«es charges 4e rofée imbibent le foleil, qui darde à-
travers leurs voile s, fa lumière adoucie fur le monde
©aifible. G’eft en ce tems que ceux qui font guidés
par la fageffe, favent fe dérober à la foulé ggjgg
qui habite les v ille s, & prenant leur effort au-def-
ftis des foibles fcènes de l’art, viennent fouler aux
piés les baffes idées du v ic e , chercher le calme, antidote
des payons turbulentes, & trouver l’heureufe
paix dans les promenades ruftiques.
O doux amufemens, 6 charme inconcevable
A ceux que du grand monde éblouit le cahos :
Solitaires vallons, retraite inviolable
De Tinnocence & du repos.
§ Puiffé-je, retiré, penfif, ôc rêveur,ven ir errer
fouvent dans vos fombres bofquets, oii l'on entend
le gazouillement de quelques chantres domeftiques
oui égaient' les travaux du bûcheron , tandis que
tant d’ autres oifeaux dont les chants fans art tor-
moient, il y a peu de tems, des concerts ; maintenant
privés de teur ame mélodieute, fe perchent en
tremblant fur l’ arbre dépouillé. Cette troupe découragée
qui a perdu l’éclat de fes plumes, n offre plus
à l’preille que des tons difcords. Mais que le tufil di-
rigé par l’oeil inhumain, ne vienne pas détruire la
mufique de l’année future, & nefaffe pas une proie
barbare de ces foibles & innocentes efpeces.
L’année déclinante infpire des fentimens pitoyables
» La feuille feche ôc bruyante tombe du bofquet ,
& réveille fouvent comme en furfaut 1 homme refle-
chiffant qui fe promene fous les arbres. Tout femble
£lors nous porter à la mélancolie philofophique.Quel
empire ton impulfion n’a-t-elle pas fur les âmes len-
fibles? Tantôt arrachant des larmes fubites, elle fe
manifefte fu r ie s joues enflammées ; tantôt fon influence
facrée embrafe l’imagination. Mille Ôc mille
idées fe fuçcedent, & l’oeil de l’efprit créateur en
conçoit d’inacceflibles au vulgaire. Les pallions qui
correfpondent. à ces idées aufli variées, aufli fubli-
mes qu’elles, s’élèvent rapidement. On foupire pour
le mérite fouffrant ; on fent naître en foi le mépris
pour l’orgueil tyrannique, le courage pour les grandes
entreprifes, l’admiration pour la mort du patriote
, même dans les fiecles les plus reculés. Enfin l’on
eft ému pour la vertu, pour la réputation, pour les
fympathies , ôc pour toutes les douces émanations
de l’amê fociale. .
Le foleilqccidental ne donne plus que des jours ra-
courcis ; les loirées humides gliffent fur le firmament,
& jettent fur la terre les vapeurs condenfées. En mê-
me-tems la lune perçant à-travers les intervalles des
nuages, fe montre en fon plein dans l’orient cramoi-
fi ; les rochers ôc les eaux repercutent fes rayons
tremblans ; tout l’ atmofphere fe blanchit par le reflux
immenfe de fa clarté qui vacille autour de la
terre. La nuit eft déjà plus longue, le matin paroît
plus tard, & développe les derniers beaux jours de
l’ automne, brillans d’éclat & de rofée. Toutesfois le
foleil en montant diflipe encore les brouillards. La
gelée blanche fe fond devant fes rayons ; les gouttes
de rofée étincellent fur chaque arbre, fur chaque rameau
ôc fur chaque plante.
Pourquoi dérober la ruche pefante, ôc maffacrer
dans leur demeure fes habitans > Pourquoi l’enlever
dans l’ombre de la nuit favorable aux crimes, pour
la placer iiirle foufre, tandis que ce peuple mnocent
s’occupoit de fes foins publics dans fes ceuules de
cire, & projettoit des plans d’economie pour letnfte
hy ver ? Tranquille ôc content de l’abondance de fes
tréfors, tout-à coup la vapeur noire monte de tous
côtés, Ôc cette tendre efpece accoutumée à de plus
douces odeurs, tombant en monceau par milliers de
fes dômes mielleux, s’entaffe fur la pouffiere. Race
utile ! étoit-cepour cette fin que vous voliez au printems
de fleurs en fleurs î étoit-ce pour mériter ee
fort barbare que vous braviez les chaleurs de l’été,
ôc que dans cet automne même vous avez erré fans
relâche , ôc fans perdre un feul rayon du foleil?
Homme c rue l, maître tyrannique ! combien de tems
la nature protternée gémira-t-elle fous ton fceptre de
fe r? T tu pouvois emprunter de ces foibles animaux
leur nourriture d’ambroifie ; tu devoisparreconnoif?
fance les mettre à - couvert des vents du nord ; ÔC
quand la faifon devient dure, leur offrir quelque por*
tion de leur bien. Mais je me laffe de parler à un ingrat
qui ne rougit point de l’être, ôc qui le fera juf-
qu’au tombeau. Encore un coup d’oeil fur la fin de
cette faifon.
Tous les tréfors de la moiffon maintenant recueillis
font en fureté pour le laboureur; & l’abondance
retirée défie les rigueurs de l’hyver qui s’approche»
Cependant les habitans des villages fe livrent à la
joie fincere ôc perdent la mémoire de leurs peines.
La jeune fille laborieufe, s’abandonnant aufentiment
qu’excite la mufique champêtre, faute ruftiquement,
quoiqu’avec grâce, dans la danfe animée ; légère ôc
riche en beauté naturelle, c’eft la perle du hameau.
Accorde-t-elle un coup d’oeil favorable, les jeux en
deviennent plus vifs ôc plus intéreffans. La vieilleffe
même fait des efforts pour briller, ôc raconte longuement
à table les exploits de fon jeune âge. Tous enfin
fe réjouiffent ôc oublient qu’avec le foleil du lendemain,
leur travail journalier doit recommencer encore.
L e centaure cede au capricorne letrifte empire du
firmament, & le fier verfeau obfcurcit le berceau
de l'année. Le foleil penché vers les extrémités de
l’univers, répand un faible jour fur le monde ; il darde
obliquement fes rayons émouffés dans l’air obf-
curci.
Déjà le départ des pléyades
A fait retirer les nochers ;
E t déjà les froides hyades
Forcent les frilleufes driades ,
De chercher Cabri des rochers.
Le volage amant de Clytu
Ne carejfe plus nos climats ;
E t bientôt des monts de S<ytkiet
Le fougueux amant èCOrythie
Va nous ramener les frimats»
Les nuages fortent épais de l’orient glace> ôc les
champs prennent leur robe d’hiver. Bergers, il eft
tems de renfermer vos troupeaux, de les mettre à
l’abri du froid, ôc de leur donner une nourriture
abondante. Voici les jours fereins de gelée; le nitre
éthéré vole à-travers le bleu célefte, & ne peut être
apperçu ; il chaffe les exhalaifons infe&es ôc verfe de
nouveau dans l’air épuifé les tréfors de la v ie élémentaire.
L’atmofphere s’ approche, fe multiplie,
comprime dans fes froids embraffemens nos corps
qu’il anime. Il nourrit & avive notre fang,rafinenos
efprits, pénétré avec plus de vivacité, ôc paffant par
les nerfs qu'il fortifie, arrive jufqu’au cerveau, fé*
jour de l’ame, grande, recueillie, calme, brillante
comme le firmament. Toute la nature fent la force
renouvellante de l’hiver qui ne paroît que ruine à
l’oeil vulgaire. Un rouge plus foncé éclate fur lés
joues. La terre refferrée par la gelée attire en abondance
l’ame végétale, Ôc raffembte toute la vigueur
pour l’année fuivante. Les rivières plus pures & plus
claires, préfentent dans leur profondeur un miroir
tranfparent au berger, ôc murmurent plus fourde*
ment à-mefure que la gelée s’établit..
Alors la campagne devient plus déferte ôc les troupeaux
repofent tranquillement enfermés dans leurs
chaudes étables. Le hoeuf docile ne fe montre que
lorfque
lorfque traînant un chariot du bois qu’un bûcheron
a coupe dans'la forêt prochaine,il l’amene à l’entrée
de la cabane du laboureur. Gn n’apperçoit plus d’autres
oifeaux que la ruftique méfange, le mignon roitelet
-qui fautille cà & la , & le hardi moineau qui
vient jufques dans nos granges bequeter les grains
échappés aii Vanneur.
Cependant l’hiver déploie des beautés raviffantes.
•J’admire lès germes du grain qui percent la neige de
leurs tendres pointes. Que ce verd naiffant fe marie
bien aVee le blanc qui régné à-l’entour ! Il eft agréable
de voir le foleil dorer les collines blanchies par
les frimats. Les noires fauches des arbres, ôc leurs
branches chauves, forment un contrafte majeftueux
avec le tapis éblouiffant qui couvre la plaine. Les
fombres buiffons d’épines rehauffent la blancheur
des champs, par ce brun meme qui en coupe l’afpeû
trop uniforme. Quel éclat jettent les arbres, lo r fque
la rofée en forme de perles, eft fufpendue à
leurs foibles rameaux, auxquels s’entrelacent des
fils légers qui voltigent au gré du vent.
Dans ces jours froids ôc ferains, je chôifis pour
ima retraite près de la v ille , un féjour agréable fitué
fur un côteau fort é le vé , couvert d’un côte pâr des
forêts, ouvert de l’autre au magnifique fpeûacle de
la nature, ôc m’offrant dans l’éloignement, la vue
fans bornes des vagues, tantôt agitées, & tantôt tranquilles.
C’eft dans cet abri folitaire, que lorfque le
fo y e r brillant, ôc les flambeaux allumésbanniffent
l’obfcurité de mon cabinet, je m’alfieds, ôc me livre
fortement à l’étude.
Je converfe avec ces morts illuftres, ces fages de
l ’antiquité, révérés comme des dieux, bienfaifans
comme eu x , héros donnés à l’humanité pour le bonheur
des a r t s d e s armes & de la civilifation. Concentré
dans ces penfées motrices de l’infjDiration, le
volume antique me tombe des mains ; méditant profondément,
je crois voir paffer devant mes y eux étonnes,
ces ombres facrées, objets de ma vénération.
Socrate d’abord, demeuré feul vertueux dans un
état corrompu, feul ferme ôc invincible. Il brava la
rage des tyrans, fans craindre pour la v ie , ni pour
la mort, ôc ne connoiffant d’autres maîtres que les
faintes loix d’une raifon éclairée, cette vo ix de D ieu
qui retentit intérieurement à la confcience attentive.
Solon, le grand oracle de la morale, qui fonda
fa république fur la vafte bafe de l’équité. Il fçut par
çles loix douces, reprimer un peuple fougueux, lui
conferver fon courage, ôc ce feu v i f , par lequel il
dévint fi fupérieur dans le champs glorieux des laur
ie r s, ôc des beaux-arts, ôc de la noble liberté, ôc
qui le rendit enfin l’orgueil de la Grece ôc du genre
humain.
Lycurgue, cet homme fouverainement grand, ce
génie fublime, qui plia toutes les pallions fous le joug
de la difcipline la plus étroite, & qui par l’infaillibilité
de fes inftitutions, conduifit Sparte à la plus
haute g loire, & rendit fon peuple, en quelque forte,
le légiflateur de la Grece entière.
Après lui, s’avance ce chef intrépide, qui s’étant
dévoué pour la patrie, tomba glorieufement aux
Thermopyles, & pratiqua ce que l’autre avoit établi.
Ariftide leve fon front où brille la candeur, coeur
vraiment p u r , à qui la voix fincere de la liberté,
donna le beau nom de jujle. Refpeété dans là pauvreté
fainte ôc majeftueufe, il fournit au bien de fa
patrie jufqu’à fa propre gloire, & accrut la réputation
de fon rival trop orgueilleux, mais immortalifé
par ' la victoire de Salamine.
J ’apperçois Cimon fon difciple, couronné d’un
rayon plus doux ; fon génie s’élevant avec force,
repouffa au loin la molle volupté. Au-dehors le fléau
de l’orgueil des Perfes, au-dedans il étoit l’amr du
Tome X F I I .
mérite & des arts ; modefte ôc fimple du milieu de
la pompe delaricheffe.
Je vois enfuite paroître ôc marcher penfifs les derniers
hommes de la Grece fur fon déclin, héros ap-
pellés trop tard à la gloire, & venus dans des tems
malheureux. Thimoléon; Fhonneur de Corinthe
homme heureufement né, également doux & ferme
& dont la haute générôfité pleure fon frere dans
le tyran qu’il immole. Les deux Thébains égaux
aux meilleurs, dont l’héroïfme combiné;, éleva leur
pays à la liberté, à l’empire & à la renommée. Le
grand Phociçn, difciple de Platon , ôc rival de Dé-
mofthèhe, dans le tombeau duquel Phonnèur.’des
Athéniens fut enfeveli : févere comme hommç: publié,
inexorable au vice, inébranlable dans la vertu;
■ mais fous fon toit illuftre, quoique b a s, la paix &
la fageffe heureufe adouciffoient fon front; i’amitio
ne pouvoit être plus flatteufe , ni l’amour plus tendre.
Agis, le dernier des fils du vieux Lycurgue,
fut la généreufe viftime de l’entreprife toujours vaine
de fâuver un état corrompu; il vit Sparte même,
perdue dans l ’avarice fervile.
Lés deux freres Achéens ferment la feene : Aratus
qui ranima quelque tems dans la Grece la liberté expirante
, & l’aimable Philopcemen, le f a v o r i& le
dernier efpoir de fon p a y s, qui ne pouvant en bannir
le luxe & la pompe, fçut le tourner du côté
des armes ; berger fimple & laborieux à la ,*campa-
gne, & habile & intrépide au champ de Mars;
Un peuple , roi du monde, race de héros-, s ’avance.
Son front plus févere n’a d’autre tache ( li
c’en eft une), qu’un amour exceflif de la patrie, paf-
fion quelquefois trop ardente & trop partiale. Nu-
ma , la lumière de Rome , fut fon premier ôc fon
meilleur fondateur, puiiqu’il fut celui des moeurs.
Le roi Servius pofaja bafe folide fur laquelle, .s’éleva
la vafte république qui domina l’univers.' ’
Viennent enfuite lés grands ÔC vénérables con-
fuls Lucius Junius Brutus*, . dans qui le pere public
, du haut de fon redoutable tribunal , fit taire le
pere privé : Camille, que fon pays ingrat ne put
perdre , ôc qui ne fçut que venger les injures de là
patrie : Fabricius, qui faille aux-piés l’or féduéleur :
Cincinnatus redoutable à l’inftant où il quittoit fa
charrue : ôc toi, RéguluSjViôime volontaire de Carthage,
impétueux à vaincre la nature, tu t’arraches
aux larmes de ta famille, pour garder ta fo i, ôc pour
obéir à la voix de l’honneur ! Scipion, ce chef également
brave ôc humain, qui parcourt rapidement
ôc fans tache, tous les différens degrés de gloire*
Ardent dans la jeuneffe, il fçut goûter enfuite les
douceurs de la retraite avec les mufes, l ’amitié ôc la
philofophie : Cicéron, dont la puiffanté éloquence
arrêta quelque tems le rapide deftin de Rome : Caton
, femblable atix dieux, ôc d’uné vertu invincible
; ôc toi malheureux Brutus, héros bienfâifant
dont le bras tranquille pouffé par la vertu même
plongea l’épée romaine dans le fein de ton ami; Mille
autres encore demandent ôc méritent -le tribut de
mon admiration. Mais qui peut nombrer les étoiles
du c ie l, qui peut célébrer leurs influences fur ce bas
monde ?
Quel eft celui qui s’approche d’un air modefte
d o u x , ôc majeftuéux comme le foleil du printems?
C’eft Phébus lui-même, oit le berger de Mantoùe.
Le fublime Homere ; rapide ôc audacieux père du
chant," paroît devant lui. L’un ôc l’autre ont percé
l’efpace, font parvenus d’un plein vo l au fommet du
temple de la renommée.
Les fdvantes immortelles
Tous les jours de fleurs nouvelles
Ont foin de parer leur front;
E t , par leut commun fuffrage ,
Ce couple unique- partage •
B B b b b