que, lors de l’échauffourée d’Orloff en 1770 (p. 125), un officier russe,
fait prisonnier par les Turcs, se prosterna quand on lui coupa le cou;
« depuis ce temps, nous dirent nos guides, ce trou qui vous paraît bien
« peu de chose, où il n’y a, comme vous voyez, place que pour deux
« genoux, s’est miraculeusement conservé; ni le temps, ni les pluies
« n’ont pu l’effacer ; tout le monde le connaît et fait le signe de la croix
„ en passant. La tête tomba ici. Des fidèles l’avaient pieusement inhumée
« dans cette même chapelle, contre laquelle vous venez de voir les osse-,
jH mens de nos frères. * -
Nous laissâmes le Manglava sur la droite; entre cette montagne et
l’extrémité méridionale de la chaîne Gérénienne est un plateau ou large
col couvert d’arbres, parmi lesquels les Poiriers sauvages se faisaient
remarquer par leur blanche floraison, et d’où naissent les divers aflluens
du Roumano et de l’étang d’Osman-Aga, que nous avions dernièrement
traversés vers leur embouchure. Ce sont des torrens profondément
encaissés, remplis de futaies, interceptant des plateaux buissonneux ou
boisés, sur l’un desquels nous coupâmes l’une des routes qu’on nous dit
aller du Yieùx-Nàvarin et des bords de sa baie à Androussa. Peu après
nous descendîmes dans l’encaissement du Roumano, aune bonne lieue
au-dessous de Skarmina, village de 28 familles, où l’on.nous dit que le
vallon s’élargissait un peu et offrait d’assez belles cultures. Le fleuye
vient du nord; il naît des racines orientales de l’Hagia-Yarvara dans un
petit bassin environné de rochers et de pentes brusques, qui paraît
avoir été un ancien lac, dont les eàux s’échappent maintenant par une
cassure fort étroite. Le Roumano tourne brusquement à l’ouest vers
l’endroit où nous y descendîmes; une chapelle était pratiquée contre sa
paroi de gauche, moitié creusée dans le rempart de l’escarpement, moitié
suspendue sur des précipices; la plus grande partie de sa toiture se
composait d’assises de Poudingue qui s’avancaient en corniche; les
puissantes racines et le feuillage épais d’un arbre séculaire en couvraient
le reste. L’autre côté du fleuve, dont il nous fallut remonter diagonale-
ment l’escarpement, était très-ombragé et fort boueux, des suintemens
d’eau s’y faisant jour en une multitude d’endroits; la botanique s’y
montrait d’une grande richesse. Pour arriver à Ligoudista, nous dûmes
parcourir un sol profondément raviné, couvert d’arbres séculaires ou
de bocages d’Arbousiers et de grands Lentisques, coupé de vallons
herbeux, de cols et de brisures ; quoique peu éloignés des bords de
la mer, nous y étions dans un pays-de montagnes varié où le Calcaire
moréotique s’élevait en murs, surmontés de grandes masses anguleuses et
entassées de Poudingue, lesquelles saillaient parfois d’une manière tres-
pittoresque à travers d’obscures touffes de feuillage. Au pied de l’une des
plus brusques coupures que présentent de ce côté les monts Géréniens,
et cependant sur un plateau environné de jolis vallons au fond desquels
sont de verdoyantes prairies et des plantations de Mûriers, nous
trouvâmes Ligoudista, grand village divisé en plusieurs hameaux, où
presque tous les habitans étaient rentrés : avec Téhiphliki, Kliorès et
Kavaléria qui en dépendent, ce beau lieu ne comptait pas moins de 155
familles. Nous n’avions vu nulle part une aussi grande quantité de si
beaux oliviers; les environs en étaient entièrement couverts. Les Arabes
avaient sans doute trouvé qu’il eût été trop pénible d’abattre, tant de
gros troncs, et la prospérité du canton n’aura été qu’interrompue par
une invasion dont la région inférieure a souffert peut-être pour plus
d’un demi-siècle. Le pays de Kambos commence à partir d’ici, et le
chemin qui s’y prolongé vers Areadia par Khristiano (p. 169), conserve
en plusieurs endroits des traces d’un ancien pavé vénitien. En
quittant notre halte, qui eut lieu sur une place où coulait une belle
fontaine et que formaient quelques boutiques, ce chemin, en assez bon
état, descendait dans l’un de ces vallons étroits et profonds, dont le
canton est sillonné; on l’appelle Agorélitza, d’un village voisin peuplé
de vingt-huit familles. On y trouve un pont solide en pierres et d’une
seule arche. Les ruines d’un grand moulin étaient auprès, et l’eau très-
pure qui l’avait alimenté coulait abondamment sur un lit de rochers :
elle allait à deux lieues environ dans le sud tomber au Roumano, vis-à-
vis l’un de ces torrens dont nous avions traversé plus haut le lit dans
la matinée. Le triple encaissement qui résulte des deux confluens
opposés avec le cours principal, au pied de Pisaski, est, dit-on, un lieu
assez curieux à voir, mais jusqu’où nous ne fûmes point lorsque peu
de jours auparavant nous remontâtnes le fleuve; ayant gravi sur le