tes en un brun rougeâtre , 6c revérifient encore
promptement leur verdure, félon que le foleil brûlant,
les rofées abondantes, ou les torrens de pluie,
prennent le deffus. Le long de ces régions folitaires,
loin des foibles imitations de l’a rt, la majeftueufe nature
demeure dans une retraite augufte. On n’apper-
çoit que des troupeaux fauvages, qui ne connoiffent
ni maître , ni bergerie. Des fleuves prodigieux roulent
leurs vagues fertiles. L à , entre les rofeauxqu ils
baignent, le crocodile moitié caché & renferme dans
fes écailles vertes, couvrant le terrain de fa vafte
queue , paroît comme un cedre tombé. Le flux s ab-
baiffe, 6c l’hippopotame revêtu de fa cotte de mailles
, éleve fa tête ; la flèche lancee fur fes flancs , fe
brife en éclats inutiles ; il marche fans crainte fur la
plaine, ou cherche la colline pour prendre différente
nourriture ; les troupeaux en cercle autour de lui oublient
leurs pâturages, 6c regardent avec admiration
cet étranger fans malice.
L’énorme éléphant repofe paifiblement fous les arbres
antiques qui jettent leur ombre épaiffe fur le
fleuve jaunâtre du Niger, ou aux lieux oh le Gange
roule fes ondes facrées , ou enfin au centre profond
des bois obfcurs qui lui forment un vafte & magnifique
théâtre. C’eft le plus fage des animaux , doué
d’une force qui n’eft pas deflruftive , quoique puif-
fante. Il voit les fiecles fe renouveller 6c changer la
face de la terre, les empires s’élever 6c tomber; il
regarde avec indifférence ce que la race des hommes
projette. Trois fois heureux, s’il peut échapper à
leur méchanteté, 6c p réferver fes pas des piégés qu’ils
lui tendent, foit par une cruelle cupidité, foit pour
flatter la vanité des ro is , qui s’enorgueilliffent d’être
portés fur fon dos élevé ; foit enfin pour abufer de
la force, en l ’employant, étonné lui-même de nos
fureurs, à nous détruire les uns les autres.
Les oifeaux les plus brillans s’affemblent en grand
nombre fous l’ombrage le long des fleuves. Ils pa-
roiffent de loin comme les fleurs les plus vives. La
main de la nature, en fe jouant, prit plaifir à orner
de tout fon luxe ces nations panachées, & leur prodigua
fes couleurs les plus gaies. Mais toujours mesurée
, elle les humilie dans leur chant. N envions
pas lès belles,robbes que l’orgueilleux royaume de
Montézuma leur prête , ni ces légions d’aftres vo -
lans , dont l’éclat fans bornes réfléchit fur le foleil :
nous avons Philomele ; 6c dans nos bois , pendant
le doux filence de la nuit tranquille, ce chantre, fim-
plement habillé , fredonne le s plus douxaccens.
C’eft au milieu du plein midi, que le foleil quelquefois
tout-à-coup accablé , fie plonge dans l’oblcurité
la plus épaiffe ; l’horreur régné ; un crépufcule terrible
mêlé de jour & de nuit qui fe combattent, 6c
fe. fuccedent, paroît fortir de ce groupe effrayant.
De s vapeurs continuelles roulent en foule jufqu'à l’équateur
, d’où l’air raréfié leur permet de iortir. Des
nuages prodigieux s’entaffent, tournent avec impé-
tuofité entraînés par les tourbillons de vents, où font
portés en filence, pefammcnt charges des trefors îm-
menfes qu’exhale l’Océan. Au milieu de ces hautes
mers condensées , autour du fommet des montagnes
élevées , théâtre des fiers enfans d’Eole , le tonnerre
pofefon trône terrible. Les éclairs furieux 6c redoublés
percent 6c pénètrent de nuage en nuage ; la
njaffe entière cédant enfuire à la rage des élemens ,
fe. précipite , fe diffout, 6c verle des fleuves 6c des
toxr,eps. . .
C e font des tréfors échappés à la recherche des anciens,
que les lieux d’où avec une pompe annuelle le
puiffant roi des fleuves.-, le Nil enflé, le dérobe des,
deux Sources dans le brûlant royaume de Goïam. Il
fort comme une fontaine pure, 6c répand les ondes,
encore foibles, à-travers le lac brillant du beau Dam-'
béa. L à , nourri par les nayades , i l paflê gaiement
fa jeuneffe au milieu des îles odoriférantes, qui font
ornées d’une verdure continuelle. Devenu ambitieux
, le fleuve courageux brife tout obftacle, & recueille
plufieurs rivières ; grolîi de tous les tréfors du
firmament, il tourne 6c s’avance majeftueufement ;
tantôt il roule fes eaux au milieu de fplendides
royaumes; tantôt il erre fur le fable inhabité, fauvage
& folitaire ; enfin content de quitter ce trifte defert, il
verfe fon urne le long de la Nubie ; allant avec le bruit
d’un tonnerre de rochers en rochers, il inonde 6c
réjouit l ’Egypte enfevelie fous fes vagues débordées.
Son frere le Niger, 6c tous les fleuves dans lefquels
les filles d’Afrique lavent leurs piés de ja i, ouvrent
leurs urnes.Tous ceux qui depuis l’étendue des montagnes
& des bois fe répandent dans les Indes abondantes
, 6c tombent fur la côte de Gqjomandel ou de
Malabar , depuis le fleuve oriental de Menam , dont
les bords brillent au milieu de la nuit par ces infe&es,
qui font autant de lampes , jufqu’aux lieux oh l’aurore
répand fur les bords des Indes les pluies de ro-
fes ; tous enfin dans la faifon favorable, verfent une
moiflon fans travail fur la terre.
Ton nouveau monde, illuftre Colomb, ne l’abreuve
pas moins de ces eaux abondantes 6c annuelles
; 4l.jeft aufli rafraîchi par l’humidité prodigue de
l’année. L’Orénoque, qui a cent embouchures, roule
fur fes îles un déluge d’eaux fangeules, 6c contraint
les habitans du rivage à chercher leur falut au haut
des arbres qui leur fourniffent tout-à-la-fois, la nourriture
, le vêtement 6c des armes.
Accru par un million de fources , le puiffant Orel-
lana, defcend avec impétuofité , fe précipitant des
Andes rugiffantes, immenfe chaîne de montagnes ,
qui s’étendent du nord au fud jufqu’au détroit de
Magellan. A peine o fe - t -o n envifager cette maffe
énorme de torrens qui y prennent leur naiffance.
Que dire de la riviere de la Plata, auprès de laquelle
toutes nos rivières réunies ne font que des ruiffeaux
quand elles tombent dans la mer. Avec une force
égale, les fleuves que je viens de nommer cherchent
fièrement l’abyfme, dont le flux vaincu recule du
choc, & cede au poids liquide de la moitié du globe,
tandis que l’Océan repouffé tremble pour fon propre
domaine.
Mais à quoi fert - il que des fleuves femblables à
des mers traverl'ent des royaumes inconnus, 6c coulent
dans des mondes de lolkude, oh le foleil fourit
envain, oh les faifons font infruéïueufement abondantes
} Pour qui font ée$ défefts fleuris , cetfè
pompe de la création, cette profiifioii riante de la
nature prodigue, ces fruits délicieux qui n’ont pas
été plantés 6c qui font difperfés par les oifeaux, ou
par les vents furieux ? Pour qui lesfinfe&es brillans
de ces vaftes régions filent-ils leurs foies fuperbes ?
Pour qui les prés produifent-ils des; robes végétales ?
Quel avantage procurent aux habitans les tréfors
cachés dans les entrailles de la te r re , les diamans
de Golçonde, 6c les mines du trifte Potofi, antique
féjou'r des paifiblès enfans du Soleil ? De qu elle utilité
eft-il.que les. rivières- d’Afrique charrient de l’or,
que l’ivoire y brille avec abondance ?
. La race infortunée qui habite' oes climats, ne con-
noît ni les doux arts de la paiix', ni rien de ce que
les Mufes favorables accordent aux humains. Elle ne
poffede point cette fageffe prefque divine d’un efprit
calme .& cultivé, ni la vérité progreflive, ni la force
patjente de la penfée* rii la pénétration attentive
dp.ntle pouvoir commande en filence au monde , ni
la lumière qui mene aux c ieux , 6c gouverne avec
égalité 6c douceur, ni le régime des lois, ni la liberté
protectrice, qui feule foutient le nom 6c la
dignité de l’homme.
Le foleil paternel femble même tyrannifer ce
monde .d’efclayes., & d’un rayon oppreffeur il flétrit
la fleur de la beauté, & lui dônne uue couleur fôm-
bre 6c des traits groffiers ; ce qui eft pis encore, les
aftions cruelles de ces peuples, leurs jaloufies fu-
rieufes, leur aveugle rage, 6c leur vengeance barbare
, allument fans cefle leurs, efprits ardens. L ’amour
, les doux regards, la tendreffe, les charmes
de la v i e , les larmes du coeur, l’ineffable délire de
la douce humanité n’habitent point dans ce féjour ;
toutes ces chofes font des fruits de plus doux climats.
Là tout eft confondu dans le defir brutal 6c
dans la fureur fauvage des fens ; les animaux mêmes
brûlent d’un horrible feu.
Le ferpent d’un verd effrayant, fortant à midi de
fon repaire fombre, que l’imagination craint de parcourir,
déploie tout Ion corps dans les orbes immen-
fes ; s’élançant alors de nouveau, il cherche la fontaine
rafraîchiffante auprès de laquelle il quitte fes
p lis, & tandis qu’il s’élève aveç une langue menaçante
6c des mâchoires mortelles, ce monftre dreffe
fa crête enflammée. Tous les autres animaux, malgré
leur fo i f , fuient effrayés 6c tremblans, ou s’arrêtent
à quelque diftance, n’ofant approcher.
Auflî-tôt que le jour pur a fermé ion oeil facré, le
tigre s’élance avec fureur, 6c fixe fes regards fur fa
proie ; l’ornement du défert, le v i f 6c brillant léopard
, tacheté de différentes couleurs, méprife aufli
tous les artifices que l’homme invente pour l’appri-
voifer. Tous, ces animaux indomptables fortent des
bois inhabités de la Mauritanie ou des îles qui s’élèvent
au milieu de la fauvage Libye. Ils admirent leur
roi hérifle, qui marchant avec des rugiffemens impérieux,
laiffe fur le fable la trace de fes pas. Les
troupeaux domeftiques font faifis de frayeur à l’approche
de ces monftres. Le village éveillé treffaillit,
& la mere preffe fon enfant fur fon fein palpitant.
Le captif échappé de l’antre du pirate 6c des fers du
fier tyran de Maroc , regrette fes chaînes, pendant
que les cris font retentir les déferts depuis le mont
Atlas jufqu’au Nil effrayé.
Malheureux celui qui féparé des plaifirs de la fo-
c ié té , .eft laiffé feu! au milieu de cette région d’horreur
6c de mort. Tous les jours il s’aflied triftement
fur la pointe de quelque rocher, & regarde la mer
agitée, efpérant que de quelque rivage éloigné oh
la vague forme un tourbillon, il découvrira des vaif-
feaux qu’il fe trace dans les nuages. Le foir il tourne
un oeil trifte au coucher du foleil, 6c fori coeur mourant
fans fecours, fe plonge dans la trifteffe, quand
le rugiffement accoutumé vient fe joindre au liffle-
ment continuel , pendant la nuit, fi longue 6c fi ter-
rible>-
Souvent les élémens furieux femblent porter dans
cette aride {One, le démon de la vengeance. Un v ent
fuffoquant fouflle une chaleur infupportable de la
fournaife immenfe du firmament, 6c de la vafte 6c
brillante étendue du fable brûlant. Le voyageur eft
frappé d’une atteinte mortelle. Le chameau, fils du
défert, accoutumé à la fo if 6c à la fatigue, fent fon
coeur percé & deffeché par ce fouflle de feu.
Mais, c’eft principalement fur la mer 6c fur fes vagues
flexibles que l’orage exerce fon cruel empire.
Dans le redoutable Océan, dont les ondes flottent
fous la ligne qui entoure le globe, le typhon tournoie
d’un tropique à l’autre, 6c le terrible ecnéphia
régné ; des vents rugiffans, des flammes & des flots
combattant, fe précipitent 6c fe confondent en mafle.
Tout l’art du navigateur eft inutile. Opprimé par le
deftin rapide, fon vaifleau boit la vague, s’enfonce,
6c fe perd dans le; fein du fombre abyfme. Ganta
combattit contre une femblable tempête pendant
plufieurs jours 6c plufieurs nuits, voguant fans ceffe
autour du cap orageux, conduit par une ambition
hardie, 6c par la foif encore plus hardie de l’or.
Le requin, antropophage , accroît la terreur
de Cette tempête; Il paroît avec fes mâchoires
années dune triple défenfe; attiré par l ’odeur des
morts & des mourans, il fend les vagues irritées auffi
promptement que le vent porte le vaifleau ; il demande
fa part de la proie aux affociés de ce cruel
vo yage, qui va priver de fes enfans la malheureufe
Guinee : le deftin orageux obéit, la mort enveloppe
les tyrans 6c les efclaves ; à Pinftant leurs membres
déchirés lui fervent de pâture ; il teint la mer de fane,
6c le livre à ce repas vengeur.
Le foleil regarde triftement ce monde noyé par
les pluies équinoxiales; il en attire l’odeur infeéle,
, llnait un million d’animaux deftruaifsde ces marécages
mal-fains oh la putréfaâion, fermente. Dans
1 ombre des bois, retraite affreufe, enveloppée de
vapeurs & de corruption, & dont la fombre horreur
ne fut jamais pénétrée par le plus téméraire
voyageur; la terrible puiffance des maladies pefti-
lencielles établit fon empire. Des millions de dé-
mons hideux l’accompagnent, 6c flétriffent la nature
affaiblie ; fléau terrible, qui fouflle fur les projets des
hommes, 6c change en une défolation complette les
plus hautes efperances de leur orgueil. Tel fut dans
ces derniers tems le défaftre qui altéra la nation britannique
, prête à réduire Carthagène.
„ Faut-il que je raconte la rigueur de ces climats ;
ou la pefte , cette cruelle fille de la déeffe Néméfis
defcend fur les villes infortunées. Cette deftruarice
du monde eft née des bois empoifonnés de l’Éthiopie
, des matières impures du grand Càire , 6c des
champs infeftés par des armées de fauterelles
entaflees 6c putréfiées. Les animaux échappent à fa
terrible rage; l’homme intempéré, l’homme feul lui
fert de proie. Elle attire un nuage de mort fur fa
coupable demeure, que d.es vents tempérés 6c bien-
railans ont abandonnée : ce nuage eft taché par le
foleil d’un mélange empoifonné -, & cet aftrë fe
montre lui-même fous un alpeft irrité.
Tout alors n’eft que défaftre. La fageffe majef-
tueuie détourne fon oeil vigilant ; l’épée 6c la balance
tombent des mains de la juftice, déformais fans fon-
dions ; on n’entend plus le bruit du travail ; les rues
font défertes 6c l’herbè y croît triftement. Les demeures
agréables des hommes fe changent en des
lieux pires que des deferts; rien ne fe montre, hormis
peut-être quelque malheureux, qui frappé de
frénéfie, brife les liens, 6c s’échappe de la maifon
fatale, féjour funeftè de l’horreur, 6c fermée par la
crainte barbare : cet infortuné pouffe des cris au ciel
6c l’accufe d’inhumanité. La trifte porte qui n’eft pas
encore infe&ée craint de tourner fur fes gonds ; elle
abhorre la lociété, lès .enfans, lesdmis,fes pafens;
l’amour lui-même, éteint par le malheur, oublie le
tendre lien & les doux engageniens du coeur fenfi-
ble. Mais fa tendrefl’e meme eft inutile ; le firmament
6c l’air qui anime tout, font femés des traits
de la mort; chacun à fon tour frappé, tombe dans
des tourmens folitaires , fans feccuris,- fans derniers
adieux, 6c fans que perlonne le pleuré. Ainfx le noir
defefpoir étend Ion aîle funèbre fur la ville terraffée
tandis que pour achever la fcène de défolation les
gardes inexorables difperfés tout-au-tour ; refulènt
toute retraite, 6c donnent une mort plus douce ah
malheureux qui fuit.
Ce ne font pas là tous les défaftres de l’intempérie
des élémens brûlans. La fureur d’un ciel d’airain
les champs de fer, la féchereffe, n’offrent pour moif-
fon que la faim 6c la foif. La montagne en convul-
fion, pouffe des colonnes de flamme, allumées par
la triple rage de la torche du midi, qui produit le
tremblement de terre. Ce dernier fléau le forme dans
le monde fouterrein; il frappe , ébranle, renverfé
fans effort les villes les plus célébrés, & fait fortir
du fond des mers de nouvelles îles couvertes de