le golfe de Coron; à une lieue de distance environ, après l’avoir traversée,
on voit une fontaine avec des bassins détruits en haine des
anciens dominateurs du pays, qui les avaient, dit-on, construits pour
y faire leurs ablutions. Nous voyagions dans cette étendue de terrain
qui, vue de la cime d’Itbome, nous avait paru composée d’un amas de
monticules semblables à des taupinières confusément rapprochées sur
une pente générale adoucie. Nous y marchâmes effectivement entre
une multitude de cônes ou mamelons de toute grandeur, formés d’une
terre meuble, de couleur ferrugineuse, et dans laquelle abondaient des
concrétions verticalement implantées, dont les formes étaient si bien
celles de certaines racines potagères, que les anciens oryctographes
n’eussent pas manqué d’y voir des Panais, des Carottes ou des Salsifis
pétrifiés. On nous avait promis une grande inscription et des sculptures
peintes à la surface d’un gros rocher que nous fûmes visiter en nous
détournant de la route sur la droite : nous n’y trouvâmes qu’une grosse
pierre, dont la surface accidentée comme par des représentations topo-
graphiques, était entièrement colorée en brun, en noir et en jaune par
des Lichens léproïdes. Nous traversâmes ensuite deux grands ravins, qui
se réunissent pour se jeter en commun dans le Typhlopotami qui passe
près du village de Philippaki avant de tomber dans la mer; et ayant
laissé à gauche les villages de Kato-Dalakli et de Mamési, nous arrivâmes
sur une plaine verdoyante couverte d’un foin tendre comme d’un tapis,
partout oit des bouquets d’Alaternes, de Myrtes et autres beaux arbustes
ne couvraient pas entièrement le sol. Nous y fûmes assaillis par un grand
troupeau de bêtes à cornes, et connûmes par cette rencontre ,que l’armée
d’Ibrahim n’en avait cependant point entièrement exterminé la race; il
y avait en ce lieu, qu’on me dit s’appeler Typhlorevma, une source des
plus remarquables ou je me sois jamais désaltéré; son eau, d’une admirable
limpidité, remplissait un grand bassin carré, que verdissaient des
touffes de Renoncules, de Potamots et de plusieurs autres Nayades végétales,
avec des nuages de Conferves. Une pauvre chapelle en était voisine;
à quelques pas plus loin coulait, entre des arbres et des buissons, un
premier bras de cette Yélica que nous devions traverser le lendemain, et
qui tombe aussi dans le golfe de Messénie. De l’autre côté, le pays était
également uni, fertile, couvert de prés, de Trèfles et de cultures; une
seconde chapelle, ombragée de Lentisques, d’Alatemes et d’Oliviers sau-
vages, y devint le site de notre camp, que nous ne levâmes qu’assez tard
le lendemain, parce que les environs fournissaient d’abondantes récoltes
en botanique et en entomologie. Le village voisin se nommait Logi ou
Loki : une quinzaine de maisons, dont il fut composé, dépendaient
d’un château consistant en une grosse tour carrée qui, avant la guerre,
était le manoir d’un seigneur turc opulent; qui avait été certainement
l’un des mieux partagés entre tous les Musulmans de la Morée, ce
canton écarté, que nul voyageur n’avait encore parcouru, étant des
plus rians, des plus fertiles et le mieux arrosés qu’il soit possible de
s’imaginer. Le délicieux vallon de la rivière le long de laquelle il nous
fallut descendre dans la matinée du 4, en faisant un crochet sur notre
gauche, se creuse de plus en plus et à mesure que nous nous rapprochions
de la mer pour venir chercher un pont de pierres, dont l’arche
est d’une hauteur véritablement imposante; lorsqu’on a passé celui-ci,
on gravit par une pente rapide et dans un bois où je vis enfin quelques
Lichens foliacés; je n’en avais point encore trouvé une seule espèce
on arrive alors sur un plateau assez aride, à l’extrémité duquel on passe
auprès du village de Deraz, où l’on arrive dans le versant du Skarias,
autre fluviole qui arrose une campagne charmante. A la belle végétation
qui parait ses abords, aux prairies naturelles qu’on y foulait, et sous
l’ombre des arbres élancés dont ses eaux baignaient les racines, on s’y fût
cru, s’il y avait eu d’élégantes maisons de campagne, au fond de notre
jolie vallée de Bièvre; il s’encaisse tout à coup près du lieu où nous le
dûmes passer; nous commençâmes alors à monter vers la forêt deKoubeh,
qui s’étend jusque sur les interminables pentes souvent très-rapides, de ce
qu’on nomme le Katzovouno. Au faîte de cette montagne on est rendu
sur un plateau bien bois#, et peu après on arrive au kan d’Arnautali, où
nous fîmes halte. Il n’existait pas même de masure en cet endroit, celle
qu’on y avait construite, dit-on, sous la domination vénitienne, ayant
été des long-temps renversée de fond en comble; une hutte formée de
branchages, couverte de toisons et de toiles goudronnées, était le seul
abri quon y trouvât, avec quelques comestibles et de mauvais vin.