qui étoient toutes entières compolees de chrétiens.
Sous Septime S.evere & fon fils Antonin Caraealla ,
ils furent admis aux charges. Alexandre Severe penfa
à élever un temple à Jéfus-Chrift, & à le mettre au
rang des dieux. Philippe favorifa tellement les chrétiens
, qu’Eufebe •& d’autres auteurs ont cru qu’il l’é-
toit lui-même, ■ &" Confiance Chlore , pere de Conftantin
, les avoit protégés dans les pays de fa domination.
C é to it donc un trait de politique de fe les
attacher; Maxence avoit employé déjà le même artifice
au commencement de fou régné. « Maxence,
» dit Eufebe, A{/i. tu lè f l. V II I . c. xiv. ayant ufurpé
» à Rome la fouveraine puiffance, feignit d’abord
» pour flatter le peuple , de faire profelîîon de
» notre religion , de nous vouloir traiter favorable-
» ment, & d’uler d’une plus grande clémence que
» n’avoient fait fes prédéceffeurs : mais bientôt après,
» il démentit les belles efpérances qu’il avoit don-
» nées ». Conftantin fuppofa donc un longe oîi la
croix lui étoit apparue , afin de fe concilier l’affection
des chrétiens répandus dans toutes les provinces
de l’empire , de donner du courage à fes foldats , 6c
d’attirer le peuple dans fon parti. C’eft ainli que
quelque te ms après Licinius , pour encourager ion
arçaée contre Maximin, fuppofa qu’un ange lui avoit
djfté en fonge. une priere qu’il devoit faire avec fon
armée.
III. Conftantin rapporte de lui-même des chofes
qui ne lui conviennent point. A l’en croire, il ignore
ce que. veut dire la croix ; il ne comprend rien à
l’apparition , il y penfe 6c repenfe , 6c il faut que
Jéfjùs-Chrift lui apparoiffe en fonge pour l’ enùnf-
truire. Qui ne croiroit fur ce récit que les chrétiens
étoient entièrement inconnus à Conftantin , du-
moins qu’il ignoroit .que la croix étoit comme leur
enfeigne, 6c qu’ils s’en fervoient partout, jufques-là
qu’on leur attribuoit déjà, du tems de Tertuliien, de
l'adorer? Cependant Confiance,pere de Conftantin,
avoit favorifé les chrétiens, 6c Conftantin lui-mêrtie,’
né d’une mere chrétienne, paffoit déjà pour l’être
avant que de triompher de Maxence.
IV . Enfin il attribue à nôtre Seigneur Jéfus-Chrift
des chofes indignes de lui. Jéfus-Chrift lui ordonne
de.fe fervir de ce figne pour combattre fes ennemis,
6c comme d’un rempart contre eux. Mais qui ne voit
tout ce qu’il y a ici de fuperfticicux,comme fi la croix
étoit une efpece d’amulette qui eût une vertu fecrette?
Il y a plus ; Conftantin lui-même n’obéit point dans
la fuite à cet ordre divin, puifqu’il combattit deux
fois ceux de Bizance fans avoir le figne de la c ro ix ,
6c il en avoit entièrement perdu le fouvenir ; il fallut
une perte de neuf mille hommes , 6c une nouvelle
vijion pour lui: en rappelter la mémoire.
Qui peut douter à préfent que l’apparition prétendue
du figne célefte ne foit une fraude pieufe que
Conftantin imagina , pour favorifer le fuccès de fes
deffeins ambitieux ?
^ . Cette rufe a cependant fait une longue fortune ,
& n’a pas même étéfoupçonnée defauffeté par d’habiles
gens du dernier fiecle 6c de celui-ci. Je trouve dans
le nombre de ceux qui y ont ajouté fortement & reli-
eieufement foi,le célébré Jacques Abbadie,& le pere
Grainville. Le premier a foutenu la vérité de la vi-
Jifin célejle de Conftantin, dans fon ouvrage intitulé
triomph• de la providence ; 6c le fécond dans une dif-
fertation inférée dans le journal de Trévoux , Juin
1 7 1 4 , art. 48. .
.. On peut réduire à fix chefs tout ce que le doyen
de Killalow allégué avec l’éloquence véhémente qui
lui eft propre en faveur de fa caufe.
I. U cite le témoignage de quantité d’auteurs de
toute tribu , langue 6c nation , anglois , françois ,
efpagnols, italiens, aliemans # tant anciens que modernes
, catholiques romains , comme Godeau, évêque
de Grafle , & proteftans, comme le Sueur, qui
croyent tous la vérité de l’apparition.
Mais premièrement'cette croyance n’a pas été
aufli unanime que le pretènd M. Abbadiepuifque
dès le cinquième fiecle, Gélaze de Cyziquè difoit
que bien des gens loupçonnoient que c’étôit une
fraude pieufe pour accréditer la religion chrétienne
z°. Quand cette croyance feroit encore plus liniver-
Telle, on n’en pourroit rien conclure , parce qu’il y
a quantité de fables auxquelles perfonnç n’a contredit
pendant plufieurs fiecles, & qui ont été reconnues
pour,telles quand on s’eft donné la peine de l,es examiner.
II. M. Abbadie fait valoir le témoignage dès Ariens
tant anciens , comme Eufebe, un de leurs chefs,5c
Phiioftorgé leur hiftorien 6c leur avo ca t, que modernes
, entre lefquels il met Grotius.:;
Le doyen de Kiilalow s’imagine que'les Ariens
avoient un intérêt capital à contefter la vérité dé la
vifion de Conftantin. On pourroit répondre bien des
chofes à ce fujet.
- i° . L’argument n’eft rien moins que concluant:
Dieu a promis à Conftantin la vi&oire en ljii montrant
le figne de la croix au ciel : donc douze ans
après , cet empereur n’a pu errer dans la foi. La vi-
Jion n’étoit pas deftinée à lui aflurei* une foi inébranlable
, mais la vi&oirè fur fes ennemis.
i ° . Quel rapport la croix de Chrift a-t-elle à l’erreur
des Ariens ? Comment fert-elle à les confondre?
Condamnoient-ils , ou rejettoient-ilsla croix du Sauveur?
Eft-ce que de ce que Jéfus-Chift a été crucifié
, ou a fait Voir la croix à Conftantin, il ' S’ enfuit
qu'il eft confubftantiel (o/zoïur/oç) au pere.
30. Tant s’ en faut que les Ariens aient regardé la
vijion de Conftantmj, comme défavorable à leur
caufe, qu’ils ont Retendu le contraire , en obier-
v an t, comme le reconnoît M. Abbadie , que le ligne
célefte étoit tourné vers l’Orient, le centre de
Paria nifme. ,
4°. M. Abbadie s’eft trompé fur le témoignage de
Grotius ; car ce favant étoit un de ceux qui ne
croyoient 'point la vérité de l’apparition célefte à
Conftantin.
I I I . M. Abbadie allégué le filence de Zofime & de
l’empe»*eur Julien , q u i, fi le fait en queftion n’avoit
pas été inconteftable, n’auroit pas manqué de rele-
lever Eufebe , & de convaincre publiquement les
chrétiens d’impofture. Mais pourquoi Zofime > hif-
torien p ayen, dhvoit-il relever Eufebe ? Eft-ce que
fon but en écrivant Ion hiftoire, a été de réfuter en
tout l’hiftorien de TEglife ? D ’ailleurs ce qu’Eufebe a
écrit de la vijion de Conftantin , fe trouve-t-il dans
fon hiftoire eccléfiaftique ? Zofime auroit dû aufli
réfuter fur ce pié - l à , tout ce qui fe trouve dans
les autres panégyriques faits à l’honneur de Constantin.
Par quelle raifon encore Julien devoit-il réfuter
Eufebe ? il n’a pas écrit l’hiftoire, & on ne prouve
pas qu’ il ait lu le panégyrique qu’Eufebe a fait de
Conftantin; fuppofé qu’il l’ait lu , il faudroit faire
voir qu’il l’a pris pour une h iftoire, 6c non pour ce
qu’il eft véritablement un panégyrique. Julien n’a pas
réfuté cette prétendue m erveille, foit parce qu’elle
lui étoit inconnue, foit parce qu’il n’a pas voulu s en
donner la peine, ou plutôt parce qu’il n’ajôutoit aucune
foi à la vijion, comme il paroit par le changement
qu’il fit au labarum.
Si Julien avoit cru que cette enfeigne militaire
avoit été furie modèle d’un figne célefte, & qu’eHe
avoit fervi à Conftantin à remporter tant de viôoires,
pourquoi ce prince , qui étoit ambitieux 6c avide de
gloire, n’auroit-il pas confervé le labarum, dont la
. vertu avoit été tant de fois éprouvée? Ne devoit »
pas craindre qu’en changeant un figne fait par ordre
. du
du ciel mêmê, il n’éprouvât des difgraces , 6c né fut
vaincu par fes ennemis ?
IV. Le favant doyen foutient que la vérité du fait
en queftion s’eft confervée en divers monumens :
tels font les vers de Prudence qui ne parlent que du
labarum. ■ • •; ' •
L’arc de triomphe que le fénat fit élever à .Conftantin
après fa vi&oire fur Maxence, dans l’infcrip-
tion duquel il eft parlé de l’infpiration de la D ivinité
ce qui néanmoins s’explique bien plus naturellement
d’un fonge que d’une apparition vue de
jour.
La ftatue de Conftantin , dont l’infeription, com-
pofée par ce prince mên\e, porte que par ce figne
falutaire, il a délivré la ville du joug de la tyrannie»
Mais ni dans lés vers de Prudence , ni fur i’are.de
triomphe , ni fur la ftatue , il n’eft parlé du figne célefte
vu de jour ; preuve évidente que. .dans ce tems*
là , Conftantin ne fe vantoit de rien de fembiable ;
qu’il ne prétendait que faire valoir .une rufe, un fonge
réel ou fi& if, d’après lequel il ordonna qu’on fît
Je labarum.' Il y a plus : fi.aux yeux 'de toute fon a*r-
mée , Conftantin a vu en plein jour un ligne célefté
accompagné de cara&eres lumineux 6c lifibles, d’où
vient n’a-t-il pas gravé en termes clairs & précis une
telle merveille fur l’arc de triomphe , ou dans l’infeription
de la ftatue ? Ce prince fi pieux , fi recon-
noiffant, auroit-il négligé de tranfmettre fur le marbre
& fur l’airain à la poftérité un prodige attefté par toute
fon armée?
V. Un autre argument que M. Abbadie p refle, &
fur lequel il paroît faire beaucoup de fond , parce
qu’il y revient fous différens tours, eft pris des vertus
6c des viéloires continuelles de Conftantin , qui
depuis ce tems-là ne perdit aucune bataille, 6c ne
trouva point d’ennemis qui lui réfiftaflent. Mais nous
avons déjà répondu à tous les préjugés du doyen de
Killalow fur la gloire de Conftantin , fon mérite 6c
fes vertus.
Nous avons prouvé qu’il étoit de là politique de
cet empereur de fe conduire ainfi. Il fit ôter fur les
drapeaux les lettres initiales qui défignoient le fénat
6c le peuple romain , & fit mettre à la place le monogramme
de Jéfus-Chrift , parce qu’il portoit par
ce moyen les derniers coups à l’autorité de la nation;
Maxence lui-même jugea à-propos pendant quelque
tems d’employer un pareil artifice. Nous avons vu
que Conftantin rapportoit tout à fon intérêt, 6c qu’il
ne craignoit pas beaucoup de fe parjurer. Nous avons
vu aufli que malgré fon monogramme 6c fa vifion , la
viftoire lui fut fort difputée dans les deux batailles
qu’il livra à Licinius fon beau-frere, 6c qu’il eut deux
fois du deflôus en combattant les Byzantins ; enfin
quand nous fuppoferions ( ce dont nous ne convenons
point) que Conftantin ait toujours été vi&o-
rieux après l’apparition du figne célefte , il ne s’enfuit
point de-là , qu’il n’a pas inventé ( pour encou-
rager fes troupes, 6c pour fe concilier l’affe&ion des
chrétiens ) le fonge où il prétend avoir vu cette merveille.
On peut citer nombre d’impoftures qui ont été
couronnées d’heureux fuccès ; celle de Jeanne d’Arc
urnommee la pucelle d'Orléans, n’étoit pas incon-
nue à M. Abbadie.
Cependant il s’écrie avec indignation : « quoi nous
M deymns à la folie des fixions la ruine des idoles,
j ^ dlumination des nations » ? Et nous lui r.éponons,
i° . qu’on ne lit nulle part que les peuples fe
•IlM C0.nvert’is en confidération de cette apparition.
, y raique lorfque Conftantin témoigna goûter le
felT ianJ. . e > nombre de perïonnes en firent pro-
DPr10n ! w Par convittion, foit pour plaire à Pem-
^/i Q» r » entraînées par fon exemple. Si le figne
e £ a et® vu de toute l’armée cooipofée pour la r°mc xm . r r
, .... . v i s m
puis grande partie de payens, d’oii vient qu’un grand
nombre des chefs & des foldats, finon toute l’armée,
n ont pas embraffé la.religion d e Jé fu s-C h r iftf
Quand même un très-grand nombre de payera au-.
roient en ce terris-là fait profeflion de l'Evangile,.ce
qui pourtant n’eft rapporté nulle p a r t, il ne ferait
pas furprenant que. leur conyerfionfùt d ù e à l’arti-
ficëi
V I. Enfin M. Abbadie fe perfuade que les prodi*"
ges qui rendirent inutiles les efforts de Julien pour le
rétabliffement du temple de Jérufaiem , forment un
témoignage confirmatif de l’apparition du figne célefte
à Conftantin.
Mais quand, pouf abréger, nous accorderions aù
doyen de K illalow que les prodiges merveilleux qu’il
a recueillis des hiftoriens , font réellement arrivés
lorfque les Juifij entreprirent de rebâtir le temple ,
quèlle liaifon-ont ces prodiges avec le figne dont
Conftantin s’eft vanté? De ce que le projet des Juifs
favorifés par Alypius d’Antioche, ami de Ju lien ,
pour rétablir leur temple , a échoué, s’enfuit-il qu’il
faut admettre la vérité de la vijion du fils de Confiance
Chlore ? Ces deux chofes n’ont aucun rapport en-
femble ; Jéfus-Chrift a bien prédit la deftruftion entière
du temple de Jérufaiem, mais non pas la vijion
de l’empereur Flav. Valer. Conftantin.
Le p. de Grainville, après avoir défendu la vérité
de là vijion de .Go.nftantin par les témoignages des
hiftoriens eccléfiaftiques, remarque que l’empereur
raconta l’hiftoire de la vijion en préfenee de plufieurs
eveques, qu aucun auteur ancien ni moderne ne ’s’eft
inferit en faux contre cette vijion, & que plufieurs
inferiptions antiques 6c des panégyriques anciens en
font mention ; mais il croitfur-tout trouver des preuves
inconteftables de ce fait dans les médailles antiques
»
Comme nous avons difeute déjà les témoignages
des hiftoriens, des panégyriques 6c du conlentement
general, nous nous bornerons ici à la preuve que le
p. Grainville tire des médailles, & fur laquelle roule
principalement fa differtation. Nous obferverons
feulement que nous ne connoiffons aucun hiftorien
qui ait dit , comme le prétend ce jéfuite, que Conftantin
raconta 1 hiftoire de la vifion en préfenee de
plufieurs évêques, parmi lefquels fe trouvoit Eufebe ;
mais fuppofe que quelque auteur ancien l’ait dit,
comment concilieroir-on fon récit avec celui d’Eufe-
be même, qui nous affure que Conftantin raconta
cette hiftoire à.lui feu l, après qu’il fut entré dans la
familiarité de ce prince ?
Les médailles que rapporte le p. G rainville, font
deftinées à prouver la vérité de ces trois chofes, qui
font remarquables dans la vifion : 1 ° . la croix qui apparut
à Conftantin : z°. l’aflurance qu’on lui donna
qu’il feroit vainqueur: 30. le labarum, o u l’enfeigne
qu’il eut ordre de faire avec le monogramme de Je-
fus-Chrift. Tout cela eft exprimé, félon ce jéfuite ,
dans les médailles de Conftantin & de fa famille ,
dont les unes font dans les cabinets d’antiquaires ,
6c les autres dans le livre du pere Banduri. Mais ces
trois chofes ne prouvent pas le point en queftion ,
que Conftantin a vu en plein jour le figne de la croix
avec cette infeription : vainque{ par cela. Ces. trois
chofes peuvent être vraies, en liippofant que Con-
, ftantin a eu une vijion en fonge. II y a plus, elles
ne prouvent point même que l’empereur ait vu cette
merveille en fonge ; tout ce que l’on peut en inférer ,
c’eft que Conftantin a voulu foire croire que D ieu
lui avoit envoyé un fonge extraordinaire, dans lequel
il avoit eu une pareille vijion.
Nous avons démontré que Conftantin étoit inté-
refl’é à inventer ce qui pouvoit inlpirer de la terreur
à ies ennemis, du courage à fon armée , & lui concilier
l ’aft’eûiondes chrétiens répandus dans l’empire.
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