M. le maréchal ne voulant pas quitter le Péloponèse sans visiter
quelques-uns dé ses lieux les plus célèbres, profita de l’arrivée du général
qui devait incessamment le remplacer, pour se rendre à Messène,
à Argos, et je crois jusqu’à Corinthe. Le général Durrieu, M. le
payeur Firino et l’intendant Yolland dirigèrent aussi leurs promenades
scientifiques sur divers points, et beaucoup des officiers et des membres
de l’administration désignés-pour retourner’en France avec le grand
état-major, demandèrent l’autorisation de profiter du temps qui restait
à leur disposition .sur la terre affranchie, pour faire ce qu’ils appelaient
leur tour de Grèce. Plusieurs dessinaient des sites, prenaient des notes,
récoltaient des plantes, recueillaient des insectes ou autres curiosités, et
empaillaient des oiseaux; j’ai vu de très-précieuses coliections d’histoire
naturelle, et de fort intéressantes relations, faites par des lieutenans ou
des sous-lieutenans d’infanterie, par des officiers de santé ou^autres
employés de l’arméç, et je n’ai trouvé nulle part dé cès soldats grossiers
ou de ces chefs ignorans qui, méconnaissant l’importance de la moindre
branche des connaissances humaines, aient cru montrer de l’esprit en
cherchant un côté ridicule aux explorations de la Commission dont je
faisais partie. Les lumières ont pénétré partout, et l’armée n’est plus
étrangère à leurs progrès; il existe une multitude d’hommes instruits
dans ses rangs, et chacun dans le corps d’élite qui chassa les féroces
Egyptiens de là terre classique du premier savoir, se respectait trop
pour renouveler ce genre de plaisanteries qui égaya tant les vainqueurs
du Nil aux dépens des membres de l’Institut du Caire; de tels lazzis
eussent été des anachronismes et auraient attiré en Morée, sur quiconque
sé les fût permis, le mépris du dernier dés valets. Je doute d’ailleurs
que nul membre de la Commission en> eût supporté d’aucune sorte.
Tandis que quiconque en avait la possibilité prenait ainsi sa route
vers l’intérieur du pays, la Commission scientifique se dispersa à sa
surface, afin d’en explorer'un plus grand nombre dé points à la fois.
Je me dirigeai, accompagné de MM. Yirlet, Baccuet, Brullé, Pector
et Despréa,ux, sur la Pylos de Nélée, où je conduirai le lecteur quand
j’auirai achevé la description de cette partie méridionale de Messénie
donf la ville du quartier-général est considérée comme le chef-lieu.
Lorsque M. Pouqueville recueillit ses notes sur la Morée, Modoil
était, à ce qu’il rapportehabité par seize cents Turcs un peu pltis
civilisés que ceux de Coron; le faubourg contenait trois cent quarante
familles; ce qui faisait en tout environ trois mille trois cents individus,
On en comptait jusqu’à huit mille Cent quatre-vingt-cinq pour
le canton,'répartis dans quarante-huit villages ou hameaux,'dont je
n’ai pas retrouvé un seul qui ne fût détruit, comme*£i dix siècles
eussent passé sur ces décombres. On peut maintenant considérer le
pays comme- désert. Quelques familles y rentraient;.- elles étaient dans
la plus„profonde misère, et n’eusseut pu défricher un arpent3jdu sdl,
si l’administration de l’armée ne leur eût prêté, vers le temps'dès
semailles, des boeufs destinés pour la nourriture de l’armïe, er*qüi
labouraient les champs en attendant que leur tour vînt d’êtr» consommas.
Ces animâux, tju’on trouvait après les travaux du jour paissant
en troupeaux nombreux: dans la plaine de Modon, venaient dé Calabre,
ou l’arméè s’en approvisionnait. Depuis lê passage d’Ibrahim il ne
restait plu® un seul boeuf né dans le pays; ce barbare, selon l’expression
des. Grecs, « n’avait pas seidement fait la guêtre aux hommes
« mais à la nature, tufut tout ce qui avait vie,*et brûlant les maisons
« avec tout ce qui verdoyait. *
Modon était peuplé, quand nous y séjournâmes, par deux ou trois
cents marchands- accourus de divers cantons de la Grèce5, dans l’espoir
de réparer leur ruine en vendant à nos troupes, pour des prixaexor-
bitans, quelques objets usuels des plui communs. Il s’y était ouvert des
cafés,'ou1 plutôt d’asséfc mal-propres guinguettes, teitus par des Italiens
ou par des Brovençaux, et plusiSirs*misérables boutiques, lesquelles
appartenaient "à de petits coretmerçans de Triestè» qui, sous la protection
de l’Autriche, commencent à se répandre dans tout Ie Levant,
comme faisaient autrefoif les Vénitiens et les Géndîs. IJn tailleur nomade,
originaire de Gascogne, qui, lors de l’occifpalîoû de Cadix par
nos-troupes, y avait à proprement parler exploité les officiers français,
étant venu transporter ses établis au quartier-général^ continuait a
J. Voyage de la Gïèce, t. YI> p. 68.