couronné d’une esplanade herbeuse. A son extrémité étaient les sou-
bassemens d’une construction dont on ne peut assigner l’âge, mais qu’à
sa position on juge avoir dû être une tour de garde. Cette petite
esplanade est bornée au nord par une seconde ceinture de rochers
coupés en murs, au pied de laquelle sont quelques grottes peu profondes.
Nous trouvâmes établi dans l’une d’elles un chevrier, dont le
petit troupeau escaladait l’escarpement avec une singulière agilité, et
grimpait de corniches en corniches. Des Momordiques, des Mauves
et de l’Avoine sauvage croissaient en quantité aux approches de ces
sortes d’étables naturels. Au pied du prolongement des rochers où
sont ces grottes et qui forme la falaise de la côte, existe une crique
profonde; la mer ne pénètre dans ce petit port, très-propre à recéler
des pirates, que par une étroite ouverture; son fond est rempli de
sable formant une plage commode, circonscrite, en manière d’hémicycle,
par un mur naturel. Le point culminant de l’Antipylos n’a guère
que cinquante-huit mètres d’élévation, tandis que la cime du Vieux-
Navarin atteint à deux cent trois; ses pentes septentrionales, qui sont
les plus étendues, se composaient de terres labourables abandonnées.
Après avoir traversé, en marchant toujours vers le nord, l’espace sablonneux
appelé plage de Leptor, où -nous venons de reconnaître que
dût être la quatrième passe de la baie de Navarin quand celle-ci n’avait
pas diminué de la moitié, nous remontâmes la dernière série des rochers
analogues à Sphactérie, à Pylos et à l’Antipylos.; nous poussâmes notre
reconnaissance jusqu’à l’embouchure du Roumano, petit fleuve qu’on
a pris quelque part pour un village et qui circule à la racine même
des pentes où se voyaient les ruines d’flassan-Aga ; ces pentes sont celles
qui bornent septentrionalement la plaine d’attérissement que les charois
de plusieurs autres faibles cours d’eau ont déposé au fond de la baie. Le
Roumano, qui s’y jetait autrefois directement, s’est fait jour à travers
les pentes expirantes des rochers qui régnent le long de la. côte. Nous le
trouvâmes encore assez fourni d’eau ; mais en été il demeure à peu près
à sec. Au pied des hauteurs étaient d’autres grottes qu’habitaient quelques
malheureux restes de la population des villages de Leukos et de
Pétrokhori, dont nous avions trouvé dans la matinée les emplacemens
déserts et les murs abattus; le dernier comptait quinze feux avant l’expédition
d’Ibrahim ; quant à Leukos ou Lesko, il n’en existait guère que
les traces d’un four, et l’on nous assura qu’un tremblement de terre,
dont les secousses avaient naguères fait rouler de grosses pierres du sommet
de Pylos, avait aussi causé des ravages jusque dans la plaine et
bouleversé le hameau dont à peine il restait quelques décombres.
Des chèvres et des brebis, échappées aux derniers pillages de l’armée
arabe, nourrissaient de leur lait ces pauvres gens, parmi lesquels nous
rencontrâmes encore une femme sans langue (pag. 110) avec une fille
d’environ dix-sept ans, qui, ayant été esclave des Musulmans, parvint à
s’échapper de leurs mains au moment où on l’embarquait pour l’Egypte.
« Etant revenue au lieu de ma naissance, nous dit-elle, je n’y trouvai
« plus que les ossemens de mes parens, dispersés entre les murs écroulés
« de leur maison. * Elle avait d’abord pris la fuite à notre aspect, ainsi
que l’ont toujours fait par la suite les Grecques que nous avons rencontrées
seules dans les campagnes, où la vue d’un étranger était devenue
une cause d’eflroi; mais une vieille paysanne qui ne s’imaginait pas avoir
les mêmes risques à courir, s’était montrée plus aguerrie; l’ayant appelée
et déterminée à revenir vers nous, sa beauté nous frappa; elle se nommait
Hélène; son profil était empreint du caractère antique le plus pur;
mais son teint était fort basané : on eût pu la prendre pour une Indoue,
si ses cheveux n’eussent été très-fins et gracieusement bouclés.
Je n’ai presque jamais quitté, durant mon séjour en Morée, des
conserves, dont les verres, de couleur, étaient garnis de manière à ce
que le trop grand éclat du jour ne me pût fatiguer la vue. Beaucoup
de maux de tête, tellement violens qu’ils peuvent dégénérer en congestions
cérébrales, proviennent dans les pays chauds, où le soleil ne se
voile que fort rarement, de l’intensité d’une lumière trop vivement
dardée, et particulièrement de celle que réfléchissent, de bas en haut,
les rochers dépouillés et brûlans, la terre aride et desséchée ou l’éblouissante
blancheur du sable. Rien n’est aussi incommode ni plus dangereux
que cette réverbération, de laquelle l’oeil violemment irrité s’endolorit
bientôt et semble gonfler dans son orbite, où l’on dirait qu’il acquiert
du poids; on croit éprouver qu’il se dessèche en se tuméfiant. Tous les