ger ; les pleurs vont fuccéder aux r is , 8c ce trouble j
léger qui n’avoit fervi qu’à remonter les refforts de
la machine, va dégénérer en une altération vraiment
maladive ; c’ ell le fécond degré de Yyvrejfe, ou
Yyvrejfe proprement dite.
Alors tous les organes des fens 8c des mouvemens
affeftés deviennent incapables d’exercer comme il
faut leurs fondions ; les yeux obfcurcis ne font plus
que confufément frappés des objets; ils les reprc-
fentent quelquefois doubles, ou agités par un mouvement
circulaire ; l’oreille eft fatiguée par un briûf-
fement continuel; les fens intérieurs, les facultés
de l’ame , les idées, les difcours, 8c les a&ions qui
.les expriment 8c en font les fuites, répondent au
.dérangement des organes extérieurs ; on ne voit plus
aucune trace ni d’efprit ni de raifon ; on n’apperçoit
que les effets des appétits groffxers 8c des pallions
brutales ; les perfonnes dans cet état ne parlent qu’à
bâtons rompus 8c fans fuite ; ils font dans une efpece
de délire dont l’objet 8c la nature varient dans les
différens fujets ; les uns l’ont g a i, les autres mélan-
cholique ; ceux-ci babillent beaucoup, ceux-là font
taciturnes,; quelquefois doux & tranquilles, plus fou-
vent furieux 8c comme maniaques ; un tremblement
univerfel occupe les différens organes des mouve-
jnens ; la langue bégaye à chaque mot, & ne peut
en Articuler un feul ; les mains font portées incertai- •
cernent de côté 8c d’autre; le corps ne peut plus fe
foutenir fyr les piés foibles 8c mal affurés ; il chancelé
de côté 8c d’autre à chaque p as, & tombe enfin
fans pouvoir fe relever. Alors l’eftomac fe vuide , le
.ventre quelquefois fe lâche j les urines coulent, Sc
un fommeil accompagné de ronflement troublé par
.des fonges laborieux fuccede à tous ces fymptômes,
8c les termine plus ou moins promptement.
C e fécond degré d'yvrejfe très-familier à nos buveurs
de vin ÔC de liqueurs fermentées , eft une maladie
en apparence très-grave ; 8c elle le feroit en
effet, fi; elle étoit produite par une autre caufe ; elle
ne îaiffe même aucune fuite fâcheufe pour l’ordinaire,.
à-moins que devenant habitùelle, elle ne mérite
le nom dYyvrognerie. Dansla plupart des fujets
elle fe diflipe après quelques heures de fommeil ; les
-buveurs font cenfés.pendant ce tems cuver leur vin ;
on-en a vu refter yvres pendant plufieurs jours. David
Spilenbèrger rapporte qu’un homme toutes’ les
fois qu’il s’ enyvroit, r eft oit dans cet état durant trois
; jours, ( Mifcell. nat. curiofor. ann. //. obferv. yo. )
Il peut arriver que ce degré à ’yvrefe foit fuivi du
"troifieme , le plus grave de tous, 8c celui qui exige
.les fecours du médecin.
Je fais confifter ce troifieme degré dans l’apparition
des accidens graves 8c moins ordinaires , tels
;que là fo lie , les convulfions , l’apoplexie, &c. qui
fuccedent aux fymptômes que nous venons de détailler
, ou qui fuivent immédiatement l’ufage des
.corps enÿvrans. Lorfque Yyvrejfe eft à ce point, le
danger eft grand; il eft cependant moins preffant &
moins certain que fi ces fymptômes dévoient leur
naiffance à toute autre caufe pour prononcer plus
•fûrement’ fur la grandeur du péril que courent les
perfonnes y v r e s , dans ces circonftances il faut attendre
que le vin foit cuvé ; comme l’on a it , s’il eft
la caufe de Yyvrejfe, parce que fi les accidens perfif-
'tent avec la même force , il,y..a tout à craindre pour
les jours .du malade. Hippocrate a remarqué que fi
-une perfonne yvre dëvenoit tout-à-coup muette ou
apopieâique , elle mouroit dans les convulfions, à-
.moins que la fievre ne furvînt, ou qu’ elle ne reprît
la parole dans le tems que Yyvrejfe a coutume de cef-
iex.rAphor.S.iïb.V. r; • : i ■- i
Antoine de Pozzis raconte qu’un fameux buveur
futpendant uneyvrejfe tourmenté de vives douleurs
de’tête excitées par le déchirement de la dure-mere,
8c qui ne cefferent que lorfque les os du crâne fe
furent écartés les uns des autres : cet écartement qui
étoit d’un pouce, avoit lieu à la future coronale;
depuis cet inftant cet homme eut l’avantage de pouvoir
boire très-copieufement fans s’incommoder 8c
d’eny vrer tous ceux qui vouloient difputer avec lui.
Il ne manque pas d’exemples de perfonnes qui ont
accéléré leur mort par l’excès du v in , mais c’eft
moins par Yyvrejfe que par l’yvrognerie, c’ eft-à-dire
que leur mort a été moins la fuite des fymptômes
pafl'agers qui caraâérifent Yyvrejfe, que l’effet de
l’altération lente 8c durable que fait fur la machine
l’excès des liqueurs fermentées réitéré fouvent, l’y-
vrognerie ôu Yyvrejfe habituelle. Lorfque les perfonnes
yvres meurent, c’ eft pour l’ordinaire promptement
8c dans quelque affedion foporeufe ; lesyvro-
gnes voient la mort s’avancer à pas lents , précédée
par des gouttes-rofes, des tremblemens , des para-
ly fie s , 8c déterminée le plus fouvent par des hydro-
pifies du bas-ventre ou de la poitrine.
Dansla defeription de Yyvrejfe que nous venons
de donner , nous nous femmes uniquement attachés
à celle qui fe préfente le plus fréquemment, peut-
être même la feule véritable, qui eft l’effet du vin8c
des liqueurs fpiritueufes , 8c qu’on a plus fpéciale-
ment défignée fous le nom de tcmulence , dérivé de
temetum, ancien mot latin banni aujourd’hui de l’ufage
, qui fignifioit vin. On voit cependant allez fouvent
produits par d’autres caufes des fymptômes
affez analogues à ceux que nous avons expofés, 8c
au concours defquels on a donné le nom générique
d'yvrejfe. Parmi ces caufes on range d’abord toutes
les fubftances narcotiques veneneufes, parce qu’avant
de produire leur effet immédiat , qui eft l’affou-
piffement plus ou moins fort, l’apoplexie ou le troifieme
degré d'yvrejfe; elles excitent, quand leur action
eft lente, l’efpece de gaieté, le délire 8c enfuite
la ftupeur qui caraftériient les autres degrés d'yvrejfe:
ce qu’elles font aufli quand elles font priles à petite
dol'e ou par des perfennes*habituées ; dans cette
claffe font renfermés les folanum , les ftramonium,
la mandragore , la bellaüona, la ciguë, les noix folles
, nuces infanas, dont parle Clufius, la npix my-
riftique, fuivant Lobelius , les feuilles de chanvre ,
fort ufitées chez les Egyptiens fous le nom à'affilié.
fuc des pavots ou l’opium, avec lequel les Turcs
s’enyvrent fréquemment, 8c dont ils compofenî,fuivant
Màthiole 8c Sennert, leur mafiach, liqueur très-
enyvrante ; quand ils vont au combat, ils fe fervent
aufli de l’opium pour s’étourdir 8c s’animer ; ils n’en
prennent que ce qu’il faut pour produire le commencement
du premier degré à’yvrejfe. Les femehees
d’yvraie , dont le nom fort analogue à celui d’y -
-m^«,paroît ou l’avoir formé ou en avoir été formé,
font aufli très-propres à enyvrer ; ceux qui mangent
du pain dans lequel elles entrent en certaine quantité
, ne tardent pas à s’en appercevoir par des maux
de coeur, des douleurs de tête , des vertiges, le-délire
, en un mot Yyvrejfe qui fuccede auflitôt ; quelquefois
les convulfions furviennent; le vomiffement
8c le fommeil terminent ordinairement ces accidens.
Schenkius dit avoir vu excité par l’ufage de ces grains
• une nyftalogie ; Jacques Wagner, outre plufieurs
exemples d’yvrejfe produites par la même caufe, rapporte
une hiftoire qui fait voir que les faits les plus
abfurdes ne manquent jamais d’être atteftés par quelque
autorité : « dans une maifon de campagne, un
» cheval ayant mangé une grande quantité d’yvraie,
» . tomba comme mort, 8c ayant été réputé te l, il
» .fut porté dehors où il fut écorché ; après que l’y -
» vrejje fut diflipée , le cheval fe réveille 8c revient
» tranquillement dans l’ écurie, au grand étonne-
» ment dé ceux qui furent les témoins de cet eve-
» nement fingulier ». On eu trouve le détail manufcrit
fait fur le champ avec autenticité- dans la.biblio-
teque publique. d’une ville voîiine , Tigur/im. Je
doute fort que ce témoignagé fulfife pour forcer la
croyance des le&eurs peu faciles.,
Le la it, fuivant quelques auteurs, mérite aufli d'être
regardé comme une des caufes d'yvrejfe ; il produit
fréquemment cet effet chez les Scythes 8c les Tarta-
res, après qy’ils lui ont fait fub)r quelques préparations
; les principales font, au rapport des hiftoriens,
la fermentation 8c la diftillation ; quoique nous ignorions
la maniéré d’exciter dans le lait la fermentation
fpiritueufe, la nature muquéufe du lait 8c fon pafl’a-
ge à l’acide nous la font concevoir très-poflible ; 8c
peut-être pourrions-nous l’obtenir fi nous pouvions
prendre le lait dans;l’inftant où la fermentation acé-
teufe. commence , 8c fi nous favions rendre cette fermentation
plus lente; le breuvage qui réfulte de ce
lait fermenté, e ft, fuivant L u c , dans fa relation des
Tartares, appelle par les habitans chyme ou po^a.
Profper Alpin prétend que la liqueur à laquelle on
donne ce nom, eft faite avec la farine d’y v r a ie , les
femencesde chanvre 8c l’eau. Il n’eft pas aufli facile
d’imaginer comment le lait peut par la diftillation
fournir une liqueur eny vrante 8c par conféquent fpiritueufe.
Quoique Sennert croie en trouver la raifon
dans la nature du beurre, qui étant gras 8c huileux ,
doit, fuivant lu i, donner des huiles peu différentes
des efprits; l’état de perfection où eft aujourd’hui la
chimie, ne permet pas de recevoir de pareilles explications
; il eft plus naturel de penfer que le fait
examiné par des yeux peu chimiftes, fe trouve faux
ou confidérablement altéré, du-moins il eft permis
d’en douter jufqu’à ce qu’il ait été vérifié par des ob-
fervateurs éclairés.
Nous porterons le même jugement fur la faculté
eny vrante que quelques auteurs ont attribuée à certaines
e aux ; telle eft fur-tout celle du fleuveLin-
certe dont les effets paffent pour être femblables à
ceux du vin. Ovide dit que
Hune quicumque parùm moderato gutture traxit,
Haud aliter titubât ac J i mera vina bibijfet.
Metarn. lib. X V .
Séneque rapporte la même chofe , qucejl. natur. Lib.
I I I . cap. xx. Ce fait vrai ou faux eft encore atrefté
par Pline , hijlor. natur. lib. I L cap. io j . Cependant
malgré ces autorités, il ne Iaiffe pas d’être regardé
comme très-incertain. Le témoignage d’un poète
menteur de profeflion, d’un philofophe peu obfer-
vateur 8c d’un naturalifte pris fouvent en défaut, ne
paroiffentpas affez décififs aux perfonnes difficiles.
Bacon deVerulamaffure que les poiffons jettés du
Pont-Euxin dans de l’eau' douce, y font d’abord comme
enÿvrés , hiji. natur. & art. Il a pris cette inquiétude
, cette agitation qu’ils éprouvent en paffant dans
une eau fi différente , pour une véritable y vrejfe ;
mais c’eft abufer des termes que de confondre ces
effets. ,
L ’aClion de ces différentes cau,fes n’étant ni bien
décidée, ni même fuffifamment conftatée, 8c les
principes par lefquels elles agiffent, étant peu ou mal
connus , nous ne nous y arrêterons pas davantage ;
nous entrerons dans un détail plus circonftancié au
fujet des liqueurs fermentées qui font les caufes d’y -
vrejfe les plps fréquentes 6c les plus exa&ement déterminées
; nous allons examiner en premier lieu,
dans quelle partie réfide la faculté d’enyvrer : z°.
quelle eft la façon d’agir fur le corps pour produire
cet effet.
On appelle en général liqueurs fermentées celles
qui font ,1e .produit de la fermentation fpiritueufé:
elles contiennent un eiprit ardent inflammable, un
fel acide , 8c fouvent une partie extra&ive qui. lés
colore, que Becher appelle la fubfance moyenne ;
quoique tous les végétaux qui contiennent une cer-
taine quantité de corps doux , fucrc ou muqueux \
foiént fufceptibles de cette fermentation , on n’y
expofe dans ces pays pour l’ufage, que les raifins qui
donnent le vin , les poires 8c les pommes qui four,
niflent le poire 8c le cidre , & les grains dont on fait
la biere. A ^ y ^ toùs ces anilles. Dans les In'dès., au
défaut de ces fruits ,- on fait fermenter les fucs des
bouleaux,'des acacia, des palmiers; les Maldives
font du pain 8r du vin avec le palmier fagoutier; 8c
les Tartares, fi nous en croyons nos voyaveurs, tirent
du lait une liqueur fpiritueufe ; on n’obferve
dans toutes ces liqueurs préparées avec ces diverfes
fubftances , aucune différence effentielle ; elles contiennent
les mêmes principes plus ou moins purs 8c
combinés dans des proportions inégales ; les médecins
ne font pas d accord fur le principe qui contient
la caufe materielle de Yyvrejfe ; les uns prétendent que
c’eft i’efprit ou la partie fulphureufe ; les autres fou-
tiennent que c’eft l’acide ; ils fe réunifient tous à
regarder la partie eytraftivc. colorante comme inu-
tile ; ou pourroit cependant leur objecter que la
biere dans laquelle on a mis une plus grande quantité
de houblon qui fait l’ofilce de fubftance moyen-
ne , 8>c qui jretarde la formation du fpiritueux , eft
beaucoup plus eny vrante que les autres. Pour ré-
pondre à ce fait qui paroît concluant, ils feroient
obligés de foutenir que la ftupeur ,. l’engourdiffe-
înent, l’efpece de déliré & les autres fymptômes excités
par cés fortes de. bierre, ne font pas une v.érita-
blq yvrejfe, mais une maladie particulière fort analogue
à l’effet des plantes foporiferes ;^! eft vrai que
l’eau-de-vie , l’efprit-de-vin , les vins blancs, &c.
n’enyvrentpas moins, quoique privés de cette partie.
Tachenius & Beckius, partisans de la pathologie
acide, n’ont pas cru devoir excepter Yyvrejfe d’une
réglé à laquelle ils foumettoient toutes les autres maladies
j ils ont reconnu dans le vin une partie acide ,
8c ils lui ont attribué la faculté d’enyvrer ayec d’autant
plus.de fondement, difent ils, que les plantes
qui contiennent de l’alkali, fon t, fui vant eux , .le fecours
le plus efficace pour diffiper Yyvrejfe. fts ajoutent
que la gaiete. excitee au commencement de Yyvrejfe
, nè fauroit s’ expliquer plus naturellement que
par l’effervefcence qui fe fait entre les parties acides
du vin 8c les fubftances alkalines des efprits animaux,
8c que le fommeil qui fuccede enfin, 8c qui eft déterminé
par une plus grande quantité de liqueurs fermentées
, eft une fuite de l’excès de l’acide fur les
alkalis , qui en détruit la force 8c l’aélivité.
Il n’eft pas befoin d’argumens pour réfuter,Taitio-
logie de la gaieté 8c du fommeil établîe ’fur le fondement
que l’acide eft la caufe de Yyvrejfe.. Cette explication
ridicule tombe delle-même ; 8c pour en fap-
per les fondemens , il fuffira de remarquer que les
vins enyv.rent d’autant plus qu’ils font'. plus fpiri-
tueux ,_8c par conféquent moins acides ;, tels font lés
vins d’Efpagne, d’Italie 8c des provinces méridionales
de France, que les vins les plus tartareux ou acides,
comme ceux de Bourgogne 8c du Rlfen ., font les
moins enÿvrans : que les vins foibles qui ne contiennent
prèfque point de „tartre, comme les vins
blancs , enyvrent plus promptement que les vins plus
forts & en même tems plus tartareux : que l’eau de-
vie 8c l’efprit-de-vin, qu’on a même fait paffer fur les
alkalis fixes , 8c qui fe trouvent 8c par la diftillation
8c par cette opération dépouillés de tout acide fur’à-
bondant à fa mixtion, enyvrent à très-petite dofe 8c
très-rapidement; on pourroit oppofer à ce qu’ils difent
fur la vertu des plantes alkalines contre Yyvref-
f e , i ° . que ces plantes dont il faut retrancher les
vulnéraires, 8c qu’ il faut.reftr.eindre aux crucifères,
agiffent principalement en pouffant par I.es, urines :
2 ° . que les remedes employés le plus fréquemment