merce des infra&ions continuelles’ qui s’y font, &
les foulageroit au-moins de tout ce qu’ils font obli-
ges de fupporter au-çfelà de ce que le gouvernement
exige pour les frais d’une multitude de régies & de
recouvremens , pour le bénéfice des traitans fur
ceux de ces droits qui font affermés, & enfin des
perfécutions auxquelles ils font expofés fans ceffe
pour en empêcher la fraude.
Il en faut convenir, la fcience de lever les impôts
qui n’en devoit jamais faire une , eft devenue plus
Vafte & plus compliquée qu’on ne croit. On peut
aifement donner fur cette matière des rêveries pour
des fyftèmes folides, & c’eft ce qu’on a vu dans une
infinité d’ecrits publiés depuis quelque tems à ce
fujet.
Si je n’a vois à propofer que de ces fpéculations
Vagues formées d’idées incertaines, prifes fur des notions
communes & fuperficielles, je me tairois. Je
n ’ignore pas tous les maux qui peuvent être la fuite
d ’un plan faux qui feroit adopté ; l’humanité n’aura
jamais à me reprocher l’intention de les lui caufer.
Mais j’ai opéré, j ’ai amaffé des faits, je les ai médités,
& je ne dirai rien qui ne foit le réfultat d’une com-
Binaifon approfondie. Je crois être en état de répondre
à toutes les obfervations raifonnables que l’on
ourroit me fa ire , & de les réfoudre ; c’eft aux plus
abiles que moi à juger fi je me trompe.
Tous des tributs, de quelque nature qu’ils foient
& fous quelque point de vue qu’on les confider«
fe divifent en trois claffes ; en taxes fur les terres ,
ftir les perfonnes, & fur les marchandifes ou denrées
de confommation.
J ’appelle impôt les taxes fur les terres , parce que
fournir à l’état une portion de leur produit pour la
confervation commune, eft une condition impofée à
leur poffeffion.
Je nomme contributions les taxes perfonnelles, ;
parce qu’elles font fans échanges , c’eft-à-dire que j
le citoyen ne reçoit rien en retour de ce qu’il paye
pour ces taxes ; & encore, parce que n’ayant pour
principe que la volonté de ceux qui les ordonnent,
elles ont de l’analogie avec ce qu’exige un général
des habitans d’un pays ennemi oit il a pénétré &c
qu’il fait contribuer.
Enfin j ’appelle droits les taxes fur les marchandifes
& denrées de confommation, parce qu’en effet
il femble que ce foit le droit de les vendre, & d’en
faire ufage que l’on fait payer au public.
Voici ce qu’ont penfé les plus éclairés de ceux
qui ont écrit fur cette matière.
Platon dans fa république v eu t, quand il fera né-
Ceffaire d’en établir, que les impôts foient levés fur
les confommations. Grotius , Hobbes , Puffendorf
Croient que l’on peut faire ufage des trois efpeces.
Montefquieu n’en rejette point, mais il obferve que
le tribut naturel aux gouvernemens modérés eft l’impôt
fur les marchandifes : « Cet impôt, dit-il, étant
» payé réellement par l’acheteur , quoique le mar-
» chand l’avance, eft un prêt que le marchand a
A déjà fait à l’acheteur ; ainfi il faut regarder le né-
» godant & comme le débiteur de l’état, & comme
» créancier de tous les particuliers, &c ». Je reprendrai
ailleurs les propofitions contenues dans ce rai-
fonnement.
L ’auteur de l’article É co n o m ie po l it iq u e de
ce DiClionnaire eft de même fentiment quant à la nature
de l’impôt ; mais il ne veut pas qu’il foit paye
par le marchand, & prétend qu’il doit l’être par l*a-
cheteur. J ’avoue que je ne vois dans cette différence
que des chaînes ajoutées à la liberté des citoyens
& une contradittion de plus dans celui qui s’en dit
le plus grand défenfeur. Néron ne fit qu’ordonner
l’inverfe de ce que propofe M. Rouffeau, & parut,
dit Ta cite , avoir fupprimé l’impôt. C’étoit celui de
quatre pour cent; qu’on levoit fur le prix de la vente
; des efclaves, Tant il eft vrai que la forme y fait quel-,
; que chofe, & que celle du citoyen de Genève n’eft
| pas la meilleure.
Je fais ce que je dois aux lumières des hommes
; célébrés dont je viens de rapporter le fentiment, fi
j le mien différé, je n’en fens que mieux la diffi-î
S culté de mon fujet ; mais je n’ en fuis point découj
ragé*
: Les impôts quels qu’ils foient, à quelque endroit
& fous quelque qualification qu’on les perçoive , ne
; peuvent porter que fur les ricneffes , & les richeffes
n’ont qu’une fource. Dans les états dont le fol eft
fertile , c’eft la terre : dans ceux où il ne produit
; r ie n , c’eft le commerce.
L ’impôt fur les marchandifes eft donc celui qui
convient dans les derniers, car il n’y a rien autre
chofe fur quoi l’affeoïr.
L’impôt fur la terre eft le plus naturel & le feu!
qui convienne aux autres : car, pour ceux -ci, c’eft
elle qui produit toutes les richeflès.
Me voilà déjà en contradi&ion avec Montefquieu,
pas tant qu’on le croit. On établira des droits tant
qu’on voudra , & fur tout ce qu’on voudra , ce
fera toujours à ces deux principes originaires de
tous les produits qu’ils fe rapporteront, on n’aura
fait que multiplier les recettes , les frais & les difficultés.
Je ne parle pas des états defpotiques, les taxes
par tête conviennent à la tyrannie & à des efclaves.
Puifqu’on les vend, on peut bien les taxer; c’eft auffi
ce qu’on fait en Turquie. Ainfi celui qui a cru trouver
les richeffes de l’état dans un feul impôt capital
, propofoit pour fa nation les taxes de la fervi-
tude.
C ’eft donc un impôt unique & territorial que je
propofe pour les états agricoles , & un feul fur les
marchandifes à l’entrée & à la fortie, pour ceux qui
ne font que commerçans. Je ne parlerai que des premiers
, parce que tout ce que j ’en dirai pourra
s’appliquer aux autres en fubftituant un droit unique
fur les marchandifes à la place de celui fur 1»
fol.
Ces idées font fi loin des idées communes, que
ceux qui jugent des chofes fans les approfondir, ne
manqueront pas de les regarder comme des paradoxes.
Faire fupporter toutes les charges publiques
parles terres ! On ne parle que de la néceffité d’en
loulager les propriétaires & les cultivateurs. Per-
fonne n’ eft plus convaincu que moi de cette néceffité
; mais une chimere, c’eft de croire les foulager
par des taxes & des augmentations fur d’autres objets.
Tout fe tient dans la fociété civile comme dans la
nature, & mes idées auffi fe tiennent, niais il faut me
donner le tems de les développer.
Parce qu’une des parties qui conftituent le corps
politique eft extrêmement éloignée d’un autre , on
croit qu’il n’exifte entr’elles aucun rapport ; j’aime-
rois autant dire qu’une ligne en géométrie peut exif-
ter fans les points intermediaires, qui correfpondent
à ceux qui la terminent.
On n’imagine pas charger les terres en impofant
les rentiers de l’état. Cependant Je luppofe qu’il n’y
eût que deux fortes de citoyens : les uns poffédant
& cultivant les terres ; les autres n’ayant d’autres
biens que des rentes fur l’état. Je fuppofe encore
que toutes les charges publiques fuffent affeClées fur
les derniers. Je dis qu’alors ce feroient les propriétaires
des terres qtu les fupporteroient, quoiqu’ils
paruffent en être exemts , & il ne faut pas un grand
effort de logique pour le concevoir.
Les terres n’ont de valeur que par la confommation
de leur produit. La fubftance des cultivateurs
prélevée, la valeur du fu’rplüs feroit mille , fi lè$
rentiers ne les confommoient. Or plus l’état preri-
dra fur les revenus de ceux-ci, moins ils confom-
meront ; moins ils confommeront * moins les terres
produiront. Ge fera donc ceux qui les poffedent qui
liipporteront l’impôt en entier, car leur revenu fera
moindre de tout ce qu’il aura retranché de ceux des
confommateurs.
Dans la fituation aCtuelle des chofes qü’on impofe
fur les rentiers publics, ce ne fera pas fur leur économie
que l’on prendra. Il y a long-tems que l’excès
du luxe l’a bannie de tous les états de la fociété. On
eft bien fage quand on ne fait qu’égaler fa dépenfe
à fa recette ; ainfi ce fera fur leur confommation ; &
e ’eft mal raifonner que de dire qu’ils n’en feront
pas moins. On ne fauroit diminuer la caufe fans que
l ’effet loit moindre ; ou ils la diminueront pour fa-
tisfaire à l’impôt, & cette diminution produira celle
du revenu des terres ; ou ils la continueront, mais à
crédit ; & . alors ce fera une confommation négative,
plus préjudiciable encore que la diminution réelle.
Celui A qui il ne reftoit rien de fon revenu ; ne continuera
la même dépenfe qu’en ne payant point le
débitant qui lui fournit ; celui-ci ne payera point le
marchand qui lui vend, & ainfi de fuite jufqû’au premier
acheteur des denrées , q u i, n’étant point p a y é ,
ne payera point le cultivateur de qui il les acheté-,
& pour qui cette portion des fruits de la terre eft
perdue, quoique confommée.
Les taxes par tête ne font pas plus diftantes ; ni
plus étrangères que celles-ci à cette fource commune
, où il faut que toutes fe rapportent. Elles ont
|a même réaCtion & les mêmes effets, ce qui fuffiroit
pour conclure que , de quelque maniéré que le retour
s’en faflè -, e ’eft toujours fur la terre que portent
les impôts ; mais comme cette vérité eft fondamentale
, je m’attacherai à la prouver encore d ’une maniéré
plus forte. Auparavant il ne fera pas inutile de
réfuter ici un fophifme , par lequel on a coutume de
vouloir réduire le mal qui réfulte de l’excès des
tributs : c’eft le lieu de le faire , parce qu’on pourront
s’en prévaloir contre moi en abufant de mes
principes.
« Le gouvernement, diroit - o n , ne t'héfaurife
» point-. Tout ce qu’il leve fur les peuples, il le dé-
» p enfe, &c cette dépenfe produit ou fa confomma-
» tio n , ou celle des gens qui en profitent. Les im-
» pots ne diminuent donc point la confommation
*> générale, elle ne fait que changer de place en par-
»> tie , ainfi que les ricneffes numéraires ou lignes
» des valeurs qui ne font que changer de mains. Il
» fuit que la confommation générale reftant la mê-
b m e , le produit des terres qui en eft l’objet ne di-
» minue point. Donc les impôts n’y préjudicient
>> point : donc les terres ne fupportent pas les im*
» pots ».
Voilà je crois cet argument dans toute fa force.
Voic i ce qui doit en réfulter, s’il eft jufte.
Quelqu’exceffifs que foient les tributs qu’exige le
gouvernement , n’en réfervant rien , la lociété en
général n’en peut être moins riche, les terres moins
cultivées, le commerce moins floriffant. Ils ne produiront
qu’un mal local en particulier ; mais ce qu’ils
ôteront a ceux qui les fupporteront au-delà de leurs
forces , paffera à d’autres , l’état n’y perdra rien , &
la fomme de toutes les fortunes n’en fera pas moins
la même.
Ce raifonnement eft infidieux, on n’en a peut-
être que trop abufé pour féduire ceux qui n’étoient
pas fâchés de l’être ; mais outreîque e’eft déjà un très-
grand mal que ces variations de fortunes dans les
particuliers qui caufent toujours une plus grande dépravation
de moeurs,& dans chaque famille une révolution,
dont l ’état entier nç manque jamais de fe reffentir
; <*e ri’eft point dii tout ainfi qu’il aura du refte,
les faits le prouvent, & leur témoignage eft plus fort
que tous lés raifonnemens du monde.
Jamais On n’a levé des femmes fi exorbitantes fur
les peuples, une induftrie meurtrière a épuifé tous
les moyens de les dépouiller. Jamais par conféquerit
les gouvernemens n’ont dû faire, & n’ont fait effectivement
tant de déperifes & de confommation. Cependant
les campagnes font ftériles & défertes, le
commerce languiffant, les fujet$‘& les états ruinés.
Que ceux q u i, trahiffant la vé rité , la juftice &
l’humanité, Ont infinité & prétendu que les charges
immodérées dévoient avoir des effets contraires,
nous difent dont la caufe de ceux-ci; leur intérêt
qui n’ eft pas celui dès autres, leur indifférence fur
les calamités publiques dans lefquelles ils trouvent
leur bien j ne les a point inftruits, je là dirai pour
eux.
i ° . Il n’eft pas vrai que la confommation du
gouvernement; où de ceux qui profitent des déprér
dations qui fe commettent dans fa recette & dans fa
dépenfe, fuppléè à celle que les impôts infupporta-
bles forcent les particuliers de retrancher fur la leur.
Une grande confommation générale ne réfulte què
de la multiplicité des petites ; le fuperflu de plu-
lieitrs, quelque faftueux qu’on les fuppofe, ne remplace
jamais ce qu’il abforbe du néceffaire de tous *
dont il eft la ruine. Deux cent particuliers avec
400 mille livres de rentes chacun, & 10 0 domefti-
ques qu’ ils ri’ont pas, ne confomment pas autant que
80 mille perfonnes, entre lefquelles leurs revenus
feroient divifés à raifon de 1000 liv. éhacun ; en un
mot donnez à un feitl le revenu de 100 citoyens ,
il ne peut confommer que pour lui & pour quelques
uns qu’il employé à fon fervice. Le nombre
des confommateurs, ou la quantité de confommation
fera .toujours moindre de quatre cinquièmes
au-moins; d’où l’on voit pour le dire en pafl'ant, que
tout étant égal d’ailleurs , & la fomme des richeffes
étant la même, le pays où elles feront le plus divisées
fera le plus riche & le plus peuplé, ce qui mon*
tre les avantages que donrtoit l’égalité des fortunes
aux gouvernemens anciens fur les modernes.
Il ne faut pas m’objeCter la diffipation des riches
qui abforbe non - feulement leurs revenus & leur*
capitaux ; mais même le falaire des pauvres dont la
vanité exige encore le travail, lorfqu’elle n’eft plus
en état de le payer.
Le luxe qui produit cette diffipation ; qui éleve
les fortunes , les renverfe, & finit par les engloutir,
ne favorifè point la confommation dont je parle*
qui eft celle des ehofès de néceffité, & que l’état
produit ; au contraire il la reftrairit à-proportion de
la profufion qu’il fait des autres.
Il faut bien qu’il en foit ainfi, car en aucun tems
les hommes n’ont ufé avec tant d’abondance de tout
ce qui leur eft utile ou agréable; & jamais les productions
nationales n’ont été moins cultivées, d’où
l ’on peut inférer que plus on dépenfe dans un état*
moins on y fait ufage des denrées de fon cru.
Et il en réfulte deux grands inconvéniens : le premier
que les charges publiques étant les mêmes,
fouvent plus fortes, font réparties fur moins de produits
, le fécond que ceux qui y contribuent le plus
ont moins de facultés pour les fupporter, d’où il
fuit qu’ils en font accablés;
z°. Plus le gouvernement dépenfe, moins il refti-
tue aux peuples ; cette propofition eft en partie une
fuite de la précédente : quelques fuppofitions que
faffent les gens intéreffés à perfuader le contraire ;
on calculera toujours jufte quand on prendra pour
la valeur d’un de ces termes, la raifon inverfe de
l’autre.
L a diffipation des re ven us publics p ro v ie n t des
4
i f
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