avaient point abandonnés, s’étaient logés dans leurs maisons; ainsi la
Commission scientifique s’y trouva entièrement réunie; accompagné de
M. Lenormand je fus rendre visite à mes collègues, tandis que sur l’un
des degrés de la pente du mont Yourcano on établissait notre camp contre
les ruines d’une chapelle. Les antiquaires et les architectes. rendus sur
les lieux depuis plusieurs jours, y avaient déjà fait de nombreuses
fouilles; mais les moissons hautes et l’épaissenr d’une végétation printanière
des plus riche, couvrant le vallon dans presque toute son étendue,
dérobaient à leurs recherches la plus grande partie des objets qu’ils
venaient interroger; ainsi le grand nombre de plantes rares qui, dans
ces lieux chéris de Flore, faisaient la joie de Panaget, désespérait mes
autres collègues.
La journée avait été fatigante, mais nous avions tenu à nous trouver
dans un lieu peuplé à l’expiration du carême des Grecs, voulant assister
aux fêtes qui le terminent et qui devaient commencer dans la matinée
du dimanche 26 Avril.
Les Moréotes sont peut-être de tous les chrétiens ceux qui observent
le plus étroitement les rigueurs souvent un peu antihygiéniques et
nuisibles à la santé, qu’impose notre sainte et infaillible religion1 : ils
sont exacts à jeûner aux époques prescrites, aucune considération ne
les saurait décider à manger gras quand ils doivent manger du maigre;
ils gardent plusieurs carêmes, dont celui que termine la Pâques est le
plus long et le plus sévère. Sur les 365 jours de l’année, ils en ont
jusqu’à 182 d’abstinence, durant lesquels la très-petite quantité d’alimens
qu’ils sont autorisés à prendre est strictement désignée; on peut dire;
sans exagération, que les pauvres Grecs que nous rencontrions ou auxquels
nous avions affaire, étaient au vert depuis quarante jours comme
on y met les chevaux au printemps. Ils vivaient de Mauves, de pousses
d’Orties et d’Asperges sauvages qu’ils faisaient bouillir, ou de moelle et
de têtes de Chardons, de bulbes d’Hyacinthes, d’Ail et d’Oignons crus,
qu’à peine ils assaisonnaient avec quelques grains de sel‘; ils y ajoutaient
■. Voir pour de plus amples détails sur les quatre carêmes des Grecs et leurs jours de jeûne,
ainsi que sur leurs cérémonies religieuses, la troisième lettre du tome I." du Voyage de Tournefort
dans le Levant, Rien n’est changé à ce que notre savant devancier en rapporte.
tout au plus un peu d’huile en manière de sauce. Le poisson leur était
interdit; les oeufs ne leur étaient tolérés que certains dimanches, et le
vendredi saint avant l’heure de la résurrection, il n’en est pas un qui,
eût-il été à l’instant de succomber à de trop longues privations, eût osé
prendre un aliment quelconque. Les restes de nos repas demeuraient
perdus; pas un de nos guides ou de nos muletiers n’en voulut jamais
accepter quoi que ce fût, et tel mendiant qui tendait la main pour solliciter
un para, refusait un morceau de perdrix ou de mouton qu’on
lui offrait, en disant : «Je n’en puis manger, je suis chrétien.” Ces
bonnes gens nous croyaient de véritables païens, parce que nous faisions
bonne chère: durant les petits carêmes qu’ils gardent en divers temps
de l’année, ou bien le vendredi et le samedi, ils sont moins gênés, le
poisson frais ou salé, les poulpes, les coquillages, les kavouris et les
oeufs leur étant permis; mais dès quinze jours avant la fin du grand
carême à peine leur passe-t-on le laitage; «rien de ce qui a vie ne
« devant entrer dans le corps. 1 Ce sont les propres expressions de la
défense sacrée; aussi quelle joie gloutonne quand dès minuit chacun se
prenant par la main droite et passant sa gauche sur l’épaule du premier
venu, l’embrasse par trois fois, en disant : «Oui, je vous le dis,
« Jésus est ressuscité;” c’est la formule que l’on emploie durant le reste
du jour quand on se rencontre. On croit avoir remarqué que, par suite
d’une interprétation exagérée de la formule qui prescrit l’abstinence de
toute chair, les sept huitièmes des naissances ont lieu chez les Grecs
neuf mois précisément après Pâques où l’usage de la chair redevient
licite : quoi qu’il en soit, chaque famille s’est dès la veille procuré un
mouton gras, qu’on tue à la pointe du jour, et qu’on met aussitôt à la
broche. Lorsque nous sortîmes de nos tèntes le 26 au matin, il nfy
avait pas une seule maison dans Mavromati contre le mur de laquelle
on ne vît un grand feu oii se rôtissait la principale pièce du festin,
préparée comme celle de notre repas de Sapience (p. 79).
Un papas parcourait le village en faisant sonner une petite clochette;
il eut bientôt réuni tous ceux des habitans qui n’étaient point occupés
à faire rôtir des moutons; à travers la fumée de tant de cuisines en plein
vent et d’une odeur de graisse brûlée, nous vîmes monter processionnel