qui étant un 8c continué, s’açheve fans un manifef-
te changement au contraire de ce qu’on àttendoit,
& fans aucune reconnoiffance. Le fujet mixte où
compofé eft celui qui s’achemine à fa fin avec quelque
changement oppofé à ce qu’on àttendoit , ou
quelquejrëconnoiffànce, Ou tous deux enfemble. T e lles
font les définitions qu-’em donne Corneille, d’après
Ariftote. Quoique le fujet Ample puifle admettre
un incident configurable qu’on nomme épifode,
pourvu que cet incident ait un rapport direfr & né-
ceffaire avec l’aâion principale, 8ç que le fujet mixte
qui par lui-iqême e $ allez ip tri gué , n’ait pas be-
foin dp çe feçours pour fié foutenir ; Cependant dans
l’un p dans l’autre l’aftion doit être une 8c .copti-
nue , parce qu’en la divifant, on diviferoit 8c l’on
affoibliroit néceflàirement l’ intérêt 8c les imprelfions
que la tragédie fie propofe d’exciter- L ’art confifte
donc à ffavoir en vue qu’une feule 8c même a â io n ,
fait que le fujet foit Iimple, foit qu’il fait compofé, à
ne la pas furçhargpr d’incidens, à n’v ajouter aucun
épifode qui ne fôit naturellement lie avec l’a&ion ;
rien n’étant fi contraire à la vraiffemblance, que de
vouloir réupir 8c rapporter à une même aftion un
grand nombre d’incidens, qui pourroient à peine arriver
en plufieurs femaines. » C’eft par la beauté des
» fentiméns, par la violence des pallions, par l’élé-
» gance des exprelfions, dit M. Racine dans fa pré-
» face de Bérénice, que l’on doit foutenir la fimpli-
» cité d’une aélion, plutôt que par cette multiplici-
» té d’incidens , par cette foule de reconnoiffances
» amenées comme par fo rce , refuge ordinaire des
9* poètes ftériles qui fe jettent dans l’extraordinaire
» en s’écartant du naturel ». Cette fimplicité d’a&ion
qui contribue infiniment à fon unité, eft admirable
dans les poètes grecs ; les Anglois, & entr’autres Sha-
%efpear, n’ont point connu çette réglé ; fes tragédies
à’Henri F I . de Richard I I I . de Macbeth , font des
hiftoires qui comprennent les événemens d’un régné
tout entier. Nos auteurs dramatiques , quoiqu’ils
aient pris moins de licence, fe font pourtant donnés
quelquefois celle, ou d’embraffer trop d’objets, comme
on le peut voir dans quelques tragédies modernes
, ou de joindre à l’a&ion principale des épifodes
qui par leur inutilité ont refroidi l’intérêt, ou par
leur longueur l’ont tellement partagé, qu’il en a ré-
fulté deux avions au lieu d’une. Corneille 8c Racine
n’ont pas entièrement évité cet écueil. Le premier,
par fon épifode de l’amour de Dircé pour T héfée, a
défiguré fa tragédie d’OEdipe : lui-même a reconnu
que dans Horace, l’aâion eft double, parce que fon
héros gourt deux périls djfférens, dont l’un ne l’engage
pas néceflàirement dans l’autre ; pùifque d’un
puéril public qui intéreffe tout l’éta t, il; tombe dans
un péril particulier oit il n’y va que de fa. vie, La
pièce suroit donc pu finir au quatrième a â e , le cinquième
formant pour ainfi dire une nouvelle tragédie.
4uffi l'ujùté d’a&ion dans le poème dramatique
dépend-elle beaucoup de l’unité de péril pour la tragédie
, 8c de l’unité a’intrigue pour la comédie. Ce
qui a lieu non-feulement dans le plan de la fable ,
mais aufli dans la fable étendue 8c remplie d’épifor-
des. Foye{ Action & Fable. v
Les épilodes y doivent entrer fans en corrompre
Y unité-, ou fans former une double aélion : if faut que
les différens membres foient fi bien unis 8c liés en-
femblè, qu’ils n ’interrompent point cette unité d’action
fi néçeflaire au corps du poème, 8c fi conforme
au précepte d’Horace, qui veut que tout fe réduife
à la'fimplicité 8c à Y unité de l’aftioh. Sitqiipdvisjim-
plex difntaxat ér unum. Voye£ EPISODE.
C’ eft fur ce fondement, ‘ qu’on a reproché à Racin
e , ' qu 'il y avoit duplicité d’adion dans Androma-
que oc dans Phedre ; ’& à confidérer ces pièces fans
prévention , on ne peut pas dire que l ’adion principale
y foit entièrement une 8c dégagée, fur-tout dans
la derniere , où l ’épifode d’Aricie n’influe que faiblement
fur le dénouement de la piece même, en admettant
la raifon que le poète allégué dans la préfacé
pour juftifier l’invention de ce perfonnage. Une des
principales caufes pour laquelle nos tragédies en &é-
néral ne font pas fifimples que celles des anciens-
c’eft que nous y avons introduit la paftion de l’amour
qu’ils en avoient exclue. Or , cette paflion étant naturellement
vive 8c violente, elle partage l’intérêt
Principes pour lu lecl. des poètes, tom. II. p,
& nuit par conféquent très-fouvent à Y unité d’action.
& fù iv . Corn, difcours des trois'unités.
A l’égard du poème épique, M. Daciëfi ôbfervé
que l ’unité d’a&ion ne confifte pas dans Y unité du
héros, ou dans 1’uniformité de fon cara&ere ; quoi;
que ce fait une faute que de lui donner dans la même
piece des moeurs différentes. U unité d’aftion exigé
qu’il n’y ait qu’une feule attion principale, dont
toutes les autres ne foient que des accidens 8c des
d é p e n d a n c e s .Héros, Caractères, Moeurs,
A ction.
Pour bien remplir cette réglé, le pefie Iè Bofîii
demande trois chofes; i ° . que l’on ne faffe entrer
dans le poème aucun épifode qui ne fait pris dans le
plan, ou qui ne foit fondé fur l’aélion, 8c qii’on ne
puifle regarder comme un membre naturel du-corps
du poème ; i ° . que ces épifodes ou membres s’accordent
8c foient liés étroitement les uns aux autres;
3 °. que l’on ne finifle aucun épifode au point qu’il
puifle reffembler à une aéHon entière 8c féparée.ou
détachée ; mais que chaque épifode ne fait jamais
qu’une partie d’un tout, 8c même une partie qui ne
faffe point un tout elle-même.
Le critique examinant fur ces réglés l’Enéide , l’Iliade
,- 8c l’Odyffée, trouve qu’elles y ont été obfer-'
vées à la derniere rigueur. En effet, ce n’eft que de
la conduite de ces poèmes qu’il a tiré les réglés qu’il
prefcrit ; 8c pour donner un exemple d’un poème où
ëlles ont été négligées, il cite la Thébaïde de Stace.
F o y e i T hébaïde & Action.
x°.Uunité de tems eft établie par A»ftote dans fa
poétique , où il dit expreffément.que la durée de Faction
ne doit point excéder le teins que le foleil emploie
à faire fa révolution, c’eft-à-dire, l’elpace d’un
jour naturel. Quelques critiques veulent que l’aftion
dramatique foit renfermée dans un jour artificiel, ou
l’efpace de douze heures. Mais le plus grand nombre
penfe que l’aétion qui fait le fujet d’une piece de
théâtre, doit être bornée à l’ efpace de vingt-quatre
heures , ou, comme on dit communément, que fa
durée commence 8c finifle entre deux foleils ; car ori
fuppofe qu’on préfente aux fpeftateurs un fujet de
fable ou d’hiftoire, ou tiré de la vie commune pour
les inftruire ou les amufer; & comme on n’y parvient
qu’en excitant lés pallions , fi on leur laiffe le
tems de fe refroidir, il eft impoflible de produire
l’effet qu’on fe propofoit. Or en mettant fur la fcene
une aftion qui vraiffemblablement, ou même nécef-
fairement n’auroit pu fe pafler qu’en plufieurs anné
e s, la vivacité des mo.ùvemens fe rallentit; ou fi
l’étendue de l’aftion vient à excéder de beaucoup
celle du tems, il en réfulte néceflàirement de la con-
ftifion ; parce que le fpeCtateur ne peut fe faire ilm-
fion jufqu’à penfer que les événemens en fi grand
nombre fe feroient terminés dans un fi court efpace
de tems. L ’art confifte donc à proportionner tellement
l’aélion 8c fa durée, que l’une paroiffe être réciproquement
la mefure de l’autre ; ce qui dépend
fur-tout dé la fimplicité de l’a dion. Car fi l’on en
réunit plufieurs fous prétexte de varier 8ç d’augmenter
le plaifir, il eft évident qu’elles, fortiront des bornes
du tems prefcrit, 8c de celles de la vraiffem-
blance. Dans le Cid , par exemple., Corneille ^
donner dans un même jour trois combats finguüers
& une bataille, 8c termine la journée par i’efpé-
rance du mariage de Chimene avec Rodrigue, encore
tout fumant du fang du comte de Gormas, pere
de cette même Chimene, fans parler des autres in-
cidens, qui naturellement ne pouvoient arriver en
aufli peu ae tems, 8c que l ’hiftoire met effectivement
à deuy ou trois ans les uns des autres. Guillen de
Caftrô auteur efpagnol, dont Corneille avoit emprunté
le fujet du C id , l’avoit traité à la maniéré de
fon tems 8c de fon p a y s , qui permettant qu’on fît
peroître fur la fcene un héros qu’on y o y o it, comme
dit M. Defpréaux ,
Enfant au premier acle, & barbon au dernier.
n’affujettiffoit point les auteurs dramatiques à la réglé
des vingt-quatre heures ; 8c Corneille pour vouloir
y ajufter un événement trop va fte , a péché contre
la vraiffemblance. Les anciens n’ont pas toujours
refpefté cette réglé ; mais nos premiers dramatiques
françois & le s Anglois l’ont violée ouvertement. Parmi
ces derniers, lùr-toùt Shakerpear femble ne l’avoir
pas feulement connue ; & on lit à la tête de
quelques-unes de ces pièces, que la durée de l’aélion
eft de trois, d ix , feize années, 8c quelquefois de
davantage. Ce n’eft pas qu’én général on doive condamner
les auteurs qui pour plier un événement aux
réglés du théâtre , négligent la vérité h iftorique, en
rapprochant comme en un même point des circon-
ftances éparfes qui font arrivées en différens tems,
pourvu que cela le faffe avec jugement & en matières
peu connues ou peu importantes. « Car le poète,
» difent meilleurs de l’académie françoife dans leurs
» fentimens fur le C id , ne confidere dans l’hiftoire
» que la vraiffemblance des événemens, fans fe ren-
» dre efclave des circonftances qui en accompa-
» gnent la vérité; de maniéré que pourvu qu’il foit
» vraiffemblable que plufieurs aâionsfe foient aufli-
» bien pu faire conjointement que féparément, il
» eft libre au poète de les rapprocher, fi par ce
» moyen, il peut rendre fan ouvrage plus merveil-
» leux ». Mais la liberté à cet égard ne doit point
dégénérer en licence, 8c le droit qu’ont les Poètes
de rapprocher les objets éloignés, n’emporte pas
avec foi celui de les entafler & de les multiplier de
maniéré que le tems prefcrit ne fuflife pas pour les
développer tous ; puifqu’il en réfulteroit une confii-
fion égale à celle qui régneroit dans un tableau où
le peintre aurôit voulu reunir un plus grand nombre
de perfonnages que fa toile ne pouvoit naturellement
en contenir. C a r , de même qu’ici les yeux ne
pourroient rien diftinguer ni démêler avec netteté,
la_ l’efprit du fpeâateur 8c fa mémoire ne pour-
roient ni concevoir clairement, ni fuivré aifément
une foule d’év.énemens pour ^intelligence 8c l’éxé-
cution defquels la mèfiire du tems, qui n’ eft que de
vingt-quatre heures au plus, fe trouveroit trop courte.
Le poète eft même à cet égard beaucoup moins
gene que le peintre ; celui-ci ne pouvant faifir qu’un
coup d’oeil, un inftant marqué de la durée de l’a-
ftion ; mais un inftant fubit 8c prefque indivifible.
Principes pour la lecture des Poètes , tome II. page 48.
& J vivantes.
Daqs le poème épique, Y unité de tems prife dans
cette rigueur, n’eft nullement néceffaire ; puifqu’on
ne fauroit guere y fixer la duree de l’aâion : plus
celle-ci eft vive & chaude, & plus il en faut préci-
PIter la durée. C’eft pourquoi l’Iliade ne fait durer
c°lere d’Achille que quarante fept jours tout au
clue » fel ° n Ie Pere Ie B °ftù , l’aéfion de
Il ® ccuP e l’efpace de huit ans & d em i, 8c
eft fa près de fept ans ; mais ce fentiment
raux » comme nous l’avons démontré au mot
lon. y o y e^ A c tio n .
l'orne X V I I .
rb ur cé qui eft de la longueur du poème épique,
Ariftote veut qu’il puifle être lû tout entier dans l’efi
pace d’ufi jour ; & il ajoute que lorfqu’un ouvrage
en ce genre s’étend au-delà de ces bornes, la vûe s’égare
; de forte qu’on ne fauroit parvenir à la fin fans
avoir perdu l’idée du commencement.
30. U unité de lieu eft une réglé dont on ne trouve
nulle trace dans Ariftote, & dans Horace ; mais qui
n’en eft pas moins fondée dans la nature. Rien ne demande
une fi exa&e vraiffemblance que le poème dramatique
: comme il confifte dans l’imitation d’une action
complété 8c bornée, il eft d’une égale néceflité de
borner encore cette aftion à un feul 8c même lieu afin
d’éviter la confufion, & d’obferver encore la vràif-
femblance en foutenant le fpeélateur dans une illu—
fion qui ceffe bien-tôt dès qu’on veut lui perfuader
que les perfonnages qu'il vient de voir agir dans un
lieu, vont agir à dix ou vingt lieues de ce même endroit
, 8c toujours fous fes regards, quoiqu’il foit
bien sûr que lui-même n’ a pas changé de place. QuO
le lieu de la fcene foit fixe & marqué, dit M. D e fpréaux
; voilà la loi. En effet, fi les fcenes ne font
préparées, amenées, 8c enchaînées les unes aux autres
, de maniéré que tous les perfonnages puiflent fe
rencontrer fuccefîivement 8c avec bienféance dans
un endroit commun ; files divers incidens d'une piece
exigent néceflàirement une trop grande étendue
de terrein ; fi enfin le théâtre repréfente plufieurs
lieux diftèrens les »ns après les autres, le fpe&ateur
trouve toujours ces changemens incroyables, & ne
fe prête point à l’imagination du poète qui choque- à cet égard les idées ordinaires, & pour pariér plus
nettement, le bon fens.Pour connoître combien cette-
unité de lieu eft indifpenfable dans la tragédie , il ne
faut que comparer quelques pièces où elle eft abfo-
lument négligée, avec d’autres où elle eft obfervée-*
exa&ement; 8c iur le plaifir qui réfulte de celles-ci,-
& l ’embarras ou la confufion qui naiffent des autres ,-
il eft ailé de prononcer que jamais réglé n’a été plus
judicieufement établie ; avant Corneille, elle étoit
comme inconnue fur notre théâtre; laleéhire des
auteurs italiens & efpagnols qui la violoient impunément
, ayant à cet égard comme à beaucoup d’autres
, gâté nos poètes. H ard y, Rotrou, Mairet, Scies
autres qui ont précédé Corneille, tranfportent à
tout moment la fcene d’un lieu dans un autre. Ce-
défaut eft encore plus fenfible dans Shakefpear, le;
pere des tragiques anglois : dans une même piece la
fcene eft tantôt à Londres, tantôt-à Y o r k , 8c court,
pour ainfi dire , d’un bout à l’autre de l’Angleterre.*
Dans une autre elle eft au centre de l’Ecoffe dans un’
a f i e , 8c dans le fuivant elle eft fur la frontière. Corneille
connut mieux les réglés, mais il ne les refpe-
£fa pas toujours ; 8c lui-même en convient dans l’examen
du C id , où il reconnoît que quoique l’aôion-
fe paffe dans Séville, cependant cette détermination'
èft trop générale ; 8c qu’en effet, le lieu particulier
change de fcene en fcene. Tantôt c’eft le palais du:
r o i , tantôt l’appartement de l’infante, tantôt la mai-
fon de Chimene , 8c tantôt une rue ou une place'
publique. Or non-feulement le lieu général, mais
encore le lien particulier doit- être déterminé ; comme
un palais, unveftibule, un temple ; & Ce que1
Corneille ajoute, qu'il faut quelquefois aider au tkéa--
ire & fuppléer favorablement à ce qui ne peut s ’y repré->
fenter, n’autorife point à porter, comme il l’affait
en cette matière, l’incertitude & la confufion dans
l’efprit des fpe&ateurs. La duplicité de lieu fi mar->
quee dans Cinna, puifque la moitié de la piece fe
paffe dans l’appartement d’Emilie, & l’autre dans le
cabinet d’Augufte, eft inexciifable ; à-moins qu’orf
n’ admette un lieu vague, indéterminé, comme un
quartier de Rome, ou même toute cette v ille , pour
le lieu de la fcene. N’étoit-il pas plus iimple d’ima