la tête des troupes contre
les Perfes. L’oracle l’avoit ordonné „car il failoit des
raifons fupérieures à la politique ordinaire, pour les
obliger de prendre un général étranger. Ils lui firent
donc les offres les plus avantageufes ;• Tifamene les
rejetta, demandant uniquement les privilèges &
l’honneur de citoyen de Sparte. Ils le refuferent d’a;
bord, mais à’ l’approche de l’ennemi, il fallut y
confentir. Alors Tifamene exigea qu’on lui accordât
encore la même grâce pour fon frere Hegias , 6c
l’on fut obligé d’ acquiefcer à fa requête : ce font là ,
dit Hérodote, les deux feules perfonnes à qui Lacédémone
ait accordé le droit de xénélajie. L ’hiftorien
fe trompe, mais ce qu’il dit prouve au-moins l’idée
avantageufe qu’on avoit de fon tems, d’un citoyen
de Sparte. Les Athéniens montroient bien le cas
qu’ils en faifoignt, lorfqu’ils fe plaignoient ouvertement
, de ce que les Lacédémoniens ne communi-
quoient leurs privilèges à aucun étranger.
Il n’eft pourtant pas vrai que l’ entrée de Sparte fut
fermée à tous les étarigers ; Lycurgue lui - même fit
paffer Thalès de l’île de Crete à Lacédémone, afin
que cet étranger qui joignoit au talent d’un poète.,
tout le mérite d’un légiflateur, prêtât les charmes de
la poëfie à des loix dures & rebutantes. Les Lacédémoniens
le reçurent par un ordre exprès de l’oracle,
& attribuèrent à fon arrivée la ceffation d’une
pefte qui les défoloit. Quelque tems après, les ma-
giftrats firent aufli venir de Lesbos, le poète Te?>
pandre, qui radoucit le peuple mutiné; Phérécyde,
qui étoit, je penfe , athénien, vint aufli à Sparte
comme citoyen, & ces trois étrangers qui chan-
toient continuëllement les nouvelles maximes de la
république, y furent comblés, d’honneurs : il eft vrai
que Phérécyde périt enfuite malheureufement, mais
le bien public en décida.
Ce fut encore un oracle qui fit venir à Lacédémone
T y r té e , poète athénien: fa patrie l’ envoya
| par dérifion aux Lacédémoniens, pour leur fervir de
chef dans la guerre de Mefféae, mais ils en tirèrent
des avantages réels. Les rafdats animés par fon
chant & fa poéfie, remportèrent une vi&oire com»
plette. Les Lacédémoniens d’ailleurs, peu partifans
des poètes , firent grand cas de celui-ci, jufqu’à ordonner
qu’on ne marcheroit jamais à l’ennemi,
qu’on n’allât entendre auparavant à la tente du roi,
les vers de T yrtée, pour en être plus difpofé à com;
battre, & à mourir pour la patrie. Telle fut l’origine
de leurs chanfons guerrières fi connues dans l ’antiquité.
Tyrtée écrivit de plus en faveur des Lacédémoniens
, un traité de leur république, qui n’eft
point parvenu jufqu’à nous. Une chofe remarquable
eft qu’ils ne reçurent cet étranger dans leur patrie
qu’en le naturalifant, & le faifant citoyen de Sparte
; afin, dit un Lacédémonien , qu’il ne foit pas
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d ît, que nous ayons jamais eu befoin d’un général
étranger. _ .
Il y avoit d’autres étrangers que Lacédémone fè
trouvoit heureufe, d’accueillir, fans crainte d’en-
fraindre les intentions de fon légiflateur. Je parle
des a lliés, qui avec des troupes venoient à fon fe-
cours. C’eft ainfi qu’à la naiffance de la république,
fous le régné de Telécus, les Égides qui compofoient
une famille thébaine, vinrent de la Béotie à Sparte,
pour faciliter la prife des deux ou troisj villes voifi*
nes que les Doriéns avoient laiffées aux anciens ha-
bitans. La troupe auxiliaire avoit pour chef Timo-
machus, qui le premier fit exécuter aux Lacédémoniens
les loix de la guerre prefcrites par Lycurgue.
On peut donc joindre Tymomachus & fa famille à
Tyrtée > à Phérécide , à Terpandre, & à Thalès.
La xénélajie ritm^èc\io\t point les Lacédémoniens
d’appeller chez eux des médecins, & d’autres perfonnes
habiles, à mefure qu’ils en avoient beloin.
Le fcythe Abaris trouva Sparte expofée à de fréquentes
mortalités câufées', dit-on, par les vapeurs
& par le chaud qu’envoyoit le voifinage du mont
Taygete. Il fit des facrifices & des luftrations accompagnées
fans doute de remedes plus efficaces , &
ces maladies ne reparurent plus. Bacis bæotien, célébré
par plufieurs opérations merveilleufes, guérit
par des purifications, les femmes lacédémoniennes
qu’une efpece de manie avoit faifies.. Anaximandre
phyficien de Milet, avertit un jour les Lacédémoniens
de quitter la v ille , parce qu’il alloit arriver un
tremblement de terre. Ils le firent, & ils fe retirèrent
dans la campagne avec leurs meubles, c’eft-àr
d ire , leurs armes. La violence de la fecouffe détacha
le fommet du mont - Ta y g e te , & renverfa la
v ille , où quelques jeunes gens demeurés au milieu
du portique, périrent fous les ruines. Ce fut le même
Anaximandre, fuivant Diogène Laerce, ou fon
difciple Anaximene de Milet, luivant Pline, qui fit
à Lacédémone le premier cadran folaire.
Ou ne tranfgreffoit point la xénélafie, en recevant
les miniftres étrangers à Lacédémone pour ;des raifons
d’état ; les Spartiates fe trouvant néceffaire*
ment engagés dans le cours des affaires publiques,
de négociation , de confédération, de projets de
guerre, & de traités de paix qui demandoient le mi-
niftere dés étrangers. Aufli furent-ils reçus à Sparte
avec toutes fortes d’égards & de politeffe , fur-tout
depuis l’attentat qu’on y eut commis contre les am-
baffadeurs de Perle en les précipitant dans un puits.
Les Lacédémoniens affligés d’abord après de plufieurs
maux, les attribuèrent à leur cruauté. Perfiia-
dés que le ciel en pourfuivoit la vengeance, ils pro-
poferent dans une grande affemblée d’expier leur
crime par la mort volontaire de quelque citoyen.
Sperthiès & Bulis, deux fpartiates des plus illuflres,
s’offrirent auffi-tôt pour viâimes , &C s’allerent pré-
fenter au roi de Perfe. Ils furent traités magnifiquement
fur la route par les fatrapes ; arrivés à Suze ,
Xerxès leur dit que s’ils avoient. violé le droit des
gens par le meurtre de fes ambaffadeurs , il n’avoit
garde de faire une aftion pareille à celle qu’il avoit
à leur reprocher , ni de leur donner occafion de
ceffer d’être coupables en acceptant leur fatisfaûion,
& il les renvoya avec cette réponfe. pleine de grandeur.
Les Lacédémoniens en profitèrent & reçurent
depuis ce tems-là aufli dignement que les Athéniens*
tous les députés qu’on leur envoyoit des pays voifins
ou éloignés. Les exemples en font fréquensdans
l’hiftoire , il feroit ennuyeux de les rapporter,
. Nous ayons déjà remarqué que la xénélajie ne re-
gardoit point les troupes étrangères qui venoient
au fecours de Lacédémone. La politique demande
qu’on ait encore plus d’égards pour des alliés, que
pour les naturels d’un p a y s , & il èft d.e l’intérêt
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d\tn peuplé guerrier d’en ufer ainfi. Celui-ci Cependant
crut devoir conferver avec fes alliés une cer*
taine réferve. Les étrangers avec lefquels ils fai-1
foient des campemens & des marches ignoroient juf-
qu’ au nombre des Lacédémoniens qui compofoient
l’armée confédérée. Ils avoient beau faire des questions
ou „des plaintes fur cet article, elles étoient
reçues avec une forte de fierté, comme il paroît par
quelques réportfes d’Agéfilas, d’Arifion & d’Agis.
Mais dans le tems des folemnités & des fêtes qu’oit
célébroit certains jours de l’année , il étoit permis
aux étrangers de venir à Sparte en être les témoins*
La maniéré dont on y produifoit la jeuneffe de l’un
& de l’autre fexe , devoit piquer une curiofité déréglée.
De-làcette propofition cynique rapportée dans
Athénée : « Nous n’avons que des éloges à donner
» à la coutume de Sparte, qui montre fes filles nues
» aux étrangers ». Ils accouroient en foule à ces
fpettacles. On les plaçoit à l’ombre, tandis que les
Lacédémoniens demeuroient expofés aux ardeurs
du foleil. Xénophon parle de Lichas, qui fe diftin*
guoit par fon attention à régaler les étrangers qui
venoient pour-lors à Lacédémone ; & peut-etre qu’il
faut rapporter à ces fortes d’occafions le feftin Co-
p is, décrit fort-au-long par Athénée , oîi les étrangers
mangeoient fans diftinûion avec les habitans
du pays.
La xénélajie lacédémoiîienrie crut encore devoir
fe relâcher dans les conjon&ures en faveur de quelques
particuliers, ou même de quelques peuples entiers
, que des raifons uniques rendoient agréables
à la nation. Arion, célébré mufici en de Lesbos, ayant
fait naufrage vers les côtes de Laconie, fe fauva fur
le cap Ténare ; on lui donna retraite , &c il confacra
dans le temple d’Apollon, fitué fur le même promontoire
, une ftatue de bronze pour monument de
fon aventure. Thémiftocle, après la bataille de Sa-
lamine^ ne recevant ni d’Athènes fa patrie , ni du
refte des Grecs les honneurs qu’ il méritoit, fe rendit
à Lacédémone. On lui donna la couronne d’olivier
, avec le plus beau char qui fut dans la ville , &
trente des principaux citoyens l’efcorterent à fon
retour jufqu’à la frontière j honneurs inouïs , que
les Lacédémoniens ne déférèrent jamais à aucun
étranger.
Alcibiade & quelques autres, obligés de fortir de
leur pays par des raifons d’é tat, trouvèrent aufli un
afyle à Lacédémone. Il y eut entre ce général athénien
& un citoyen de Sparte une hofpitalité particulière,
dont Endéas, fils du lacédémonien, tira dans la fuite
de grands avantages.
L ’athénien Pénclès fut uni à ArchidamusH roi de
Sparte, par les mêmes liens de cette hofpitalité per*
Tonnelle, dont les droits étoient fi facrés , qu’Archidamus
ravageant les terres des Athéniens, n’ofoit
toucher à celles de Périclès. Àgéfilas , autre roi de
Sparte, qui aimoit Xénophon athénien , l’exhorta
d’envoyer fes enfans à Sparte pour être élevés à la
lacédémonienne. Toutes les fois que les Déliens al-
loient à Lacédémone , ils y étoient reçus avec dif*
tinâion ; on leur donnoit la préféance fur tout le
monde, parce que leurs ancêtres facilitèrent aux
Diofcures la délivrance d’Hélene. Les Phliafiens qui
avoient été fideles à leur alliance avec la republique
dans le tems de fes malheurs , comme dans fes plus
beaux jours, s’étant rendus à Lacédémone, reçurent
toutes fortes d’honneurs.
Si d’autres n’ eurent point à fe louer de l’accueil
de Lacédémoniens, ils dévoient s’en prendre à euxr
mêmes ; Archiloque de Paros étoit à peine entré
dans la ville , qu’on l’en fit fortir pour avoir autrefois
dit dans fes poéfies, qu’il vaut mieux fuir que mourir
les armes à la main. Ils châfferent encore Méan-
drius tyran de Samos, pour avoir diftribué des v aû *