la base des hauteurs septentrionales qui en bordent le cours et lui forment
une vallée jusqu’à mille mètres environ de son embouchure. Le
terrain, excellent, consistait en terres de labour, dont on avait ensemencé
plusieurs arpens, qui promettaient une abondante récolte. Je voulais
visiter des cascades dont on m’avait beaucoup vanté la beauté, et qui
tombent le long d’un rempart très-escarpé, au pied duquel circule la
rivière profondément encaissée. Nous avions aperçu la plus considérable
de ces cascades, qui est en même temps la plus voisine de la mer, du
point culminant de Sphactérie, quand nous l’escaladâmes pour en
prendre la hauteur barométrique. De ce point, c’est-à-dire à plus de
6000 mètres de distance, elle nous avait paru comme un ruban de soie
blanche qui se déroule sur un tapis de couleur sombre; quand nous fûmes
parvenus au lieu même ou elle se précipitait perpendiculairement tout
en se brisant contre des pointes saillantes d’un mur gigantesque composé
par des assises calcaires, nous la trouvâmes comparable, pour le volume
de ses eaux écumeuses, à plusieurs de celles à l’aspect desquelles on
s’émerveille dans les plus beaux pays de montagnes, et qu’on se plaît
à représenter dans les paysages de Suisse ou des Pyrénées. Mais en été
elle est moins abondante, et quelquefois, nous a-t-on dit, elle ne consiste
plus qu’en ruisselets. Quand nous vînmes l’admirer, elle s’échappait
d’une fissure en forme de Y, ouverte dans la crête du rempart, oii
croissait un Platane séculaire, entre les puissantes racines duquel bouillonnaient
des globes d’écume. La Grèce, dans ses temps poétiques, n’eût
pas manqué d’y supposer le séjour de quelque nymphe, épanchant le
liquide azur et les perles roulantes de son urne cachée au sein du vieil
arbre vaste et creux. La végétation la plus vigoureuse parait du faîte à
% ont établi la prise des aqueducs qui transportent ses eaux à Navarin. Il est probable qu’ils em-
« ployèrent, pour construire cet hydragogue, les pierres des remparts de la divine Pylos, et qu’ils
« nous ont ainsi privés d’une construction çyclopéenne des plus anciennes du Péloponnèse.»
Pyla, et non Pylos, est à plus d’une lieue de la prise d’eau que prétend désigner M. de Pou-
qseville, et qui n’a jamais eu aucun rapport avec ce village. Un hydragogue est, selon l’Académie,
un terme d’apothicaire, qui ne saurait être, en bon français, synonyme d’aquéduc. L’aqueduc de
Navarin qui vient du plateau de Koubeb et non de Pyla, n’est point bâti en grosses pierres arrachées
de quelques' constructions cyclopcennes; il est bâti de moellons à la manière vénitienne:
en un mot, il n’est pas dans ee passage une assertion qui ne 'soit une erreur, une phrase qui
ne donne une fausse idée.
la base de l’escarpement les moindres corniches de rocher. La cascade,
dont les humides exhalaisons entretenaient tant de feuillage, est le tribut
qu’apportent à la Djalova deux torrens venant du plateau de Koubeh
et réunis au village de Koukoumara, pour ne plus former qu’un canal
jusqu’à la chute de leurs eaux, qui se déployaient en trois nappes successives;
l’inférieure n’avait guère moins de quarante à cinquante pieds :
elle alimentait en bouillonnant un bassin arrondi fort creux, d’où s’élevait
une fraîche vapeur. Lé bruit continu de la chute était assez fort
pour que dans son voisinage il fût nécessaire de crier pour s’entre-com-
prendre. Le pourtour des petits réservoirs et ressauts d’où rejaillissaient
les eaux précipitées eût été, dans les sites semblables de tout autre
pays chaud, paré de nombreuses espèces de Mousses et de Fougères;
il n’y en existait pas une seule espèce. Au lieu de Lianes, c’étaient simplement
des Ronces et des Clématites vulgames avec des Pampres sauvages,
qui formaient les festons de verdure suspendus aux masses de
rochers confusément éboulées ou entrelacées parmi les branchages de
quelques arbres communs dans le reste de l’Europe.
Trois ou quatre familles de pâtres s’étaient établies dans ce pittoresque
séjour; elles y habitaient, sur un petit plateau situé contre le joli bassin
circulaire dont il vient d’être parlé, de fragiles baraques, faites en Roseaux
cueillis dans la région de Zonkio; des vaches, des brebis et des chèvres,
dont les mamelles distendues semblaient prêtes à rompre, composaient,
avec quelques poules, les richesses de ces bonnes gens, qui, chaque
matin, allaient vendre du laitage et des oeufs au marché de Navarin.
A leurs vêtemens nous présumâmes que tous vivaient dans une sorte
d’aisance, et les petits enfans même ne nous demandèrent pas l’aumône;
c’étaient encore des Karitheniotes. Nous vîmes là trois jeunes femmes qui
partout eussent été réputées singulièrement belles, et dont le profil présentait
les caractères rectilignes des meilleurs types de l’antiquité. Leur
tête eût pu servir de modèle pour un tableau représentant le jugement
de Pâris ; mais ce dont une raisonnable quantité est indispensable au
beau sexe pour compléter sa perfection, était chez elles, quoique assez
voluptueusement arrondi, et se soutenant encore passablement en son
lieu, d’un tel volume que la forme de mon chapeau n’eût point suffi pour
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