et plus d’un capitaine de nos jours se les propose pour modèle. Lorsque
je conduirai le lecteur chez le célèbre Colokotroni, je donnerai quelques
détails sur ces klephtes modernes, qui prétendent être les imitateurs
des forts de la Grèce héroïque, comme je dirai ingénument ce que sont
les palikars, lorsque sur les ruines-d’Eleusis je visiterai dans son camp
Yaso, l’un de leurs plûs dignes chefs; je dois;aujourd’hui me borner
à décrire Sapience, à relever les erreurs singulières dans lesquelles on
est tombé au sujet de cette rocailleuse solitude, à collecter ses productions
naturelles, à mesurer la hauteur de son plus grand pic, à
prendre enfin sur sa rive le dîner de héros ou de voleur que nous ÿ
faisait préparer le préfet de Messénie.
On vient de voir que Sapience, qui est la plus grande des OEnuses de
l’antiquité, est aussi la seule de ces îles qui porte des traces certaines d’un
établissement des hommes avec les ruines de son château ; la privation
d’eau en a chassé les habitans, et quand il y existerait des sources,
comme il s’y trouve à peine en quelques endroits de la terre végétale
capable de lier les rochers dont elle est un amas, on n’en pourra jamais
obtenir assez de ressources agricoles pour nourrir seulement une population
de vingt familles. C’est pourtant cette île de Sapience sur laquelle
des personnes sachant lire et écrire, puisqu’elles ont fait des livres, et
qui rêvaient la résurrection de l’ordre de^Malte, jetèrent dernièrement
leur dévolu, pour établir la capitale d’un nouveau grand-maître; il est
vrai que c’était en attendant mieux. Je lis daiis un ouvrage où ce sujet
est traité gravement1, le passage suivant, qui prouve à quel point
ceux qui s’entremirent dans une telle affaire, connaissaient peu ce dont
ils parlaient; c’est l’ordre souverain lui-même qui, sous ïautorité de
notre Saint-Père le Pape, s’adresse à ses agens ou commissaires près
du gouvernement grec. « Ce qui importe le plus à l’ordre, est-il dit dans
« une de ses notes officielles,. c’est Ravoir d’abord un chef-lieu en
« propre, quel qu’il soit; car, dès qu’il aura planté son pavillon
« dans une île ou sur un rocher, la France lui rendra vingt-neuf
i . Mémoires historiques et militaires sur les événemens de la Grèce, jusqu’au combat de Navarin j c
Paris, 1828, chez Brissot-Thivars.
* millions de biens non vendus, la Belgique seize, la Sardaigne huit
« environ, d’après l’assurance qui vient d’en être donnée à notre
« commissaire M***. C’est pourquoi il faut tenir essentiellement à
« se faire céder de suite les îles Sapienza, composées de trois îlots,
« dans lesquels se trouvent deux bons ports. Le rocher du milieu, ap-
« pelé l’Ile Yerte, peut servir pour un lazareth. * Et plus loin on lit1:
« Il faudra non-seulement se procurer tous les détails qui concernent
« les îles susdites de Sapienza, mais encore y aller en personne, et
« prendre note du climat, de la nature du terrain, de sa fertilité,
« des grains et denrées qu’on y récolte, de la qualité des eaux, des
« pluies et des vents qui y régnent, de la position des villages, du
«, nombre de leurs habitans, de leur naturel, du commerce, et des rap-
« ports qu’ils ont avec la Morée et les étrangers, etc.’' Enfin, les régénérateurs
de la chevalerie dans l’Orient comptent, quelques pages après,
pour fournir aux premiers frais de leur établissement dans les îles de
Sapienza, sur le revenu que donnent les douanes du petit archipel. Il
fallait que l’appât d’un emprunt de plusieurs millions qu’on cherchait
à négocier sur de pareilles bases, et dont on promettait une part au
gouvernement grec d’alors, tentât beaucoup celui-ci, puisqu’on voit
l’un de ses ministres entrer en pourparlers avec les auteurs d’un plan,
où les habitans, les villages3 ët les douanes des îles Sapienza sont mis
en ligne de compte.
Si le choix de Sapience pour chef-lieu d’un empire chevaleresque est une
idée véritablement^bouffonne, la possession de cette île par l’Angleterre
serait une chose très-sérieuse, et à laquelle les cabinets d’Europe paraîtraient
avoir tacitement consenti sans en connaître le danger. Quand
des nécessiteux qui voulaient extorquer de-#argent à cette espèce de
dupes avides qui se jettent si légèrement dans tous les emprunts publics,
donnaient une importancë illusoire à des rochers, les cabinets
de l’Europe ignoraient sans doute que ces rochers existent et qu’ils
ont lefir importance réelle. Depuis qu’en se faisant adjuger l’archipel
Ionien, la Grande-Bretagne a stipulé que toute île située sur les côtes
1. T. I.w, p. 2i 3.
1. H