La terre de Morée s’élevait devant nous et semblait composée de deux
immenses groupes : l’un par bâbord, dans la direction du nord-est,
l’autre par stribord, à l’est sud-est; le premier était bien plus considérable,
et quoique trois fois au moins plus éloigné que l’autre, il se
montrait cependant trois fois plus haut. Le système des monts appelés
Olénos, formait ce groupe tout couvert de neiges éblouissantes et qui
devaient être bien épaisses, car on ne voyait dans leur étendue aucune
de ces taches noirâtres qui proviennent d’une fonte, commençant sur
des points exposés à l’influence locale d’une température adoucie. Les
pentes de l’Olénos que nous admirions, étaient pourtant celles qui
regardent le sud, et nous les verrons tout aussi blanches à la fin de Mai.
On eût certainement pu mouiller à Navarin vers la brune, tant
était bon le vent qui nous poussait; mais sur les quatre heures de
l’après-midi le commandant jugea prudent de mettre en panne; il ne
voulait point exposer sa frégate contre les écueils méridionaux de
Sphactérie. On passa donc les heures d’obscurité à la hauteur de
Prodano, très - désagréablement ballotté, les flots étant encore émus
par suite de la tempête des jours précédens.
CHAPITRE II .
AR RIVÉE A NAVARIN. DÉBARQUEMENT. S É JO U R A MODON.
IL E S OE NU SE S .
Dès la pointe du'jour chacun était sur le pont et venait contempler la
terre de Grèce. Le temps s’étant amélioré, quelques nuages, restes de
cette tourmente qui nous avait assaillis en arrivant sur la mer de Morée,
erraient ça et là dans l’ouest; l’orient brillait au contraire d’un singulier
éclat; une série de montagnes s’y dirigeait du nord au sud vis-à-vis
de noUs, et quoique plusieurs sommets se détachassent avec une certaine
majesté dans le profil de ces hauteurs, on n’y apercevait de neiges en
aucun endroit, le faîte éblouissant de l’Olénos ne se voyant plus et le
Taygète ne pouvant se découvrir encore; entre ces montagnes, disposées
en rideau, les unes bornaient la vue à l’horizon, d’autres, plus rapprochées,
semblaient brusquement sortir des flots. Nous avions le cap
sur l’une de ces dernières, appelée Saint-Nicolo, sa hauteur a été plus
tard déterminée par M. Peytier à quatre cent quatre-vingt-un mètres.
Ce mont Saint-Nicolo est d’un aspect trop remarquable pour que les
anciens ne lui eussent pas donné un nom. Serait-ce leur Ægialée?
S’élevant en pain de sucre, dépouillé de végétation presque partout,
composé de blocs calcaires confusément entassés, d’un gris blanchâtre,
ayant à sa droite un autre sommet plus bas et plus arrondi, on peut se
faire une juste,idée de sa forme par celle que présente lé dos du dromadaire
avec sesïdeux bosses, où l’antérieure est plus haute que celle
de derrière. Spfiagia (la Sphactérie de l’antiquité)? qu’il nous fallait
doubler, présentait aussi des côtes arides, calcaires, coupées perpendiculairement^
et colorées par diverses nuances de rouille. Des rochers
détachés de sa pointe méridionale se prolongent en écueils taillés à pic
de toute part, contre lesquels les flots se brisent avec violence, pour peu
que la mer soit agirtée. Entre ces roches est une passe que peuv€n| tenter
les petites embarcations par un temps calme. La principale est percée de
part en part à sa pointe septentrionale : on dirait un majestueux arc
de triomphe de construction cyclopéenne. En passant aûprès, nous