aux hàbitans dé c'ettè île de cultiver leurs terres. Jamais
elle pe s’eft repeuplée depuis : & 1 on fait que
c’eft par une Vue d’adminiftration femblable que les
A'nglois dominent en Portugal, & que ce royaume
ne femble pofféder que pour eux les tréfors du nouveau
monde.
Les fruits de cette police en France ne montrent
pas moins combien elle peut être funefte. Pendant
tout le miniftere de Colb e rt, le prix des grains ne
ceffa de diminuer jufqu’à ce que ne fuffifant plus
pour rembourfer les frais de leur culture , on finit
par eh éprouver là difette.
11 fit tout ce qu’il put pour réparer ce mal, mais
il ne fit pas ce qu’il devoit, il perfifta dans fes prin-
cipésj des diminutions lut les tailles, des encourage-
mens' accordés à la population Sc à l’agriculture , ne
réparèrent rien. Qu’auroient fait les proprietaires
des denrées qu’ils auroient recueillies ? Elles etoient
fjinS débouchés, conféquemment fans valeur. Les
engager à les cultiver, c’étoit les engager à devenir
plus, pauvres de toute la depenfe de la culture.^
Une faute de cette efpece ne relie point ïfolée, il
faut que toutes les branches de l’adminiftration s’en
reffentent. Je m’abftiendrois de retracer l’enchaînement
de malheurs qui fuivirent celle-ci , fi je ne
croyois pas1 qu’il eft utile de les connaître pour les
é vite r, & fi d’ailleurs ils avoient moins de rapport
avec lé fnjet que je traite.
Les richeffes naturelles anéanties, les fujets le
trouvèrent hors d’état de fupporter les impôts né-
ceffaires, le gouvernement fut oblige de recourir
aux créations de rentes & d’offices, à la multiplicité
des droits fur les confommations , qui les diminuent
d’autant, aux emprunts, aux traitans, & à tous ces
expédiens deftru&eurs qui defolent le peuple &
ruinent les empires.
Colbert lui-même confomma les revenus par anticipation
; & les progrès du mal qu’ il vit commencer
s’accelererent dans un tel degré de vîteffe, qu’en
17 15 , trente-deux ans feulement après fa mort, les
principaux revenus de l’état fe trouvèrent engagés
à perpétuité, l'excédent dépenfé par avance fur plu-
fieurs années , toute circulation détruite, lesmailons
de la campagne en mafures, les beftiaux morts, les
terres en friche , & le royaume inondé de toutes
fortes d’exatteurs , qui avoient acquis fous les titres
les plus bifarres le droit d’oprimer les peuples fous
tous les prétextes poflibles.
Je l’ai déjà d it , c’eft à regret que je retrace ce tableau.
Je ne refufe point à ce miniftre le tribut de
reconnoiffance que lui doivent les arts & les lettres,
mais je puis refufer encore moins celui que l’on doit
à la vé rité , quand de fon témoignage dépend le bien
public.
Sans le trafic de fes vins & quelques manufactures
groffieres que Colbert méprifoit, qui fait dans quelle
fituation plus déplorable encore la France eût été
réduite ?
Ce qui prouve que fes établiffemens de commerce
étoient ruineux, c’eft qu’après fa mort, dès qu’on
ceffa de dépenfer pour les foutenir , la plupart s’écroulèrent
& ne purent fubfifter.
Sully qui ne voyoit la gloire de fon maître que
dans le bonheur des peuples , & qui fàvoit qu’il ne
la trouvoit que l à , connoiffoit bien mieux la fource
de ce bonheur & des richeffes de la France , quand
il croyoit qu’ elle étoit dans l’étendue & dans la fertilité
de fon fol. La terre, difoit-il, produit tous les
tréfors, le néceffaire & le fuperflu ; il ne s’agit que
d’en multiplier les productions, & pour cela il ne
faut qu’ën rendre le commerce fûr & libre- « Votre
» peuple feroit bientôt fans argent, & par confé-
» quent votre Majefté, fi chaque officier en faifoit
» autant » , écrivoit-il à Henri en parlant d’un magiftrafc
ftupide, qui avoit défèndti le tranfport deâblés
I I .
On fait qu’avec ces maximes , fon économie, &
fur-tout la modération des impôts ; il tira le royaume
de l’état de défolation oîi l’avoit réduit des guerreà
cruelles & fânglantes. Il eft curieux de lire dans Bo-
lingbrock les prodiges de bien public qu’opéra ce
miniftre, plus grand encore par fon intégrité que
par fes lumières , dans le court efpace de quinze années
que dura fon adminiftration. Il femble que depuis
on ait craint de partager fa gloire en l’imitant.
C ’eft une prodigieufe avance pour bien gouver-1
n e r , qu’un grand amour du bien public. Ce fenti-
ment dominoit Sully. Il n’apperçùt peur-être pas toute
l’étendue de fes vues; mais il en eut de juftes fur le
commerce : il comprit qu’il ne produit véritablement
les richeffes, qu’autant qu’on en poffede les
matières. Il pouvoit en allant plus loin reconnoître
‘ que plus elles font de néceffité * plus il eft fûr & profitable.
J ’en trouve encore un exemple chez les Anglois;
tandis que l’Efpagne, le Portugal & la Hollande en-
vahiffoient toutes les mines des Indes & de l’Amérique
; par la feule manufacture de leurs laines, ils
devinrent plus puiffans que tous ; & ce commerce
éleva leur marine à une telle fupériorité, qu’ elle fit
échouer toutes les forces de l’Efpagne, & les rendit
les arbitres de l’Europe.
Tout autre trafic eft défavantageux même avec
fes colonies. Quelques richeffes que l’on eh tire ,
elles appauvriront la m étropole, fi elle n’ eft en état
de leur envoyer1 en échange des denrées de fon cru.
C’eft bien pis fi elle manque pour elle-même de celles
de néceffité. Alors ce ne fera que pour les nations
qui les poffedent, qu’elle aura fait venir ces tréfors.
Voyez ce qu’ elles ont produit en Efpagne. Aucune
puiffance ne poffede des colonies fi riches, aucune
n’eft fi pauvre.
Tout ceci conduit à une réflexion : c’eft que toute
nation qui peut avoir un abondant fuperflu des
matières de première néceffité, ne doit faire le commerce
& fe procurer les marchandifës étrangères
qui lui manquent, que par l’échange de celles qui
excédent fes befoins. Il ne faut permettre l’entrée
de ces marchandifës dans le p a y s, qu’à condition
d’en exporter pour une valeur lemblable de celles
qu’il produit.
Voilà peut-être la vraie mefure du luxe & les feules
lois qu’il y ait à faire contre fes excès. Cette
idée vaudroit la peine d’être développée avec plus
d’étendue que je ne le puis ici. Je dirai feulement
qu’alors la confommation du fuperflu devenant la
mefure des progrès du luxe , fon plus grand degré
poffible feroit la plus grande quantité poffible de ce
fuperflu, & la culture univerfelle de toute la furface
de l’état. D ’où il arriveroit qu’au-lieu de les détruire
, il contribueroit à multiplier les richeffes naturelles
qui font les feules réelles.
Je dis les richeffes naturelles ; car pour celles de
convention, ce commerce borné à des retours en
nature, n’ en ajouterait aucunes à celles qu’on aurait
: vous n’auriez échangé que des denrées contre
des denrées, il n’en réfulteroit pas même un écu de
plus dans l’état, mais auffi il n’y en aurait pas un dë
1 moins. Ce qu’on auroit acquis eft bien d’un autre
prix ; la terre multiplierait par-tout fes tréfors & les
hommes,l’agriculture & le commerce dans un jufte
rapport, leur offrant de tous côtés les moyens defub-
fiftance & de fe reproduire ; croiffant toujours en-
femble en même raifon ; ne laiffant rién d’inculte *
rien d’inhabité ; faifant enfin la grandeur & la prospérité
de l’état par la multitude & l’aifance des ci-«
toyens. fur-tout par la pureté des moeurs qui réftïk
teroit de l’habitation des campagnes; car c’ eft là feu*
Iement qu’elles font innocentes & qu’elles fe maintiennent.
Il s’en fuivroit encore que l’argent ne feroit plus
la puiflànce des empires, mais le nombre des hommes
, tk. celui-là en auroit le plus qui auroit un plus
grand efpace à cu lti^ r. S’il arrivoit en outre qu’après
les avoirfabriquees, il réexportât une partie des
matières étrangères qu’il auroit reçues, ou qu’il envoyât
une plus grande quantité des tiennes,il fe trouverait
encore plus riche de tout le profit de cette
réexportation, ou de toute la valeur de ce qu’il auroit
tranfporté de fes denrées au-delà de ce qui lui
auroit été apporté de celles des autres.
Si méconnoiffànt ces avantages, dont j ’abrégé la
plus grande partie, on prétendoit qu’en preferivant
la nature des échanges, j’impofe au commerce une
gêne contraire à fes progrès, & qui même en pourrait
caufer l’interruption ; je réponds d’avance deux
chofes.
La première ; que je ne propofe ces échanges que
pour les marchandifës de fuperfluité qui ne font d’aucune
utilité réelle, que ne confomment point les befoins
naturels, mais que prodiguent la vanité & les
fantaifies ; pour celles enfin dont l’état pourrait fe
paffer fans éprouver aucun préjudice, quand on cef-
feroit de lui en apporter, & qui n’ont de valeur,
malgré leurs prix énormes, que le caprice de ceux
qui en font ufage.
Secondement, l’intérêt de ceux qui poffedent ces
marchandifës, n’eft pas de les garder. Il y auroit
toujours beaucoup d’avantage pour eux à les troquer
contredes denrées de néceffité dont la vente eft bien
plus affurée ; ainfi loin de craindre d’en manquer ,
l ’importation en pourrait être fi abondante, que le
fuperflu n’y fuffiroit.pas, & qu’il y auroit au-con-
traire des précautions à prendre pour que les échanges
ne fuffent jamais aflèz confidérables pour l’excéder.
On fent bien que ces difpofitions ne conviendraient
pas en entier à toutes les nations ; pour plu-
fieurs, elles ne font praticables qu’ en partie fuivant
ce qu’elles ont & ce qu’il leur manque : pour d’autres
elles ne le font point du-tout. Celles-ci ont des
lois très-féveres contre l’ufage des marchandifës de
luxe, il vaudroit mieux prévenir le mal que d’avoir
à le punir. Les lois vieilüffent & deviennent caduques.
Le commerce produit l’opulence qui introduit
le luxe, & les matières font employées malgré les
défenfes.
Je croirais plus fûr pour ces nations, de preferire
une proportion rigoureufe entre l ’importation &
l’exportation de ces matières, de n’en fouffrir l’entrée
que pour des quantités égales à celles qui en fortent ;
de maniéré qu’il fut certain qu’il n’en feroit point
refté dans le pays. Le corps politique doit fe confi-
dérer à cet égard comme un négociant particulier
qui n’achete qu’autant qu’il vend. S ’il confomme
lui-même, il eft perdu ; & tout ce qui eft reçu &c non
réexporté, eft confommé ou le fera.
Je n’empêche pas qu’on ne regarde ce que je vais
dire comme une rêverie. Il n’y aura que l’humanité
qui y perdra. Si la jultice, la bienfaifance & la concorde
fubfiftoient parmi les hommes, ce feroit à ces
peuples que la force & l’amour de la liberté ont relégué
dans ces contrées arides , dont le fol ne produit
rien , qu’il faudrait laiffer l’emploi de diftribuer
entre les nations le fuperflu réciproque de celles qui
en ont. Elles fe borneraient à l’enlever & à le vendre
aux autres qui viendraient le chercher, & la fin
des échanges feroit de procurer à toutes le néceffaire
dont elles font dépourvues.
Mais un traité en faveur du genre-humain n’eft
pas le premier qui fe fera. Les opinions qui divifent
k terre, en ont chaffé l’équité générale pour y fubf-
Tome X V I I ,
txtuer l’intérêt particulier. Les hommes font bien plus
près de s’entregorger pour des chimères, que de
s’entendre pour en partager les richeffes; auffi ai-je
bien compté propofer une chofe ridicule pour le plus
grand nombre. 1
Il eft tems de retourner à mon fujet. Je ne m’en fuis
peut-être que trop écarté: mais fi ces réflexions fur
une matière auffi importante que le luxe &c tout ce
qu’il produit, font utiles ; fi elles peuvent enfin déterminer
une bonne fois fes effets, elles ne feront ni
déplacées, ni trop étendues.
J ’ai promis de démontrer d’une maniefe plus
générale & plus pofitive que je ne l’ai fait encore ,
que tout impôt retourne fur la terre quelque part où
il foit mis ; ceux même auxquels on affujettiroit
les marchandifës de luxe, quoiqu’elles foient étrangères,
auroient cet effet; & on le tromperait fi de ce
que je viens de dire on en concluoit le contraire.
L’étranger qui apportera ces marchandifës en augmentera
le prix à-proportion de l’impôt ; ce ne fera
donc point lui qui le fupportera, mais le citoyen qui
les confomme, & qui les payera plus cher de toute
la quotité du droit.
Or fi j’ai prouvé que la dépenfe du luxe préjudi-
cioit à la confommation du néceffaire que le fol produit,
il eft évident que plus cette dépenfe fera con-
fidérable, moins on confommera de ces productions,
il s’ en fuivra une diminution proportionnée düns la
culture des terres, conféquemment dans leur revenu
; ce fera donc fur elle que ces impôts retourneront
: il en fera ainfi de tous les autres. Donnons-en
quelques exemples encore.
Le cuir & toutes les marchandifës de peaufferie ,
de mégifferie, de pelleterie & de ganterie, qui proviennent
de la dépouille des animaux, lorlqu’elles
font dans leur dernier état de confommation, paroifi
fent les moins relatives au fol. Perfonne ne penfe
qu’il puiffe exifter aucune relation entre lui & une
paire de gants. Cependant que comprend le prix que
la paie le confommateur ? celui de toutes les productions
de la terre employées pour la nourriture &
l’entretien de tous les ouvriers qui les ont travaillées
dans tontes les formes où elles ont paffé. Toutes.Ies
taxes que ces ouvriers ont fupportées perfonnelle-
ment, & encore celles qui ont été levées fur leurs
fubfiftances; de plus les droits perçus fur les peaux à
chacune des modifications qu’elles ont reçues.
En mettant un nouvel impôt fur la derniere , ce
ne fera, dit-on, que la confommation qui le fupportera.
Point-du-tout ; il retourne fur le produit de la
terre directement ou indirectement.
Directement, en affeCtant les pâturages où font
élevés les beftiaux quifourniffent ces m archandifës,
& qui deviendront d’un moindre produit, fi l’impôt
en diminuant la confommation des peaux dans leur
dernier apprêt, diminue le nombre des nourritures
qui fait la valeur de ces fonds.
Indirectement, en affeCtant la main-d’oeuvre, qui
n’eft autre chofe que le prix des denrées employées
par les fabricans ; & ces denrées d’où viennent - elles?
On en peut dire autant des dentelles & de toutes
les marchandifës qui exigent le plus de préparation ,
en qui la multitude des façons a fait, pour ainfi dire,
difparoître les matières dont elles font compofées,
& ne rappellent rien de leur origine.
Il' eft donc v ra i, & ces exemples le prouvent invinciblement
, que quelque détournée qu’en paroiffe
la perception, les droits remontent toujours à la.
fource de toutes les matières de confommation qui eft
la terre. Il l’eft auffi, que ceux fur la terre font à la
charge de tous les citoyens ; mais la répartition &
la perception s’en forment d’une maniéré fimple &C
naturelle, au-lieu que celle des autres fe font avec
R R r r r i j
! »
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