et les signes de dévastation qui m’environnaient me portent à le croire,
que durant l’occupation du pays par les Arabes, l’incendie des arbres
utiles fut l’objet d’un service organisé, où les soldats étaient employés
régulièrement à leur tour de corvée, sous la conduite de leurs officiers.
Les richesses agricoles qui ont été détruites de cette manière dans la partie
de la Messénie où nous nous trouvions, sont incalculables; l’ame atristée,
en voyant les charbons qui témoignaient d’un tel acte d’incroyable barbarie,
nous ne pouvions comprendre dans quel but il pût être ordonné.
Ayant poussé le long du Roumano, où croissaient abondamment de
ces Nérions (n.° 536) et de ces Gatiliers {Vitex Agnus-castus , n.° 820),
que nous rencontrerons désormais dans le lit de tous les cours deau,
nous trouvâmes des restes d’un pont bien anciennement détruit, et dont
une culée à demi ensablée me parut être de construction hellénique ;
un peu au-dessous se balançaient des touffes de Cannevères {A rundo
Donax, n.° 160), plus belles encore que celles dont nous verrons bientôt
une si grande quantité le long de cet Eurotas renommé par l’abondance
et la hauteur de ses Roseaux. L’Aubépine en fleur parfumait le canton;
la Yigne sauvage, la Bryone (n.° 1296) et des Salsepareilles s’y entrelaçaient
sur les buissons d’Alaternes, de Lentisques, de Grenadiers ou de
Bruyère arborescente, alors éblouissante de fleurs, et formant un bocage
épais sur les berges du fleuve. Protégée par l’ombrage de ces arbrisseaux
touffus, croissait à leur pied une jolie Fougère ( Asplenicum Virgilii,
n.° 1539), qui se retrouve en Italie et jusque dans le midi de l’Espagne,
où je l’avais autrefois aperçue en divers lieux de la Sierra-Morena. La
plupart des coteaux dans le lointain commençaient à se teindre d’une
nuance de laque rosée des plus suave et que je ne savais à quoi attribuer;
j’ai reconnu, quand je les ai traversés quelques jours après, ainsi qu’en
d’autres endroits, que la floraison du Gaînier (Cerçis sïliquastrum,
n.° 930), appelé, je ne sais pourquoi, Arbre de Judée, produit cette
charmante coloration. Ce Gaînier se plaît si fort sur les expositions
occidentales de la Morée, qu’il y usurpe souvent de grands espaces, sur
lesquels ne peut plus croître aucun autre bois : il acquiert en certaines
expositions des proportions forestières. Les fleurs qui devancent la pousse
des feuilles se développent en si grande quantité, qu’on ne distingue plus
les rameaux qui les supportent, et que, durant la fin d’Avril et les premiers
jours de Mai particulièrement, toute autre teinte disparaît au
loin sous celle dont les Gaîniers se parent.
Une autre fois nous remontâmes le , même Roumano jusques à deux
mille mètres environ au-dessus des cavernes où nous avions trouvé cette
Hélène qui ne voulut pas essayer mes conserves vertes. Laissant alors
sur les pentes qui nous restaient à droite les hameaux en ruine de Sous-
man-Aga1 et de Pisaski, nous montâmes en tournant à gauche pour nous
jeter dans l’ouest, et cheminâmes ensuite au travers de terrains anfrac-
tueux, pierreux, mais fertiles, entièrement abandonnés aux broussailles
aromatiques. Nous descendîmes après deux heures d’exploration dans un
vallon dont l’aspect nous charma d’autant plus, que, pour la première
fois,depuis notre débarquement, nous y trouvions la fraîcheur de majestueux
ombrages, entrecoupés de vertes prairies qu’arrosait une eau
limpide, en suivant avec un doux murmure les sinuosités du fluviole9
dont ces lieux étaient, vivifiés. Ce vallon est peut-être ce que Gell a voulu
désigner sous le nom de Brisoméro-Néro. Ses bords portaient les traces
d’anciennes cultures ; on y voyait des restes d’enclos, mais aucune maison.
Les terres y dépendaient du village de Mouzousta, où nous montâmes,
après avoir herborisé quelques heures dans le vallon, en suivant
un chemin taillé, pour ainsi dire, dans la verdure. Nous pûmes enfin
juger de l’élévation où les arbres atteignent en Grèce, à la magnificence
de quelques Chênes séculaires (n.° 1277 et 1278) qui, sur les pentes
dont nous étions environnés, avaient échappé à la cognée dévastatrice.
Le Gaînier se montrait ici avec sa taille des futaies; les Myrtes et les
Arbousiers s’y élevaient beaucoup plus qu’ils ne le font ordinairement
ailleurs; parmi ces derniers, il s’en trouvait de trente pieds au moins.
1. Ecrit Osman-Aga dans la feuille 5 de notre carte Pl. m . Ce nom appartient uniquement
à l’étang des racines de Pylos et point au village.
2. On ne peut accorder le titre de fleuve à de faibles cours d’eau qui n’ont pas quelquefois deux
lieues de longueur, et qui pourtant portent, directement dans la mer leur tribut liquide. Ce ne
sont pas de simples torrëns, puisqu’ils ne sont pas entretenus seulement par la chute des pluies;
ce né sont pas de simples ravins, puisqu’ils ne demeurent jamais à sec, ni des rivières, puisqu’ils
ne se jettent pas dans'un fleuve, ni des ruisseaux, puisqu’ils ne tombent pas dans une rivière :
il leur fallait.conséquemment donner un nom distinctif, et nous le hasardons ici.