des,incommodités , des dépenfes , des embarras, ÔC
•une foule de répétitions étonnantes.
Par exemple, quelle immenfe diverlité d’impôts
pour les marchandifes dont je vieiis de parler ?
i ° . Ceux que paie le propriétaire du fonds qui
fert à la nOurfiture des beftiaux, tant pour Itû per-
fonnellemerit que pour ces fonds.
i°.'Ce'ux qui fe lèvent fur les beftiaux menés en
divers ertdrorts ôc en divers tems.
3°. Les droits fur les peaux dans les différentes
formes qu’elles ont prifeS.
4 °. Les taxes perfonnelles de tous les ouvriers qui
les ont travaillées.
5 ° /Ceux des différens fabricans qui les ont vendues
à-mefure qu’elles ont etc manufacturées.
6°. Ceux que fupportent les derniers artifahs qui
le mettent en oeuvre.
7 ° . Le droit du privilège exclufif de les fabriquer.
8°. Tons les droits qni fe font perçus fur les denrées
dont toutes ces perfonnes ont fait ufage pour
leur fubfiftance ôc leur entretien , ôcqui font infinis.
9 °. Et enfin une portion de ceux qu’ont fuppor-
tés les gens qui ont fourni ces denrées, & qui ne le
font pas moins.
Cette férié eft effrayante : on ne conçoit pas comment
une machine fi compliquée, ôc dont les refforts
font multipliés à ce point, peut exifter.
Que de chaînes pour le commerce dans cette quantité
de perceptions ! combien une denrée a-t-elle été
arrêtée, vifitée, Contrôlée , évaluée , taxée , avant
que d’être confommée !
Que de faux calculs, de doublés emplois, de mécomptes
, d’erreurs, Ôc d’abus de toute efpece , l’avarice
du traitant, ôc l’infidélité ou l’ineptie de fes
fubaltemes, ne font-elles point fupporter aux citoyens
!
Il faut que tous contribuent aux charges publiques,
cela eft v r a i, mais ce qui ne l’eft pas , c’ eft que tous
doivent les p ayer; celui qui ne poffede rien, ne peut
rien payer , c’eft toujours un autre qui paye pour
lu i . , .
Les taxes furies pauvres font des doubles emplois,
de celles fur les riches ; pour bien entendre c e c i, il
i'aut définir plus corre&ement qu’on ne l’a fait jufqu’à
préfent, ce que c’eft que les charges publiques ;
elles font de deux efpeces, le travail ôc les richeffes
qu’il produit.
Cette définition eft complette ; fans travail point
de richeflês , fans richeffes point de tributs.
11 fuit que la contribution du manouvrier aux
charges de la fociéré , c’eft le travail ; celle des ri-
chefi’es , c’eft une portion des richeffes qui en réful-
tent, ôc qu’elles donnent à l’état pour jouir paifible-
ment du tout, moins cette portion.
On voit par là que les taxes fur le manouvrier,
dans la fuppofition qu’il dût les acquitter, feroient
d’une injulïice énorme , car ce feroit un double emploi
de tout leur travail qu’ils ont déjà fourni à l’état.
Mais la capitation de mon domeftique eft levée
fur m o i, il faut que je l’acquitte pour lu i, ou que
j ’augmente fes gages.
1 L’artifan, l’ouvrier, ou le journalier que j’emploie,.
ajoute au prix de fa peine ou de fon induftrie',
tout ce qu’on exige de lu i , ôc même toujours au-
delà ; Tune ôc l’autre fera plus chere, fi fa fubfiftance
ôc fon entretien le deviennent par les droits
qui auront été mis fur les chofes qui y fervent.
'. C ’eft que dans le fa it, i l ne peut y avoir que trois
fprtes de perfonnes qui fupportent les impôts ; les
propriétaires , les confommateurs oififs, ÔC les étrangers
qui par le commerce acquittent avec la valeur
principale de vos denrées , les droits dont elles font
chargées ; encore vous vendra-t-il les fiénnes dans le
Rapport de ce qu’il aur^ acheté les vôtres; ce qui
remet à votre charge les droits qu’il aura acquittés:
ainfi , à parler exactement, il n’y a que les propriétaires
ôc les confommateurs inoccupés quifupportent
réellement les tributs.
Tout le monde travaille pour les derniers , ôcils
ne travaillent pour perfonne :$jls payent donc la
confommation de tout le monde , & perfonne ne
paye la leur : ils n’ont aucun moyen de recouvrer ce
qu’ils ont payé pour eux ôc pour les autres, car ils
ne leur fourniffent rien au prix duquel ils puiffent
l ’ajouter. C’eft à eux que fe terminent la fucceflïon
des rembourfemens de tous les droits impofés fur les
marchandifes & fur les ouvriers qui les ont façonnées
depuis leur origine jufqu’à leur derniere confommation.
Un propriétaire eft impofé pour fa perfonne ôc
pour fes fonds ; fon fermier eft impofé de même ,
les denrées qu’ils confomment le font auffi.
Les valets du fermier font taxés pour eu x , ôc pour
tout ce qui fert à les nourrir ôc à les habiller.
Les beftiaux, les matières ôc les inftrumens du
labourage font impofés.
Tout cela eft à la charge du propriétaire , le fermier
n’afferme fon bien que déduétion faite de tous
ces différens droits qu’il aura à fupporter dire&e-
ment pour ceux qui lui font perfonnels , indirectement
par l’augmentation qu’il fera obligé de payer
pour le prix des journées , des beftiaux , dés matières
Ôc des inftrumens qui lui font néceffaires. Le
propriétaire ne reçoit du produit de fa terre ou de
fon bien quelconque , que l’excédent des dépenfes
ôc du bénéfice du fermier , dans lefquels tous ces
droits font avec raifon calculés. C’eft donc le propriétaire
qui les fupporte , Ôc non pas ceux fur qui
ils font levés : car fans ce la , il affermeroit fon bien
davantage.
Ainfi en multipliant à l’infini les tances fur toutes
les perfonnes ÔC lur toutes les chofes, ôn n’a fait que
multiplier fans aucune utilité , les régies, les perceptions
, ôc tous les inftrumens de la ruine, de la dé-
folation , ôc de l’efclàvage des peuples.
Qu’eft-ce donc qui a fait penl'er aux meilleurs ef-
prits, que les droits fur les confommations , d’oùré-
fulte infailliblement cette diverfité funefte, étoient
les moins onéreux aux fujets, ôc les plus convenables
aux: gouvernemens doux ôc modérés ?
Là où font ces droits , la guerre civile eft perpétuellement
avec eux : cent mille citoyens armés pour
leur çonfervation ôc pour en empêcher la fraude ,
menacent fans ceffe la liberté, la fureté, l’honneur,
Ôc la fortune des autres.
Un gentil-homme vivant en province eft retiré
chez lu i, il s’y croit paifible aufeinde fa famille ;
trente hommes, la bayonnette au bout du fufil, in-‘
veftiffent fa maifon, en violent l’afile, la parcourent
duhaut-en-bas, pénétrent forcément dans l’intérieur
le plus fecret ; les enfans éplorés demandent à leur
pere de quel crime il eft coupable ; il n’en a point
commis. Cet attentat aux droits refpeâés parmi les
nations les plus barbares, eft commis par ces perturbateurs
du repos public, pour s’affurer qu’il n’y a
point chez ce citoyen de marchandifes del’efpecede
celle dont le traitant S’ eft refervé le débit exclufif,
pour lés furvendre à fon p rofit, dix-fept ou dix-huit
fois leur valeur.
Ceci n’eft point une déclamation, c’ eft un fait ; fi
c’eft-là, jouir de la liberté civile , je voudrois bien
qu’on modifie ce que c’ eft que la fervitude : fi c ’eft
ainfi que les perfonnes ôc les biens font en sûreté ,
qu’eft-ce donc que de n’y être pas ?
Encore fera-t-on trop heureux, fi ces perquifiteurs
intéreffés à trouver des coupables, n’en rfont point
eux-mêmes, & n’apportent pas chez vous ce qu’ils
viennent y chercher ; car alors votre perte eft affuf
é e , ôc c’eft d’eux qu’elle dépend. Des procédures
uniques, des condamnations, des amendes, & tous
les moyens des plus cruelles vexations font autorités
contre vous.
Je voudrois diftimuler des maux plus grands &
plus honteux encore , dont ces impôts font la four-
ce. L’énorme difproportion entre le prix de la chofe
& le droit, en ren<Ua fraude très-lucrative ôc invite
. «I la pratiquer. De$gens qu’on ne fauroit regarder
comme criminels , perdent la vie pour avoir tenté
de la conferver, Ôc le traitant dont l’intérêt repouffe
tout remord , pourfuit du fein de fa meurtrière
opulence , -toute la rigueur des peines infligées par
la loi aux fcélérats,- contre ceux que fouvent les gains
illégitimes ont réduits à la cruelle néceffité des y ex-
pofer. Je n’aime point, difoit Cicéron, qu’un peuple
qui eft le dominateur de /univers , en foit en même
tems le faâeur. II. y a quelque chofe de plus affligeant
que ce qui déplaifoit à Cicéron.
Tous les droits fur les confommations n’expofent
p as, je le fais, les citoyens à des dangers fi terribles ;
mais tous font également contraires à leur liberté, à
leur fureté , ôc à tous les droits naturels ôc civils ,
par les furveillances , les inquifitions ôc les recherches
auffi oppreflives que ridicules qu’ ils occafion-
nent. Ils ont même le malheur de contraindre jusqu'aux
fentimens de l’humanité.
Je me garderai bien de fecourir l’homme de bien
dont la cabane touche à mon habitation ; il eft pauvre
& malade , un peu de vin fortifieroit fa vieillef-
fie & le nippeileroit à la v ie ; c ’eft un remede efficace
pour ceux qui n’en font pas un ufage ordinaire.
Je ne lui en porterai point, je n’irai point l’arracher
û la mort ; celui qui a le droit étrange de régler mes
befoins, & de me prefcrire jufqu’à quel point je
dois ufer de ce qui m’appaitient, m’en feroit repentir
, ôc ma ruine feroit le prix de ma commiféra-
tion. L ’homme de bien périt ; je n’ai point fait une
aâion qui eût été fi douce à mon coeur , Ôc lafociété
y perd un citoyen q u i, peut-être, en laiffe d’autres
a fa charge , à qui il avoit donné le jo u r, 6c que fa
mort prive de la fubfiftance.
Ce n’eft pas la meilleure adminiftration que celle
où la bienfàifance eft reprimée comme le crime, où
l’on force la nature à s’oppofer à la nature, 6c l’humanité
à l’humanité.
•Ce ne fera pas non plus où cette foule de droits
fubfiftera , que le commerce fera floriffant : on ne
confidere pas affez le préjudice qu’il en éprouve , 6c
celui qui en réfulte pour l’é ta t, quand pour l’intérêt
du fifc on l’accable de toutes les entraves que lui
caufe cette diverfité de perceptions. Il feroit tems
néanmoins d’y fonger. Le commerce eft devenu la
mefure de la puifiànce des empires ; l’avidité du gain
produitè par l’excès des dépenfes du luxe , a fubfti-
tué l’efprit de trafic qui énerve l’ame, 6c amollit le
courage à l’efprit militaire qui s’eft perdu avec la
frugalité des moeurs.
Des gens, pour qui raifonner eft toujours un tort
en ont accule la-philofophie , 6c ont voulu lui attribuer
les défaftres qui s’ en font fuivis ; cela prouve
qu’ils n’ont point le bonheur de la connoître-, ni de
fientir avec quelle énergie elle infpire le goût du
b ien, l’amour de fes devoirs, Ôc l’enthoufiafme dés j
chofes grandes, juftes , honnêtes , ôc vertueufes,
fur-tout l’horreur de l’injuftice ôc dé lacalomniej
Quoi qu’il en fort des fauffes imputations que la
fottife ôc la méchanceté prodiguent en tous genres,
contre la vertu ôc les gens de bien, il eft certain
que la ruine du commerce eft le produit néceffaire I
des impôts fur les marchandifes. i° . Par des caufes
qui leur font inhérentes. z ° . Par les moyens qu’ils
fourniffent à la rapacité dès traitans , d’exercer tou-
tes les.vexations-qu’elle p eut imaginer ; ôc quand on
fait de quoi elle eft capable , on frémit de cette liberté
qui fait Pefclavage du commerce , le tourment
Ôc la perplexité continuels de ceux qui le pratiquent.
Tous ces mouvemens font épiés ôc contraints ;
des formalités fans nombre , font autant de dangers
à-travers defquels il marche , fi je puis m’exprimer
ainfi, fur des pièges tendus fans ceffe ôc de tous côtes
, à la bonne foi ; foit qu’on les ignore , foit par
inadvertance, fi on en néglige aucune , c ’en eft
affez , on eft perdu.
Depuis l’entrée d’une marchandife étrangère, depuis
lafortie de la terre, Ôc même avant, pour celles
que le fol produit, jufqu’à leur entière 'confommation
, elles font entourées de gardes Ôc d’exacteurs
qui ne les quittent plus. A chaque pas ce font
des douanes, des barrières, des péages, des bureaux
, des déclarations à faire , des vifites à fouf-
frir, des mefures , des pefées, des tarifs inintelligibles,
des appréciations arbitraires , des difcuffions à
avoir , des droits à fupportêr , ôc des vexations à
éprouver.
Quiconque a vû les quittances de tout ce qu’une
denrée a payé dans toutes les formes Ôc dans tous
les lieux ou elle a paffé, fait bien que je ne dis
rien d’outré, ôc que n’attefte l’énoncé de ces écrits.
Avec la multitude de ces droits , on en voit l’embarras
; l’intention la plus pure dans ceux qui en
font la perception , ne les garantit point de l ’incertitude
ôc de l’injuftice. Que de fauffes applications
ôc d’erreurs qu’on ne peut exiger qu’ils mettent à la
charge de leurs commettans, 6c qui tombent toujours
à celle du public ! d’ailleurs le moyen de régler
tant de droits qui, la plupart, font par eux-mêmes indéterminables
?
Si c’eft fur le pié de la valeur de la chofe, le principe
eft impraticable. Comment fixer le prix d’une
marchandife ? il varie fans ce ffe , elle n’a pas aujourd’hui
celui qu’elle avoit hier ; il dépend de fon
abondance ou de fa rareté , qui ne dépendent de
perfonne ; de la volonté de ceux qui en font ufage ,
ÔC de toutes les révolutions de la nature Ôc du commerce
, qui font que les denrées font plus ou moins
communes, les débouchés plus ou moins favorables.
L’impôt ne fe prête à aucune de ces circonftances
il varieroit continuellement, ôc ne feroit qu’une nouvelle
fource de difficultés.
Si c’eft fur la quantité, fans égard à la qualité qu’iF
eft réglé, il n’a. plus de proportion avec la valeur
réelle des denrées, toutes celles d’une même efpece
font également taxées. Il en arrive que le pauvre qui
ne confomme que le plus mauvais , paye autant de
droits pour ce qu’il y a de p is, que le riche pour ce
qu’il y a de plus excellent, ce qui rend la condition
' du premier doublement malheureufc ; exclus par fa
milere de l’ufage des meilleurs alimens , il fupporte
encore en partie les impôts de ceux que prodiguent
l’orgueil ôc la fenfualité des autres. Les quantités
égales , l’opulent o ifif ne fournit pas plus à l’état en
flattant fon goût d’un vin exquis , que le manouvrier
indigent en confommant le plus commun pour réparer
lès forces épuifées par le travail.
Il n’y a pas là feulement de l’injuftice , il y a de
la cruauté ; c’eft trop accabler la portion la plus pré-
cieufe des citoyens ; c’eft lui faire fentir avec trop
d’inhumanité l’excès de fa dépreflïon , ôc l’horreur
de fa deftinée qui pourroit .être celle de tous‘les autres.
Il feroit trop long de parcourir tous les vices qui
tiennent effentiellement à la nature de ces impôts
en voilà plus qu’il n’en faut pour prouver que leurs
effets ne font pas ceux qu’on leur a attribués. Paffons
aux préjudices les plus graves qui réfultent de la né-
celfité de les affermer.