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-mains, comme dit S. P aul, invfibilia De l per ea-qua
facla funt intellecla confpiciuntur.
La vifion intuitive eft celle dont les bienheureux
jouiflent dans le c ie l, & dont le même apôtre a dit
■ par oppofition à la connoiffance que nous avons de
Dieu en cette v ie , videmus nunc per fpeculum in oenig-
mate , tune autem facie ad faciem : on l’-appelle aulîi
■ vfion béatifique, f
Quelques hérétiques, comme les Anoméens, les
Bégards, & les Béguines , & parmi les grecs modernes
, les Palamites ou Qmétiftes du mont Athos, fe
font vantés de parvenir à la vijîon intuitive de Dieu
par les feules forces de la nature. Ces erreurs ont
été condamnées, & en particulier celle des Begards
-& Béguines, parle concile général de V ienne, tenu
fous Clément V . en 1 3 1 1 .
' En effet, il eft clair que fi pour les oeuvres méritoires
qui font les moyens du falut, l’homme a né-
ceffairement befoin de la grâce, à plus forte raifon
-a-t-il befoin d’un fecours furnaturel pour le falut
même, qui n’eft autre chofe que la vijîon béatifique.
Les Théologiens appellent ce fecours furnaturel, qui
füpplée -à la foiblefle de notre intelligence, & qui
nous éleve à la vijîon intuitive de D ieu, lumière de
g lo ire , lumen gloriteÿ parce qu’elle fert a la vijîon de
D ieu , dans laquelle confifte la gloire & le bonheur
-des faints. .<■ -. .
L ’Eglife catholique penfe que les juftes.fqui il ne
refte aucun péché à e xp ie r, jouiflent de la vijîon
intuitive de D ieu dès l’inftant de leur mort , & que
les âmes de ceux qui meurent fans avoir entièrement
fatisfait à ia.juftice de Dieu pour la peine temporelle
due à.leurs péchés /ne parviennent à cette béatitude
qu’après les avoir expies dans le purgatoire.
Les Millénaires avoient imaginé que les juftes ne
verroient Dieu qu’après avoir régné mille ans fur la
terre avec Jefus-Chrift, & pafle ce tems dans toutes
fortes de voluptés corporelles, félon quelques-uns
d’entre eux , o u , félon, les autres, dans des delices
pures & fpirituelles. Voye\ Millénaires.
Au commencement du xiv. fiecle, le pape Jean
X X I I . pencha pour l’opinion qui foutient que les
faints ne jouiflent de la vijîon intuitive qu’apres la
réfurreftion des corps ; il l’avança meme dans quelques
fermons ; au-moins il defira qu’ on la regardât
comme une opinion problématique. Mais il ne décida
jamais rien fur cette matière en qualité de fou-
verain pontife, & rétra&a même aux approches de
là mort, ce qu’il avoit pu dire ou penfer de moins
exaft fur cette queftion.
Quoiqu’il ne répugne pas que Dieu puifle accorder
dès cette vie a un homme la vijîon béatifique,
on convient pourtant généralement qu’il n’en ar jamais
favorifé aucune créature vivante fur la te rre ,
ni Moïfe, ni E lie , ni S. Paul, ni même la fainte
Vierge : tout ce qu’on avance au contraire eft defti-
tué de fondement.
Quant à la vijîon compréhenlive, on fent que D ieu
feul peut fe connoître de toutes les maniérés dont
il peut être connu, & que l’efprit humain, de quelque
fecours furnaturel qu’on le fuppofe aidé, ne peut
parvenir à ce fuprème degré d’intelligence qui l’éga-
leroit à Dieu quant à la fcience & à la connoif-
fance.
Vision céleste de Conftantin, ( Hi(l. eccUf. )
c’ eft ainfi qu’on nomme la vijîon d’une croix lumi-
neufe, qui, au rapport de plusieurs hiftoriens, apparut
à l’empereur Conftantin , furnommé Le grand,
quand il eut réfolu de faire la guerre à Maxence.
Comme il n’y a point de tradition plus célébré
dans l’hiftoire eccléfiaftique que celle de cette vijîon
célejle, & que plufieurs perfonnes la croyent encore
inconteftable, il importe beaucoup d’en examiner la
vérité ; parce qu’il y a quantité d’autres faits, que les
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hiftoriens ont répétés à la fuite les uns des autres, &
qui difeutés critiquement, fe font trouvés feux ; ce
fait-ci peut être du nombre. Plufieurs favans en font
convaincus ; & M. de Chaufepié lui-même, après
un mûr éxamen de l’hiftoire du figne célefte de Conftantin
, n’a pu s’ empêcher d’avouer, que les argu.
mens qu’on a employés à fa défenfe, ne font point
allez forts pour exclure le doute, & que les témoins
qu’on allégué en fa faveur, ne font ni perfuafifs, nj
d’accord entre eux ; c’eft ce que cet habile théolo.
gien des Provinces-Unies, a entrepris de juftifier dans
fon diéfionnaire hiftorique & critique, par une dit
fertation également curieufe & approfondie , dont
nous allons donner le précis.
Pour prouver que les témoins qui dëpofent en
faveur du fait en queftion , ne font ni sûrs, ni d’accord
entre e u x , le lefteur n’a qu’à fe donnér la peine
de confronter leurs témoignages. Je commencerai
pour abréger, par eiteren ffançois le rapport d’Eu-
febe, y it de Conftantin, i. I. c. x x v iiji j i .
Cet hiftorien après avoir dit que Conftantin ré*
folut d’adorer le Dieu de Confiance fon pere, &
qu’il implora la proteôion de ce Dieu contre Maxence
, il ajoute : « Pendant qu’il faifoit cette priere,
» il eut une merveillèufe vifion, qui paroîtroit
» peut-être incroyable fi elle étoit rapportée par un
» autre. Mais, puifque ce viéforieux empereur nous
» l’a racontée lui-même , à nous qui écrivons cette
» hiftoif e long-tems après, lorfque nous avons été’
» connus de ce prince, & que nous avons eu part
» à fès bonnes grâces, confirmant ce qu’il difoit par
» ferment ; qui pourroit èn douter , ïur-tout l’évé-
» nement en ayant confirmé la vérité ? Il afiiiroit
» qu’il avoit vu dans l’après-midi, lorfque le foleil
» baifloit, une croix lumineufe au-deflits du foleil,
» avec cette infeription : Tout« vU* , vainque{ par
» ce figne ; que ce fpe&acle l’aVoit extrêmement
» étonné, de même que tous les foldats qui le fui*
» votent, qui furent témoins dü miracle. Que tan-
» dis qu’il avoit l’efprit tout occupé de cette vijîon,
» & qu’il cherchoit à en pénétrer le fens’ , la nuit
» étant furvenue, Jefus-Chrift lui étoit apparu pen-
» dant fon fommeil avec le même ligne qu’il lui avoit
» montré le jour dans l’a ir , & lui avoit commandé
» de faire un étendart de la même forme, & de le
» porter dans les combats pour fe garantir du dan*
» ger. Conftantin s’étant levé dès la pointe du jour,
» raconta à fes amis le fonge qu’il avoit eu ; & ayant
» fait venir des orfèvres & des lapidaires, il s’aflit
» au milieu d’eux , leur expliqua la figure du ligne
» qu’il avoit Vu, & leur commanda d’en faire un
» femblable d’or & de pierreries ; & nous nous fou-
» venons de l’avoir vu quelquefois ».
Dans le chapitre fuivant, qui eft le xxxj. Eufebe
décrit cet étendart auquel on donna le nom de la-
barum, & dont noiis avons parlé en fon lieu. Dans
le chapitre xxxij. il raconte que Conftantin tout rempli
d’étonnement par une fi admirable vifion, fit venir
les prêtres chrétiens, & qu’inftruit par eux, il
s’appliqua à la lefture de nos livres facrés, & conclut
qu’il devoit adorer avec un profond refpeft le
Dieu qui lui étoit apparu. Que l’efpérance qu’il eut
en fa proteélion, l’excita bien-tôt après d’eteindre
l’ embrafement qui avoit été allumé par la rage des
tyrans.
Le témoignage de Riiffin ne nous arrêtera pas,
parce qu’il n’a feit que traduire en latin l’hiftoire eccléfiaftique
d’Eufebe, & ç p y retranchant plufieurs
chofes à fa guife.
Socrate eft le troifieme hiftorien qui nous parle
de cette merveille, hift. cccléf. t. I. c. î j . « Conftan-
» tin , dit-il, commença à chercher les moyens de
» mettre fin à la tyrannie de Maxence.. . . Pendant
» que fon efprit étoit partagé de la forte, il eut une
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fo vïfioft merveilleufc, & q u i furpaffoit tôut ce qu’on
» oeut dire. Comme il marchoit à la tête de fes trou-
» «es il vit dans le ciel l’après-midi, lorfque le fo-
» leil commençoit àbaiflèr, une colonne de lumière
» en figure de c ro ix , stv\ ov quncç iTo.vpauS'ti, fur la1-
» quelle étoient écrits ces mots : eV tout« w*a , vain-
» quer pitreeù. L’empereur étonné d’un pareil pro-
» dige, & ne s’en rapportant pas entièrement à fes
» propres y e u x , demanda à ceux qui étoient prér
» fens s’ils avoient vu le même figne. Quand ils lui
» eurent répondu qu’oui , cette divine & merveib-
» leufe vifion le confirma dans la créance I de la vé*-
» rite. La nuit étant furvenue, il vit Jefus-Chrift
» qui lui commanda de faire un étendart fur le mo*-
„ Jele de celui qu’il avoit vu en Pair, & de s’en fet^
» vir contre fes ennemis , comme du gage le plus
a certain de la v iéloire, xai ïwtu x*tet vuv ^oXty.im
» TpcTTctta. Suivant cet oracle, il fit faire un
»> étendart en forme de c ro ix , lequel on conferve
» encore aujourd’hui dans le palais des empereurs.
» Rempli depuis ce moment de confiance, il tra-
» vailla à l’exécution de fes defleins, & ayant atta-
* qué l ’ennemi aux portes de Rome , il remporta la
» viftoire > Maxence étant tombé dans le fleuve, &
»> s’étant noyé ; il étoit dans la feptieme année de
» fon regne, lorfqu’il triompha de Maxence »,
Sozomene autre hiftorien eccléfiaftique , n’a pas
oublié le même fait ; mais il le raconte différemment,
hift. eccléf. L. /. c. iij. en citant en même tems le récit
d’Eufebe : « Conftantin, dit i l , ayant réfolu de
» faire la guerre à Maxence , fongea de qui il pour-
» roit implorer la proteéiion. Tout occupé de fes
» penfées, il vit en fonge la croix dans le ciel toute
» refplendiflante , evap t/«Tt to t ou d-avpoo n>f*usv tv tb
» oupu.ru o-tXcLytÇov : étonné de cette apparition, les
» anges qui l’environnerent, lui dirent : Conftan-
» tin, remportez la viéloire par ce figne ; S Km^uv-
» Tivt tv tout« vota. On dit même que Jefiis-Ghrift
» lui apparut, & que lui ayant montré l’étendart de
» la croix, il lui commanda d’en faire faire un fem-
» blable , & de fis s’en fervir dans les combats pour
» vaincre fes ennemis ».
Philoftorge qui a écrit une hiftoire eccléfiaftique
fous Théodofe le jeune, dont Photius nous a con-
fervé l’extrait, parle aufli, /. I . c. vj. de l’ apparition
du figne célefte, & la raconte autrement. Il dit que
Conftantin vit le figne de la croix vers l’Orient, &
que ce figne étoit formé d ’un tiflii de lumière fort
étendu , & accompagné d’une multitude d’étoiles
arrangées de façon qu’elles traçoient en langue la
fine ces paroles : Vainque£ par ce figne , eV tout«
ma.
Nicéphore Gallifte, hift. eccUf. i. V II I . c. iij. a ,
copié à fa maniéré Philoftorge en partie, & pour le
refte Socrate prefque mot à mot. 11 renchérit néanmoins
fur les autres hiftoriens, & multiplie les merveilles
; car outre la première apparition, Conftan-
tm, fi on l’en croit, en a en deux autres encore.
Dans l’une il vit les étoiles arrangées de façon qu’elles
formoient ces mots : EaBtuctM./rat put tv hfipa § \ loy
, Kai t ^tXvfÀai « , xai «f'o£«<rt*ç jxt i « Invoquent
moi au jour de tadètrejfe , je t'en délivrerai, & tu me
» glorifieras». Frappé d’étonnement, il leva encore
les yeux au c ie l, & il vit de nouveau la croix formée
par des étoiles, & une infeription autour, en
Ces termes t Ev roula ru <r»ut/« 'Bclvlaç vixtiotiç rttç ore-
faf*iovç ; Par ce figne tu vaincras tous tes ennemis ; ce
qmlui rappella d’abord ce qui lui étoit arrivé aupa-
ravant. Le lendemain il fit fonner la charge, & livra
bataille aux Byzantins, qu’il vainquit heureufe-
*9ent , & fe rendit maître de leur v i lle , ayant fait
^0pi?r !’étendart de k cr° l x dans le combat.
^notais, bibl. cod.zSÇ. nous a confervé le témoignage
d’un feptieme écrivain, qui n'a rien dit de par-
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tictihèf, finort que Conftaritin enrichit dé pierreries
la croix qui lui etoit apparue, & la fit porter devant
lui dans le combat contre Maxence.
La narration de Laâance , de mortib. perfec. c. x liv.
eft plus étendue que celle de fes prédéceflèurs, & en
différé en plufieurs points, ■ ireft d ït, par exemple,
que Conftantin averti en fonge de mettre-fur les boucliers
de fes foldats la divine image de la cro ix, &
dé livrer bataille , exécuta ce qui lui étoit preferit,
& fit entrelacer la lettre X dans le monogramme dé
Chrifius, pour être marquée fur tous les boucliers.
Maxence fut battu, trouva le pont rompu, & fe trouvant
preffé par la multitude des fuyards, il tomba
dans le T ibre, & s’ y noya.
Je ne fais fi l’on doit mettre aù rang des témoins i
Arthemius à-qui Julien fit trancher la tête, & à qui
Métaphrafte & Surius (fi.tr le ao Oélobre ) font
dire que le figne de la croix étôit plus brillant que
les rayons du foleil; que les ca radier es étoient dorés,
& indiquoient la vi&oire.; aflurant qu’il a été témoin
oculaire de cette merveille; qu’il a lu les lettres, Sc
que toute l’armée a vu cet étonnant prodige.
Après avoir rapporté les témoignages des hifto*
riens, il s’agit de;les pefe’r ; fur quoi l’on doit préalablement
obferver deux chofes. I. Qu’on ne produit
d’autres témoins que des chrétiens, dont la dépofition
peut êtrefufpedle dans ce cas. II. Que ces témoins ne
font nullement d’accord entr’e u x , & qu’ils rapportent
même des chofes.oppoféçs.
I. On ne produit d’autres témoins que des chré*
tiens, dont la dépofition peut être fufpedte dans ce
ca s , parce qu’il s’agit d’un fait qui fait honneur à
leur religion, & qui en prouve la divinité. Si ce merveilleux
phénomène a été vu , non-feulement de
Conftantin & de fes amis, mais de toute fon armée *
d’oû vient qu’aucun auteur païen n’en a fait men--
tion ? Que Zozime n’en eût rien dit, il ne faudroit
pas en être furpris, cet écrivain ayant quelquefois
pris à tâche de diminuer la gloire de Conftantin.
Mais comment n’en trouve-t-on pas le mot dans le
panégyrique de Conftantin ^prononcé en fe préfence
à Treves-; lorfqu’après-avoir vaincu Maxence, il ref
tourna dans les Gaules & fur le Rhin ? L’auteur de
ce panégyrique parle en termes magnifiques de toute
la guerre contre Maxence, & garde en même tems
un profond filence fur la vifion dont il s’agit : ce filen-
ce eft fort étrange!
Nazaireautre rhéteur, qui dafts fon jpanégyrique,’
parle fi éloquemment de la guerre contre Maxence,
de la clémence dont Conftantin ufa après la vi&oire,
& de la délivrance de Rome, ne dit rien de la vifion
que toute l’armée doit avoir vu e , tandis qu’il rap*
porte que par toutes les Gaules on avoit vu des armées
celeftes, qui prétendoient être enyoyées pour
fecourir Conftantin.
Non-feulement cette vifion furprenante a été in*
connue aux auteurs païens, mais à trois écrivains
chrétiens contemporains de Conftantin , & qui
avoient la plus belle occafion d’en parler. Le premier
eft Publius Optatianus Porphyre, poëte chrétien,
qui publia un panégyrique de Conftantin en vers latins
, dans lequel il fait mention plus d’une fois du
monogramme de Chrift, qu’il appelle le figne célefte ;
mais l’apparition de la croix au ciel lui eft inconnue;
La&ance eft le fécond, & fon témoignage eft recom-
mendable par toutes fortes, tant à caufe de la pureté
de fes moeurs, de fon érudition, & de fon éloquenc
e , qu’à caufe qu’il a été. parfaitement inftruit de
tout ce qui regarde Conftantin, ayant été précepteur
de Crifpus fils de cet empereur. Dans fon Traité
de la mort des perfécutcurs, qu’il écrivit vers l’an. 3 14 ,
deux ans après l’apparition dont il s’agit, il n’en fait
aucune mention. Il rapporte feulement que Conftantin
fut averti en fonge de mettre fur les boucliers de