
Thompfon. Sa mufe plaît autant qu’elle inftruit. Vous
jugerez pour la 'troifieme fois, comme elle fait employer
dans fes defcriptions la variété, l’harmonie,
Timage & le fentiment.
Q u a n d le foleil quitte le ligne-tin b é lie r, Sc que le
brillant taureau le reçoit., l’atmofphere s’étend, &
les voiles de l’hiver font place à des nuages légers,
épars fnr l’horifon. Les vents agréables fortent de
* leurs retraites , délient la terre £j Sc lui rendent la
v ie . Dijfùgerc nives.
La neige a difparu ; bien-tot par la verdure
Les -coteaux feront embellis :
La terre ouvre jo n fe in , & change de parure;
■ Les fleuves coulent dans leur Ut.
L e laboureur plein de jo ie , fe félicite. Il tire de
î ’étable fes boeufs vigoureux, les mene à leurs trav
a u x , pefe fur le fo c , brife la glèbe , & dirige le
fillon, en rangeant la terre des deux côtés. Plus loin
un homme vêtu de blanc, feme libéralement le grain;
la herfe armée de pointes, fuit Sc ferme la fcène.
Ce que les douces haleines des zéphirs, les rofées
fécondes, & les fertiles ondées ont commencé, l’oeil
du pere de la nature l ’acheve; il darde profondément
fes rayons vivifians, Sc pénétré jufques dans les retraites
obfcures de la végétation. Sa chaleur fe fub-
divife dans les germes multipliés , & fe métamor-
phofe en mille couleurs variées fur la robe renaiflan-
te de la terre. T u concours lur-tout à nos plaifirs,
tendre verdure, vêtement univerfel de la nature riante
; tu réunis la lumière Sc l’ombre ; tu réjouis la vue,
Sc tu la fortifies ; tu plais enfin également fous toutes
les nuances.
Sorte{ du fein des violettes
Croiffe^ feuillages fortunés ;
Couronne£ ces belles retraites,
Ces détours , ces routes fecrêttes
Alix plus doux accords dejlinés !
Ma mufe par vous attendrie ,
D'une charmante rêverie
Subit déjà £ aimable loi ;
Les bois, les valions , les montagnes ,
T'ouïe la fcène des campagnes
Prend une ame , 6* s’orne pour moi.
L ’herbe nouvelle produite par l’air tempéré, fe
propage depuis les prés humides jufques fur la colline.
Elle croît, s ’epaiffit, & rit à l ’oeil de toutes parts;
la feve des arbrifleaux- pouffe les jeunes boutons, Sc
fe développe par degré. La parure des forêts fe déploie
, Sc déjà l ’oeil ne voit plus les oifëaux dont on
entend les concerts. La main de la Nature répand à
la fois dans les jardins , des couleurs riantes fur les
fleurs, Sc dans l’a ir , le doux mélange des parfums.
L e fruit attendu n’eft encore qu’un germe naiffant,
caché ious des langes de pourpre.
Des objets f i charmans , un féjour f i tranquille,
La verdure, les fleurs , les oifeaux, les beauxjours ;
Tout invite le fage à chercher un afyle
Contre le tumulte des cours.
Puiffai-je dans cette faifon, quitter la ville enfe-
velie dans la fumée Sc dans le lommeil ! Qu’il me
foit permis de venir errer dans les champs, oii l’on
xefpire la fraîcheur, Sc où l’on voit tomber les gouttes
tremblantes de l’arbufte penché ! Que je promené
mes rêveries dans- les labyrinthes ruftiques , où
naiffent les herbes odoriférantes, parfums des laitages
nouveaux ! que je parcoure les plaines émaillées
de mille couleurs tranchantes, & que paffant de plai-
fir en plaifir, je me peigne les tréfors de l’automne,
à travers les riches voiles qui femblent vouloir borner
mes regards i
La fécondité des pluies printanières perce la
nüe , abreuve les campagnes , Sc répand une douce
humidité dans tout l’atmofphere..La bonté du ciel
verfe fans mefure l’herbe, les fleurs & les fruits. L’imagination
enchantée , voit tous ces biens au mo-r
nïent même où Poeil de l’expérience ne peut encore
que le prévoir. Celle-ci apperçoit à peine la première
pointe de l’herbe; Sc l’autre admire déjà les fleurs,
dont la verdure doit être embellie.
La terre reçoit la vie végétative ; le foleil change
en lames d’or les nuages voifins : la lumière frappe
les montagnes rougies : les rayons fe répandent fur
les fleuves, éclairent le brouillard jauniffant fur la
plaine , Sc colorent les perles de la rofée. Le payfa-
ge brille de fraîcheur, de verdure, Sc de joie ; les
bois s’epailfiffent; . la mufique des airs commence,
s ’accroît, fe mêle en concert champêtre au murmure
des eaux.
Les troupeaux b êlait fur les collines : l’écho leur
répond du fond des vallons. Le zéphir fouffle ; le
bruit de fes ailes réunit toutes les voix de la nature
égayée. L ’arc-en-ciel au même inftantfort des nuages
oppofés : il développe toutes les couleurs premières,
depuis le rouge jufqu’au v io le t, qui fe perd dans le
firmament que l’arc célefte embraffe, Sc dans lequel il
femble fe confondre. Illuffre N ewton, ces nuages oppofés
au foleil, Sc prêts à fe réfoudre en eau,forment
l’effet de ton prifme , dévoilent à l’oeil inftruit l’artifice
admirable des couleurs, qu’il n’étoit réfervé qu’à
toi de découvrir, fous l’enveloppe de la blancheur
qui les dérobe à nos regards J ., .
Enfin l’herbe v i vante fort avec profufion,& la terre
entière en eft veloutée. Le plus habile botanifte na
fauroit en nombrer les efpeces , quand attentif à
fes recherches, il marche le long du vallon folitaire;
ou quand il perce les forêts, & rejette triftement les
mauvaifes herbes , fentant qu’elles ne font telles à fes
y e u x , que parce que fon favoir eff borné ; ou lorf-
qu’il franchit les rochers efearpés, & porte au fom-
met des montagnes des pas dirigés par le lignai des
plantes qui femblent appélier fon avide curiofité ; car
la nature a prodigué par-tout fes faveurs ; elle en a
confié les germes fans nombre aux vents favorables*
pour les dépofer au milieu des élemens qui les doivent
nourrir.
Lorfque le foleil dardera fes rayons du haut de fon
trône du midi, repofe-toi à l’abri du lilas fauvagê ,
dont l’odeur eft déleâable. L à , la primevere penche
fa tête baignée de rofée, Sc la violette fe cache parmi
les humbles enfans de l’ombre ; fi tu l’aimes mieux,
couche-toi fous ce frêne, d’où la colombe à l’aîle rapide
prend fon effort bruyant ; ou bien enfin aifis au
pié de ce roc fourcilleux,. réfidence éternelle du fàu-,
con, laiffe errer tes penfées à travers ces fcènes
champêtres, que le berger de Mantoue illuftra jadis
par l’harmonie incomparable de fes chants :
Tu vois fu r a s côteaux fertiles
Des troupeaux riches & nombreux ;
Ceux qui les gardent font heureux ,
E t ceux qui les ont font tranquilles.
Puiffe-ttt, à leur exemple, affoupi par les échos des
bois Sc le murmure des eaux , réunir mille images
agréables , émouffer dans le calme les traits de* pâf-
fions turbulentes, & ne fouffrir dans ton coeur que
les tendres émotions , fentiment pur, également ennemi
de la léthargie de l’ame , Sc du trouble de l’ef-
prit.
T o i que j’adore, toi que les grâces, ont formée,
toi la beauté même, viens avec ces yeux modeftes,
Sc ces regards mefurés où fe peignent à-la-fois une
aimable légèreté , la fageffe, la railon, la vive imagination,
& la fèrifibilité du coeur ; viens, ma Thémi-
r e , honorej le printems qui paffe couronné de rofes.
Permets-moi de cueillir ces fleuri nouvelles, pour orner
les treffes de tes cheveux, & . parer le fein délicieux
qui ajoute encore à leur douceur.
Vois dans ce vallon comme le lis s’abreuve.du ruif-
feau caché, & cherche à percer la touffe du pâturage.
Promenons-nous fur ces champs couverts de fèves
fleuries, lieux où le zéphir qui parcourt ces vaf-
tes campagnes, nous apporte les parfums qu’il y a
raffemblés ; parfums mille fois plus falùbres & plus
flatteurs, que riefurent jamais ceux de l’Arabie. Ne
crois pas-indigne de tes pas cette prairie riante.; c’eft
Ie «^glj^é.tfe'îà^-a&tîrê que l’art n’à point défiguré. Ici
rempliflént leur tâche de nombreux éffaihs d’abeilles,
nation'îàbofieufe, qui fend l’air, & s’attache au bouton
dont elle fifre Tarne éther é e ; fouvent elle ofe
s’écarter fur iâ bruÿere éclatante de pourpre , où
iro ît le thym fauvage, Sc elle s’y charge du précieux
bùtin.
L’Océan n’eft pas loin de ce vallon ; viens, belle
■ Thémire, confidérer un moment la merveille de fon
flux.
Q u e j’aime alors qu'ilfe retire
D e lepourfiiivrepas-à-pas ;
A u reflux il a des appas
Que l\onfent, & qu'on ne peut dire.
Ici les cailloux font du bruit ;
Delà le gravier fe produit ;
La vague y blanchit, 6* s’y creve ;
Là fon écume à gros bouillons
Y couvre , & découvre la greve,
Baifant nos piés fu r Les fallons.
Que j'aime à voir fu r ces rivages
Veau qui s'enfuit & qui revient,
Qui me pnéfente, qui retient,
E t laiffe enfin fes coquillages.
Cependanf il eft' tèms de nous rendre dans le$ jardins
que le Noftre à formés, jardins admirables par
lëurs perfpeftivés Sc leurs allées de boulingrins.
Dans les bolquets où régné une douce obfcurite, là
promenade s’étend en longs détours , Sc s’ouvrant
tout-à-coup, offre aux regards furpris le. firmament
qui s’abaifle, les rivières qui coulent en fèrpentant,
les étangs émus par les vents légers , des groupes de
forêts, des palais qui.fixent l’oeil, des montagnes qui
fe .confondent dans l’a ir , Sc la mer que nous venons
de quitter.
Le long de ces bordures régné, avec la rofée , le
printems qui.développe toutes les grâces. Mille plantes
embelîiflent le partere , reçoivent Sc préparent
lés parfums ; les anémones, les oreilles d’ours enrichies
de cette poudre brillante qui orne leurs feuilles
de velours, la double renoncule d’un rouge ardent,
décorent la fcène. Enfuite la nation des tulipes étale
fes caprices innocens, qui fe perpétuent de race en
ra c e , & dont les couleurs variées iè mélangent à l’infini
, comme font les premiers germes. Tandis qu’e lles
éiffou.iffënt la vue charmée, le fleurifle admire
avec un fecret orgueil, les miracles de fa m ain.Toutes
les fleurs fe fuccedent depuis le bouton, qui naît
avec le printems, jufqu’à celles qui embaument l’été.
Les hyacinthes du blanc le plus pur s’abaiffent,& pré-
fentent leur calice incarnat. Les jonquilles d’un parfum
fi puiffant ; la narciffe encore penché fur la fontaine
fabuleufe- ; les oeillets agréablement tachetés ;
la rofe de damas qui décore l’arbufte ; tout s’offre à-
la-fois aux fens ravis : l’exprefliôn ne fauroit rendre
la variété , l’odeur, les couleurs fur couleurs , le
fouffle de la nature, ni fa beauté fans bornes.
Dans cette faifon où l’amour , cette ame universelle
, .pénétré, échauffe l’air , Sc fouffle fon efprit
dans toute la nature, la troupe aîlée fent l’aurore des
defirs. Le plumage des oifeaux mieux fourni, fe peint
jde plus v iv e s , couleurs ; ils recommencent leurs
Tome X V II\
chants long-téms oubliés, & gazouillent d’abord foi-
Dlement ; mais bientôt l’adion de la vie fe communiqué
aux’organes intérieurs; elle gagne, s’étend &
produit tin-tdrrent de délices, dont rexpreffionfe’dé-
plote en concerts, qui n’ont de bornes que celle d’une
joie qui n’en connoit point.
La meilagere dû matin, l’aloùette s’élève en chantant
à-tràvers-lss ombres qui fuyent devant le crépuf-
cule du jou r; elle appelle d’une, voix haute les chantres
des bois, & les réveillé au fond de leur demeure
; toute la troupe ga/.ouiliante forme des accords.
Philotnde les ésqute., 8c leur permet de s’égayer,
certaine de rendre les,échos de la nuit préférables à
ceux du jour.
J e demeure fa ifi
D entendre dé jà voix lharmonie <§* la grâce ;
Vous çroiries^ fur la fo i de fes charmans accords j’ ‘
Que l'ame de Linus, ou du chantre de Thrace
A paffé dans ce petit corps,
E t d un gofier f i doux anime les refj'orts.
Les faunes & les nayades ,
P an j & les amadryades.
■ A u goût délicat & fin .
A u chant qui les captive
Tenant une oreille attentive,
E n appréhtndentfa fin.
Toute cette mufique n’eft autre chofe que la v o i ï
de l’Amour ! C’eft lui qui enfeigne le tendre art dé
plaire aux oifeaux, Sc chacun d’eux en courtifant fà
maitreffe, verfe fon ame toute entière. D ’abord à une
diftance refpe&ueufe, ils font la roue dans le circuit
de l’a ir , & tâchent par un million de tours d’attirer
j.- |oe il rufé de leur çnchantereffe, volontairement distraite.
Si elle femble ne pas défapprouver leurs voeux
leüri couleurs deviennent plus vives. Animés par
Pefpérance, ils avancent promptement ; enfuite comme
frappés d’une atteinte invifible , ils fe retirent
en defordre ; ils fe rapprochent encore , battent dé
l’a île , & chaque plume friffonne de defir. Les gages
de l’hymen font reçus ; les amans s’envolent où les
conduifent les plaifirs, l’inftinft Sc le foin de leur
fureté.
Mufe, ne dédaigne pas de pleurer tes freres des
bois, furpris par l’homme ty ran , Sc renfermés dans
une étroite prifon. Ces jolis efclaves, privés de l’étendue
de l’air, s’attriftent ; leur plumage eft terni
leur beauté fanée, leur vivacité perdue. Ce ne font
plus ces notes raviffantes qu’ils gazouilloient fur le
hêtre. O vous amis des tendres chants, épargnez ces
douces lignées ,Taiffez-les jouir de la liberté, pour
peu que l’innocence, que les doux accords , ou que
la pitié aient de pouvoir fur vos coeurs.
Gardez-vous liirtout d’affliger Philomelè, en dé-
truifant fes travaux. Cet Orphée des bocages eft trop
délicat pour fupporter les durs liens de la prifon.
Quelle douleur pour la tendre mere, quand, revenant
le bec chargé, elle trouve fes chers enfans dérobés
par un raviffeur impitoyable. Elle jette fur le fable
fà provifion déformais inutile ; fon aîle languif*
fante Sc abattue, peut à peine la porter fous l’ombre
d’un peuplier Voilin. Là , livrée au défefpoir, elle gémit
& déplore fon malheur pendant des nuits entières
; elle s’agite fur la branche folitaire ; fa vo ix toujours
expirante s’épuife en fpns lamentables. L’écho
foupire à fon chant, Sc répété fa douleur. L’homme
feulferoit-ilinfenfible? Ah plutôt qu’il confidere que
la bonté divine voit d’un oeil également compatiffant
toutes fes créatures !
Que ne puis-je peindre la multitude des bienfaits
qu’elle verfe à pleines mains fur notre hémifphere
dans cette brillante faifon ; mais fi l’imagination mê1-
me ne peut fuffire à cette tâche délicieufe, que^ pourrait
faire le langage ? Contentons-nous, de dire que
À A a a a i j