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«toient d’un avis contraire. On ne voit pas en effet,
comment avec un peu de philofophie on pouvoir
croire la terre habitée en-deçà du douzième degre,
& inhabitable au-delà. D’ailleurs dans le fa it, il pa-
roît que Strabon & tous les auteurs qu’il cite, con-
noiffoient des portions au-delà du douzième degré.
Si le mont Elephas-dont parle ce géographe après
Arthémidore, eft le mont Frellet d’aujourd’hui, comme
il y a bien del’apparence, fi le No?ov
cap d’Orfai, ou un autre encore plus méridional,
fiiivant Ptolémée, nous voilà affurément au-delà du
douzième degré.
L ’équateur divife la {one torride en deux parties
égales, qu’on peut regarder comme deux {ones torrides
, l’une au nord , 6c l’autre au fud de 1 équateur.
' Sous la {One torride, font fitués une grande partie
de l’A frique, l’Abaflie, l’Océan indien, une partie de
l’Arabie, C amboye, l’Inde 6c les îles de la mer des
Indes, Ja v a , Ceylan, le Pérou, l’Efpagne mexicain
e , une grande partie de l’Océan atlantique, l’île de
fainte Helene, le Brefil 6c la nouvelle Guinee.
Le tropique du cancer paffe un peu au-delà du
mont Atlas, fur la côte orientale d’Afrique, fur les
frontières de la L ybie 6c autres lieux dans 1 intérieur
de l’Afrique, par Syéne en Ethiopie; il traverfe la
mer Rouge, au-delà de Sinaï, 6c la Mecque, les pays
Mahométans, & l’Arabie heureufe ; il entre enfuite
dans la mer des Indes, touche les bords de la P erfe,
6c traverfe C ambaye, l’Inde, Camboye, ou les limites
du royaum de Siame, jufqu’à c e cju’il arrive
à la mer Pacifique. Après l’avoir traverfée , au-def-
fous de la Cherfonnèfe d ’Amérique 6c la C alifornie,
il paffe par le royaume de Mexique, par l’ocean atlantique,
6c touche les côtes de l’île de Cuba, 6c en-
fuite retourne à la côte occidentale d’Afrique.
Le tropique du capricorne, ne paffe que par un
petit nombre de p a y s, il traverfe prefque par-tout
des mers ; il paffe d’abord par la partie méridionale,
ou lalangue d’Afrique, le Monomotapa, Madagafcar,
dans l’océan Indien, dans la nouvelle Guinee, l’Océan
pacifique, le Pérou, le Brefil 6c l’Océan atlantique.
Ce n’efl point le froid qui fait l’hiver fous la {one
torride, ce font les pluies, ou une chaleur moindre
que dans l’ été ; pareillement, il n’y a dans bien des
endroits de la {one torride, que deux faifons par an ,
favoir l’hiver & l’été. Plufieurs caufes contribuent à
diverfifier les faifons, la chaleur, le froid, les pluies,
la fertilité ou la ftérilité qui régné dans les différentes
régions de la {one torride.
Les pays fitués à l’oueft de l’Afrique, depuis le
tropique du cancer jufqu’au cap ve rd, qui eft à quatorze
degrés de latitude nord, font tous fertiles en
blé , en fruits de plufieurs fortes , en beftiaux, 6c
les habitans y ont des corps robuftes. L a chaleur n’y
efl gueres au-deffus d’un jufte milieu ; les habitans
vont aifément nuds, à l’ exception des riches qui portent
des habits. Les caufes de cette fertilité, 6c de
Pair tempéré qui y régné (quoique ce foit la {one
torride ) , font i ° . plufieurs rivières , dont les principales,
le Sèiéga & le Gambéa, arrofent le pays , 6c
rafraîchiffent l’air ; 2°. le voifinage de la mer qui fournit
des vapeurs humides & des vents frais.
Dans la partie méridionale d’Afrique , appellée
Guinée, qui s’étend à l’eft 6c à l’oueft, 6c qiû eft à
quatre degrés ou plus de latitude nord , il y fait une
chaleur continuelle fans aucune fraîcheur. Il y fait
dans certain mois une pluie abondante, de tonnerres
, des éclairs fi fréquens & des tempêtes fi terrib
le s, qu’il faut l’avoir vu pour-le. concevoir. Les
campagnes y reftent défertes pendant les mois pluvieux
, 6c le bled n’y croît pas. Mais quand ils font
paffés, on creufe le terrein qui eft fe c , qui a bû
toute la p luie, & on y mêle du charbon broyé au
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lien de fumier, qu’on y laiffe pourrir pendant dix
jours ; après cette préparation de la terre, on feme
6c l’on recueille enfuite la moiffon.
. Les tempêtes, les éclairs 6c les pluies femblent
provenir de ce que le foleil enleve une grande quantité
de vapeurs de la mer 6c d’exhalaifons fulplu-
reufes de la terre de la Guinée, qui ne font diffipées
par aucun vent confiant. Quand ces pluies tombent,
l’air eft tiede, le foleil eft vertical, 6c la chaleur qui
régné, caufe une grande difficulté de refpirer. -
Quoique leurs campagnes foient en friche pendant
les mois pluvieux, leUrs arbres portent fansceffe
du fruit. Le jour y eft prefque égal à la nuit toute
l’année ; le foleil fe leve 6c fe couche à fix heures ;
mais on le voit rarement fe lever 6c fe coucher, parce
qu’il fe leve le plus fouvent couvert de nuages ,
6c qu’il fe couche, après avoir été enveloppé dans
les nues.
Viennent enfuite les pays fitués dans la langue de
terre d’Afrique, qui s’étend au nord 6c au fud, comme
le Manicongo, Angola, &c. depuis le fécond degré
de latitude nord, jufqu’au tropique du capricorne
; car le royaume de Congo commence au fécond
degré de latitude fud. L ’hiver y eft à-peu-près comme
le printems en Italie , d’une chaleur tempérée :
on n’y change jamais d’habits , 6c il fait chaud, même
furie fommet des montagnes. L ’hiver pluvieux y
arrive avec le mois d’Avril 6c dure jüfqu’au milieu
de Septembre ; alors l’été commence 6c dure jufqu’au
quinze Mars, 6c pendant tout cet intervalle, l’air y
eft toujours ferein; mais en hiver on voit rarement le
foleil à caufe des nuages ou des pluies. Il n’y pieux
as néanmoins tout le jour-, mais feulement deux
eures avant midi, 6c deux heures après.
Dans la province de Loango qui borde la mer, 6c
n’eft pas loin de Congo, à quatre degrés de latitude, il
y a auffi des mois d’hiver pluvieux, 6c des mois d’été
fort clairs ; mais le fingulier, c’eft que les pluies arrivent
en des mois différens dans ces deux royaumes
voifins.
Quand on tourne autour du cap , à la côte orientale
de la langue de terre d’Afrique, oit font fitués
Sophala, Mozambique 6c Quiloa, jufqu’à l’équateur,
l’hiver y dure depuis le premier Septembre jufqu’au
premier F é v rie r, 6c l’été régné tout le refte
de l’année.
Les autres pays fitués depuis cette côte jufqu’à
l’embouchure du golfe d’Arabie, & d e là , jufqu’au
tropique du cancer, nous font trop inconnus pour
dire l’arrangement de leurs faifons. Nous favoris feulement
, que tout cet efpace de terre eft ftérile, fa-
blonneux, extrêmement chaud, 6c fans prefque aucune
riviere qui l’arrofe.
Paffons de l’Afrique aux pays de l’Afie, qui font
fitués fous la {One torride ; nous y trouvons l’Arabie
fur la mer Rbuge, depuis la Mecque jufqu’à Aden, à
douze degrés de latitude-nord. Il y régné de grandes
chaleurs en Mars 6c en A vril ; 6c encore plus quand
le foleil y paffe par le zénith, 6c qu’il en refte voifin
en Mai, Ju in , Juillet 6c Août. La chaleur y eft fi
grande , qu’on eft obligé de fe faire jetter de l’eau
fur le corps pendant le jou r, ou de fe tenir dans des
citernes remplies d’eau. Les marchands s’affemblent
la nuit à Aden pour les affaires de leur commerce,
6c même alors, ils ont encore bien chaud. On peut
fuppofer avec Varenius, que cette extrême chaleur
vient de ce qu’ il ne fort point de vapeurs aqueufes
de la terre, qui eft pierreufe 6c qui manque d’eau.
Quant aux vapeurs qui s’élèvent de la mer Rouge,
le vent général, quoique foible en cet endroit, les emporte
vers l’oueft. Il y a auffi beaucoup de fables qui
confervent toute la nuit la chaleur qu’ils ont reçue
le jour, 6c la communiquent à l’air.
A Cambaye, 6c dans l’ Inde qui eft fous le tropi^
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que du cancer , & fur la côte de Malabar aux Indes
orientales, du côté de l’oueft; la faifon humide dure
depuis le io Juin jufqu’au io d’Oftobré, plus ou
moins Iong-tems, 6c plus ou moins conftamment.
Sur la côte orientale de l’Inde appellée Coromandel,
la chaleur eft infupportable depuis le 4 Mai jufqu’au
4 Juin ; le vent foufle du nord, & l’on ne peut
pas fe tourner de ce côté-là fans fentir un air brûlant,
tel qu’on en reffent auprès d’une fournaife ardente :
car le foleil eft alors au nord à midi, &: les pierres
6c le bois font brûlans ; mais l’eau des puits eft froide :
de forte que plufieurs perfonnes font mortes pour en
avoir bu ayant bien chaud.
Dans les pays fitués fur la côte de la mer, à l’embouchure
du Gange, qui font oppofés aux côtes de
Coromandel, 6c qui font auffi au nord de la {<one torride
, comme Siam, Pégu , 6c la prefqu’île de Ma-
lacca, les mois pluvieux qui font déborder les rivières
, font Septembre, Oûobre 6c Novembre : mais
dans le pays de Malacca, il pleut toute l’année deux
ou trois fois par femaine , excepté dans le mois de
Jan v ie r, Février & Mars, oit la léchereffe eft continuelle.
Tout cela eft contraire au cours du foleil; il
faut donc en rejetter la caufe fur les montagnes , les
vents réglés ou la mer adjacente. Le débordement
des rivières, & les yents réglés y temperent la chaleur,
& y produifent une récolte abondante de toutes
fortes de fruits.
En quittant l’Afie, 6c traverfant la mer Pacifique,
nous arrivons à l ’Amérique , qui eft fous la {<one torride
, tant au nord qu’au fud. La partie qui eft au fud
comprend le Pérou 6c le B ré fil, qui quoique fort
proches, ont pourtant leurs faifons en différens tems.
Le Pérou fe divife en pays maritimes , qui font ceux
où font les montagnes ; 6c en plaines qui font au-delà
des montagnes. Dans la partie du Pérou voifine de
la mer, il n’y tombe point de pluies, mais les nuages
fe tournent en rofées, qui chaque jour humeâent les
vallées , & les fertilifent.
Il y a quelques cantons fous la {one torride, où il
fait un froid corifidérable ; car dans la province de
Paitoa, au Popayan , & dans la vallée d’Artifina,
Fété & l’hiver y font fi froids,. que le blé ne peut pas
y croître. Dans les campagnes voifines de Cufco, environ
au milieu du chemin de l'équateur au tropique
du capricorne, il y régné quelques gelées, 6c ori y
trouve quelquefois de la’ neige.
La partie méridionale d’Amérique, nommé le Bré-
J i l , qui s’étend à l’eft depuis deux jufqu’à vingt-quatre
degrés de latitude fu d , jouit çà & là d’une température
faine. Dans fa partie antérieure il régné un
vent frais, qui femble être un vent général, & non
pas un vent d’eft périodique. Il rafraîchit les hommes
, 6c rend fupportable la chaleur violente du foleil
, qui eft précifément au-deffus de leurs têtes. Si
la merflue avec ce v en t , il s’élève dès le matin ; mais
fi la' mer s’éloigne de la côte, on ne le fent que- plus
tard. Il ne fe ralentit pas le foir, comme il arrive dans
tous les lieux de l’Inde ; mais il fe fortifie avec lè foleil
, qui court avec lui à l ’oueft, 6c continue jüfqu’à
minuit.
La plupart des campagnes du Bréfil font parfe-
mées de collines, 6c l’on voit dans l’efpace de plufieurs
milles des vallées arrofées de petites rivières,
qui les rendent fertiles dans le tems de pluies ; mais
les montagnes font defféchées par l’ardeur du fole
il, au point que l’herbe & les arbres y meurent.
Si de l’Amérique méridionale nous paffons à l’Amérique
feptentrionale , nous trouverons que dans
la grande province de Nicaragua, dont le milieu eft
à dix degrés de latitude nord, il pleut pendant fix
mois, depuis le premier de Mai jufqu’au premier N ovembre
; & dans les fix autres mois, il fait un tems
fec la nuit auffi-bien que le jour"; ce phénomène ne
Tome X V IL
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s'accorde pas au mouvement du foleil ; car en Mai,
Ju in , &c. le foleil eft au zénith ou bien proche ; 6c
alors il devroit y avoir de la chaleur 6c du tems fec
au-lieu de pluies : au contraire , il eft plus éloigné
en Novembre 6c Décembre ; 6c ce devroit être le
tems des pluies.
Enfin de l’ examen des diverfes faifons qui régnent
dans la { one torride, on doit en conclure, i° . qu’il y a
plufieurs endroits où onfensàpeine aucun froid dans
aucun tems , 6c où l’hiver ne confifte que dans un
tems pluvieux. 20. Que dans un petit nombre d’autres
endroits , le froid eft affez fenfible. 30. Qu’il fe
fait fentir fur-tout à la fin de la nuit, le foleil étant
alors fort enfoncé fous l’horifon. 40. Que la grande
raifon qui fait qu’on fupporte la chaleur, 6c bu’on
peut habiter ces lieux, eft qu’il n’y a point de longs
jours, mais que tous font à-peu-près de même longueur
que les nuits ; car s’ils étoient auffi longs que
fous la {>one tempérée & la {one glaciale, on ne pour-
roit pas y habiter. 50. Les vents modèrent auffi beaucoup
la chaleur du foleil. 6°. Les différens fieu x ,
quoique près les uns des autres , y ont l’été 6c l ’hiver
en différens tems. j ° . Les endroits qui ont la chaleur
6c la féchereffe contre le cours du foleil, font fitués
à l’oueft, 6c ont une chaîne de montagnes à l’eft,
excepté le Pérou. 8 °. Lesfaifons en différens lieux ne
fuivent pas de réglé certaine. 90. La plûpart des habitans
de la {one torride, comptent deux faifons fui-
vant le rapport des voyageurs ; favoir, la feche &
l’humide : cependant on doit en compter quatre , y
compris un printems 6c un automne; car comme
le printems chez no^is tient un peu de l’été 6c l’automne
de l’hiver, de même auffi on peut partager les.
faifons feches & ■ humides fous la {one torride. io°. Il
y a dans certains endroits un automne continuel ;
dans d’ autres il arrive deux fois l’année ; 6c dans
quelques-uns feulement dans une partie de l’année.
Nous croyons que ce détail, tire-de Varénius, tout
néceffaire qu’il eft en géographie, ne foit devenu ennuyeux
à la plûpart des leâeurs ; mais nous allons
les dédommager avec ufure de notre féchereffe , par
le tableau poétique que le célébré peintre des faifons
a fait de ce climat merveilleux 6c brûlant, auprès
duquel le firmament que nous voyons eft, pour
ainfi d ire, de glace.
C ’eft dans la {one torride que le foleil s’élève tout-
à-coup perpendiculairement, &chaffe du ciel à l’inf-
tant le crépufcule, qui ne fait que paroitre. Environné
d’une flamme ardenté , il étend fes fiers regards
fur tout l’air éblouiffant. Il monte fur fon char enflammé
; mais il fait fortir devant lui des portes du
matin , les vents alifés , pour tempérer fes feux, 6c
fouffler la fraîcheur fur un monde accablé. Scènes
vraiment grandes, couronnées d’une beauté redoutable
, 6c d’une richeffe barbare, dont le pere de la
lumière parcourt continuellement le théâtre, & jouit
du privilège de doubler les faifons.
Là les montagnes font enflées de mines, qui s’é-
lèvent fur le faîte de l’équateur, d’où plufieurs lour-
ces jailliffent, 6c roulent de l’or. Là font de vaftes
forêts qui s’étendant jufqu’à l’horifon , offrent une
ombre immenfe, profonde , 6c fans bornes. I c i, des
arbres inconnus aux chants des anciens poètes, mais
nobles fils des fleuves 6c de la chaleur puiffante, percent
les nuages, portent dans les deux leurs têtes
hériflees, & voilent le jour même en plein midi. Ailleurs
, des fruits fans nombre, nourris au milieu des
rochers, renferment fous une rude écorce une pulpe
fâlutaire ; & les habitans tirent de leurs palmiers un
vin rafraîchiffant, préférable à tous les jus frénétiques
de Bacchus.
La perfpeftive varie à l’infini, foit par des plaines
à perte de vue , foit par des prés qui font fans bornes.
D e riches, vallées çfipngent leurs robes.éclatai^
Z Z z z ij