fes (aidais là divine image de là c ro ix , & de livrer
bataille. Mais Laftanee auroit-il raconté un fonge,
dont la vérité n’avoit di’autre appui que le témoignage
de Conftanfin, & auroit-il pafle fous.filence un
prodige qui avoit eu toute l’armée pour .témoin ?
Il y a plus, Eufebe lui-même ne parle point de
cetté merveille dans tout le cours de (on Hijloifc ec-
tléjiajlique, & fur-tout dans le chap. ix. du livre IX .
pii il rapporte fort au long les exploits de Conftantin
contre Maxence. C e n’eft que dans la vie de cet empereur
, écrite long-tems après, qu’ il raconte cette
merveille, fur le témoignage de Conftantin feul.
Comment concevoir qu’une vijion fi admirable, Vue
de tant de milliers de perfonnes, & fi propre à jufti-
fier la vérité'de la religion chrétienne, ait été inconnue
à Eufebe, hiftorien fi foigneux de rechercher
tout ce qui pouvoir contribuer à faire honneur au
chriftianilme ; & tellement inconnue, que ce n’a été
que plufieurs années après qu’il en a été informé
par Conftantin ? N’y avoit-dl donc point de chrétiens
dans l’armée de Conftantin qui fiffent gloire publiquement
d’avoir vu un pareil prodige ? auroient-ils
eu fi peu d’intérêt à leur Caüfe, que aè garder le fi-
lence fur un fi grand miracle ? Doit-on après cela,
être furpris que Gélale de Cyzique, un des.fuccef-
feurs d’Eufebe dans le fiege de,Céfarée, au cinquième
fiëcle, ait dit que bien des gens foupçonnoient
que ce : n’étoit là qu’une fable , inventée en faveur
de la religion chrétienne? Htjl. de a cl. conc. Nie.
c. iv. ~
On dira peut-être que félon les maximes du droit,
on doit plus de foi à un feul témoin qui affirme, qu’à
dix qui nient ; & qu’il fuffit qu’Eufebe ait rapporté
ce fait dans la vie de Conftantin, & que quantité
d ’autres écrivains l’aient rapporté après lui. Mais
on doit fe fouvenir aulîi que félon les maximes du
droit, il eft néceffaire de confronter les témoins, &
que lorfqu’iis fe contredifent, il faut ajouter foi au
plus grand nombre, & aiix plus graves. •
II. Les témoins ne font nullement d’accord entre
e u x ,& rapportent même des chofes oppofées. Ils ne
font pas d’accord fur les perfonnes à qui cette merveille
eft apparue ; prefque tous afîiirent qu’elle a été
vue de Conftantin & de toute fon armée. Gélafe ne
parle que de Conftantin feul : spa.ro dtr o Stoc Kovç-uv-
T/'yoy OTrXiÇti. S'hÇa.Ç « o ra t« awTHpiov tu trr&vpx <n>/j.(iûXov.
Ils different encore fur le tems de la vijion; Philoftor-
ge dit que ce fut lorfqùe Conftantin remporta la victoire
liir Maxence ; d’autres prétendent que ce fut
auparavant, lorfque Conftantin faifoit des préparatifs
pour attaquer le tyran, 6c qu’il étoit en marche
avec fon armée.
Les auteurs ne s’accordent pas davantage fur la v ijion
même ; le plus grand nombre n’en reconnoiflànt
qu’une, ôt encore en fonge, jc*t Svap ; il n’y a qu’Eu-
(ebe , fuivi par Socrate, Nicéphore & Philoftorge,
qui parlent de deux, l’une que Conftantin vit de jour,
& l’autre qu’il vit en fonge, fervant à confirmer la
première.
L ’infcription offre de nouvelles différences ; Eufebe
dit qu’on lifoit tb'tw vin* , d’autres ajoutent la
particule «?; d’autres ne parlent point d’infeription.
Selon Philoftorge & Nicéphore, elle étoit en cara-
rafteres latins; les autres n’en difent rien, &: fem-
blent par leur récit fuppôfer que les cara&eres
étoient grecs. Philoftorge affure que l’infcription
étoit formée par un affemblage d’étoiles ; Artemius
dit que les lettres étoient dorées ; l’auteur cité comme
feptieme témoin , les repréfente conipofées de
la même matière lumineufe que la croix. Selon So-
zomène il n’y avoit point d’infeription, & ce furent
les anges qui dirent à Conftantin: Remportera victoire
par ce ligne.
Enfin les hiftoriens ne font pas plus d’accord fur les
fuites de cette vijion. Si l ’on s’en rapporte à Eulebe*
-Conflantin aidé du fecours de D ieu , remporta fans
peine la victoire fur Maxence. Mais félon Laitance
•la victoire fut fort difputée ; on fe battit de part &
d’autre avec beaucoup de courage, & ni les uns ni
les autres ne lâchèrent le pié. Il dit même que les
troupes de Maxence eurent quelque avantage avant
que Conftantin eût fait approcher fon armée des
portes de Rome. Si l ’on en croit Eufebe, depuis cette
époque Conftantin fut toujours victorieux, oppo-
fa à les ennemis comme un rempart impénétrable, le
ligne falutaire de la croix.
Sozomène affure aulfi ce dernier fait ; cependant
unÆiiteur chrétien, dont. M. de Valois a faffemblé
des fragmens, ad calcem Ammian. Marcellin, p.
4 76. rapporte que dans les deux batailles que Conf.
tantin livra à Licinius, la viCtoire fut douteufe^ &
que même Conftantin reçut une légère blelïure à la
cuiffe. Selon Nicéphore, Hiji. eccléf. L. V II. c.xlvij,
tant s’en faut que Conftantin ait toujours été heureux
depuis cette apparition, & qu’il ait toujours fait porter
l’enfeigne de la c ro ix , qu’au contraire il combattit
deux fois les Bizantins fans l’avoir, &C nê-s’enle-
roit pas même fouvenu, s’ il n’eût perdu neuf mille
hommes, & fi la même vijion ne lui étoit apparue
une fécondé fois, avec une infeription bien plus claire
, & plus nette encore.: Par ce Jigne tu vaincras tous
tes ennemis. Conftantin n’auroif pas fans doute compris
la première, vainqueç par ceci, fans une explication
précédée encore d’un autre avertiffement formé
par l’arrangement des étoiles, contenant ces paroles
du pfeaume U invoque-moi, &Cc. Philoftorge affure
que la vijion de la cro ix , & la victoire remportée
fur Maxence, déterminèrent .Conftantin à èm-
brafîer la foi chrétienne. Mais Ruffin dit qu’il favo-
ri foit déjà la religion chrétienne, & honoroit le vrai
Dieu ; l’on fait cependant qu’il ne reçut le baptême
que peu de jours avant que de mourir, comme
i l paroît par le témoignage de S. Athanafe (Athanaj.
de Jynod. p. 9 17 I) , de Socrate ( L. 11. c. x lvij.'), de
Philoftorge (/. VI. c. v / .) , & de la chronique d’Alexandrie
(ckron, Alexand. p.. 684. édit. Rav. )
Dans une fi grande variété de récits, à qui doit-on
s’en rapporter, fi ce n’eft au plus grand nombre, &
à ceux dont la narration eft la plus fimple ? Sur ce
pié l à , il faut abandonner Eufebe, le fabuleux Nicéphore
, & Philoftorge que Photius appelle menteur,
àvtip 4 ivl'ixoyoif qui parlent d’une apparition arrivée
de jour, & s’en tenir à la vijion en fonge.
. Nous pourrions nous borner à ces courtes réflexions
fur le caraCtere des témoins en général ; mais
par furabondance de droit, nous difeuterons l’autorité
des principaux ; celle d’Eufebe comme hilto-
rien, & celle d’Artemius & de Conftantin comme
témoins oculaires.
Commençons par Eufebe qui a donné le ton à
tous les autres hiftoriens fur ce fujet. Nous n’adop*
terons pas le foupçon de quelques favans qui doutent
qu’il foit l’auteur de la Vie de Conjlantin; nous
ne nous prévaudrons pas non- plus ic i, de ce qu’Eufebe
ne parle point d’une chofe dont il ait été lui-
même témoin, & de ce qu’il ne raconte le fait que
fur le feul témoignage de Conftantin; nous ferons
valoir feulement la maxime des jurifconfultes, qui
dit : Perfonne ne peut produire comme témoin celui
à qui i l peut ordonner d'en faire la fonction , tel qu'eft
un domejlique, ou tel autre qui lui ejl fournis. Mais.JEü-
febe n’eft-il pas un témoin de cet ordre ? N’eft-ce
pas par le commandement de Conftantin qu’il aéent
la v ie , ou pour mieux dire le panégyrique de ce
prince ? N’eft-ce pas un témoin qui dans cet ouvrage
, revêt par-tout le caraCtere de panégyrifte, p»1'
tôt que celui d’hiftorien? N’eft-ce pas un écrivain
qui a fupprimé foigneufement tout ce qui pouvoit
V I S
être defavantageux & peu honorable à fort héros ?
jl pafle fous filence le rétabliffement du temple de la.
Concorde, dont on vo yo it la preuve par une inf-
criptiort qui fe lifoit du tems de Lilio Giraldi, dans
la bafilique de Latran. Il ne dit rien de la mort de
Çrifpus fils de Conftantin, que cet empereur fit
périr fur de faux* & de légers loupçons : pas un mot
de la mort de Fauftine, étouffée dans un bain, quoique
Conftantin lui fût redevable de la vie ; fans parler
de quantité, d’autres faits qu’un hiftorien unique4;
ment attentif à dire la Vérité, n’auroit pas obmis. Il eft
donc bien permis d’en appeller d’Eufebe çourtifan,
flateur & panégyrifte, à Eufebe hiftorien à qui ce .
prodige a été inconnu, jüfqu’au tems qu’il eut la
commiffion de publier les louanges de Conftantin;
Artemius ne nous paroîtra pas plus digne de foi ;
voici le langage qu’on lui fait tenir à Julien. A d Chri-
pim ieclinavit Conjlantinus, ab illo vocatus quando
difficillimum commijit protlium adverfus Maxenùumi
Tune enim , & in meridie, apparuie Jignum crucis radiis
folis J'plendidius, & litteris auras belli Jîgnificans vicîo
riam. Nam nos quoque afpeximus-, cum bello ititerejfe-
mus, & litteras legimus ; quin ttiam tôt us quoque, id ejl
conttmplatus exercitus, & multi hujus funt tejles in .
exercitu. Mais tout ce beau difeours ne porte que fur
la foi de Métaphrafte, aüteur fabuleux, chez qui l’on
trouve les a&es d’Artemius, que Baronius prétend,
à tort de pouvoir défendre, en même tems qu’il
avoue qu’on les a interpolés. ,
Refte le témoignage de Conftantin lui-même, qui
a raconté le fait, & qui a confirmé fon récit par ferment.
Tout femble d’abord donner,du. poids à un
pareil témoignage ; la dignité de ce prince ; fes exploits
; fa confiance ; fa seligion ; enfin c ’eft un témoin
oculaire qui confirme fçy^affertion par ferment.
Que peut-on demander dPplus , & firr quels
fondemens s’élever contre un témoignage de ce ca-
raftere ? Je répondà, fur des fondemens appuyés de
très-fortes raifons, & je vais entreprendre de prou- !
ver : I. que le ferment de Conftantin n’eft pas d’un
aulfi grand poids qu’on le prétend : II. qu’il étoit
tout-à-fait de l’intérêt de Conftantin d’inventer un
fait de cette efpece : III. qu’il rapporte de. lui-même
.des chofes qui ne lui conviennent point : IV. qu’il attribue
à notre feigneur J. C. des chofes indignes de lui.
I. Je dis que le ferment de Coix^lantin dans ce cas,
n’eft pas d’un aulfi grand poids qu’on le prétend.
Suppofons d’abord qu’il l’a fait de bonne foi & dans
la fimplicité de fon ame ; comme ce*n’ a été que fort
long-tems après qu’il a raconté la vijion qu’il avoit
eue de jour, & le fonge qu’il avoit fait la nuit fuivan-
te, on peut fort bien penfer, fans faire tort à la probité
d’un prince vertueux, qu’ayant perdu en partie
le fouvenir des circonftances d’un fait arrivé depuis
fi long-tems , il y a ajouté , retranché, & a confondu
les chofes lans aucune màuvaife intention, &
quen conféquence il a cru pouvoir affirmer par ferment,
ce qu’une mémoire peu fidelle lui fourniffoit.
Par exemple, il pOurroit avoir vu un phénomène
naturel,,une parhélie, ou halo-folaire, comme le
prétendent quelques favans ; enluite il auroit peut-
etre vu en fonge l’infcription tout o yu'kcl , & confondantes
tems & les circonftances, il auroit cru avoir
vu 1 infeription de jour. Cependant diverfes raifons
he nous permettent pas de taxer dans cette occafion,
Conftantin d’un fimple défaut de mémoire.
Fn premieur lieu j c’eft ici un ferment fait en corç-
verlation familière, qui peut avoir été l ’effet d’une
njauvaife habitude, & non l’effet de la réflexion &
flulpoidlUfe »ce Peut lui donner
fa‘^eC<^ ? ei^eir t , c’eft un ferment nullement nécef-
ire. 5 il eût été queftion de fon fonge, comme
mpereurnVvoit d’autre preuve à alléguer que,fa
V I S 35r
parole , ôii conçoit que lé ferment poüvôit être d’ui-
l’age; mais s’agiflant d’un prodige qui devoit être fort
connu, puifqu’il avoit été vu de toute l’armée ,
qu’étoit-il; befoin de ferment pour confirmer un fait
publie, & qu’un grand nombre de témoins oculaires-
pouvoient attefter? C’ eft fans contredit une chofe
étonnante, que Gonftantin ait craint de n’en être pas
cru à moins qu’il ne fîtferment ; & qu’Eufebe ne fe
foit informé du fait à aucun des officiers , ou des
foldats de l’armée, qui fans doute n’ étoient pas tous■
morts; ou que s’il s’étoit informé;-, il n’en ait rien
dit dans la vie de Conftantin, pour appuyer le récit
de çe prince;
En troifieme lieu, quoique les aüteiirs chrétiens
aient prodigué les plus grands éloges à Conftantin;
& qu’ils aient donné les plus hautes idées de fa piét
é , il eft certain néanmoins qu?il n’étoit pas aufli
vertueux qu’il le faudroit pour mériter une entière
foi de la part de ceux qui jugent fainement du prix
des chofes.
. Sans adopter le fentiment de quelques favans, qui
ne prétendent pas à la légère que ce prince étoit plus
jiayen qiie chrétien, nous avons bien affûré qu’il ■
étoit chrétien, plutôt de nom que d’effet. Il a don--
né plus d’une preuve de fon hypôcrifie, & de fon-
pendre piété. Quel chriftianifme que celui d ’un prince-
qui fit rebâtir à fes dépens un temple idolâtre , rüi-i-
né par l’ancienneté ; un prince chrétien qui fit périr
Crifpus fon fils, déjà décoré du titre de Céfari fur uri
léger foupçon d’avoir commerce avec Faufte fa belle--
mere, qui fit étouffer dans ün bain trop chauffé cette'
même Faufte fon époufe, à qui il étoit redevable d e là
eonfervatiori de fes jours ; qui fit étrangler l ’empereur
Maximien Hereulius, ion pere adoptif; qi^L
ôta la vie au jeune Licinius, fon beau-frere ,' qui fai- -
fpit paroître .de fort bonnes qualités ; q u i, en un
mot , ;s’eft déshonoré par tant de meurtres, que le
conful Ablavius appelloit ces tems-lk néroniens-. On
pourroit ajouter qu’il y a d’autant moins de fonds
à fairp fur le.ferment de Conftantin , qu’il ne s?eft-
pas.fait une peine de fe parjurer, enfaifant étrangler-
Licinius, à qui il avoit promis la vie par fermenta
Au refte toutes ces aflions de Conftantin font rapportées
dans Eutrope, l. X . c. iv. Zofim. I. I I . c. xxiXi-'
Orof. lib. P I I . cap. x xviij. S. Jerome, in ehron. àët
ann. 3 2 1 , Aurelius Viélor, in epii. c. I. &c.
II. Il étoit de l’intérêt de Conftantin d’inventer un
fait de cette efpece dans les circonftances où il fe-
trouvoit, & fa politique rafinée le lui fuggéroit. IL
avoit reçu des députés des villes d’Italiê, & de Rome
même, pour implorer fon fecours contre la tyrannie •
de Maxence. Jl louhaitoit fort d’aller les délivrer ,
d’acquérir de la gloire, & furtout un plus grand empire.
La crainte s’étoit emparée de fes foldats. Le9
chefs de fon armée.murmuroient d’une guerre entre-
prife avec des forces fort inférieures à celles que Maxence
avoit à leur oppofer ; de liniftres préfages an-
nonçoient des malheurs. A quoi fe réfoudre dans de
pareilles conjonctures ? Renoncer à la guerre projet-
tée ? il ne le pouvoit après l’avoir lui-même déclarée
à Maxence. Demandera-t-il la paix au tyran?
mais il ne peut l’efpérer qu’en renonçant à l’empire^
ce qui ne convenoit ni à fon honneur, ni à fa fureté.
D ’ailleurs , fon ambition étoit li grande, que dans
la .fuite il ne put, ni ne voulut fouffi-ir de compagnon.
Il crut donc, devoir ufer d’adreffe , & il ne
trouva rien de meilleur & de plus avantageux , que1
de fe concilier les chrétiens qui étoient en très-grand
nombre, non-feulement dans les Gaules , où Conf- -
tance Chlore, pere de Conftantin, les avoit favori-
f é s , mais encore en Italie , & à Rome même ou re*-
gnoit Maxence.
Dès le tems de Marc-Aurele les légions étoient
remplies dç chrétiens, & on prétend qu’il y en avoit
il