Parvenus, après avoir beaucoup louvoyé, à l’extrémité delà Calabre
ultérieure, qu’on appelle la pointe dans les traités de géographie pü
l’Italie se compare à une botte, le profil des montagnes me présenta
des rochers d’une forme bizarre. Ces rochers étaient comme d’immenses
piliers épars, debout autour d’une masse cylindrique encore plus
grande et, de même que les autres, tronquée au sommet. On distinguait
parfaitement les coucheæçpn assises- horizontales dont ils étaient composés
, et qui correspondaient à celles des montones voisines, toutes
calcaires : ils en avaient été détachés évidemment, mais sans avoir été
renversés. Je les suppose ainsi disposés depuis une époque moderne,
peut-être ne datent-ils que du tremblement de terre dont il a été parlé
plus haut. S’ils eussent existé avant cette catastrophe, quelque voyageur
les eût signalés, et l’antiquité n’eût pas manqué d’y reconnaître
le théâtre des malheurs de Niobé, changée en pierre au milieu de sa
famille assassinée par le dieu du jour. Ce tragique événement ne peut
s’être passé sur le mont Panthétique, où, quoi qu’on en dise comme
par habitude, on ne saurait reconnaître aucun bloc de marbre qui ressemble
le moins du monde à cette mère en larmes, entourée de ses
nombreux enfans percés de flèches.
En nous éloignant du dernier cap de Calabre, pour courir un dernier
bord dans le détroit vers le sud-ouest, nous nous rapprochions des
bases de l’Etna, et nous espérions voir ce volcan comme no fis avions
vu Stromboli; mais le ciel, qui avait été pur, durant toute la journée,
se couvrit diépaisses nuees bien avant la chute du jour, et la Sicile
disparut au milieu de brumes épaisses et humides ; la température
s’abaissa par un vent aigre, elle devint même très-froide; le roulis étant
fatigant, force nous fut de descendre dans l’entrepont, sans avoir pu
admirer le plus élevé des'volcans d’Europe, „et le mal de mer vint
tourmenter de nouveau ceux dés passagers qui ne pouvaient s’habituer
au désagréable mouvement du navire. Yers la pointe du jfùir, ,fe 28,
on se trouvait par le quatorzième degré et demi à l’orient de Paris;
un vent furieux du nord-ouest s’éleva et nous mit dans la nécessité de
diminuer la voilure ; la pluie tombait par torrens, les vagues se heurtaient
et roulaient les unes sur les autres avec fracas; chacun demeura
tristement étendu sur son cadre ; cependant la frégate gagnait du chemin.
La nuit fut affreuse dans l’étendue du mot; je ne me souviens point
d’avoir été si violemment et si désagréablement secoué depuis une tempête
que j’éprouvai par le travers du canal de Mozambique en 1801,
lorsque je naviguais sur l’hémisphère austral.
Dans ce parage d’une autre moitié du globe les vents du nord sont redoutables
, parce qu’ils acquièrent plus de violence en passant entre les
parois rétrécies du canal formé par l’Afrique et Madagascar. La situation
où nous étions sur la Méditerranée, entre®les seizième et dix-septième
degrés de longitude, était analogue : nous éprouvions l’influenee
d’un vent qui, venant de l’Adriatique et passant a «travers le canal
d’Otrante, comme celui d’un soufflet sort de son tube rétréci, exerçait
sa violence accrue dans la ligne que nous coupions en portant le cap
au sud-est. Le temps demeura tout aussi mauvais pendant la journée
du l . er Mars, qui se trouvait être le dimanche gras; nous courûmes
risque-de passer celle-ci bien chaudement, le mousse charge dentretenir.
une lanterne fixée au bas de l’escalier contre la cloison qui séparait
ma niche de la chambre du capitaine, y ayant mis maladroitement le
feu pendant la nuit; je m’en aperçus aussitôt, j’avertis un pilotin de
quart, qui me pria de ne pas réveiller mes voisins, assurant qu’à l’aide
de quelques seaux d’eau que le coupable se hâterait d’apporter, l’accident
n’aurait pas de suite. * Quand nous n’en viendrions pas à bout
« tout à l’instant, ajouta-t-il, la frégate ne pourrait jamais brûler par
« la pluie qui tombe. ” Cette raison ne m’eût point déterminé à garder
le silence, si les efforts de deux ou trois matelots qui s’étaient joints an
mousse et au pSotin, ne fussent assez promptement venus à bout d’arrêter
l’incendie. Tout se fit sans bruit, car les travailleurs paraissaient
redouter plus que la flamme le réveil du commandant, et surtout celui
de son lieutenant; ni l’un ni l’autre, je erois, n’en ont rien su.
To«t engouffrant beaucoup, nos voyageurs se réjouissaient à l’idée
que, filant neuf à dix noeuds, on ne tarderait'ipoint-à découvrir les
côtes de Grèce : en effet, la pluie ayant cessé et le ciel s’étant éclairci
vers midi dans la journée du 2, Zante frappa nos regards; nous étions
tout près des rochers appelés îles Striliva, les antiques Strophades.