Quoiqu’il eût beaucoup souffert de l’invasion égyptienne, Gargabano
était encore, quand nous le visitâmes, un bourg assez beau. 11 y restait
environ cinquante à soixante familles de deux cents au moins qu’on y
avait comptées précédemment; toutes étaient grecques, aucun Turc ne
s’étant jamais étabb dans le canton, malgré sa bonté; plusieurs maisons
se relevaient de leurs ruines, et les habitans à qui elles appartenaient,
ayant vu les bâtisses que des étrangers faisaient à Navarin, adoptaient,
pour rendre leurs logemens plus commodes , les améborations qu’ils y
avaient remarquées. L’église principale, située au centre du beu, était
assez grande, propre, ornée de peintures et d’un aspect moins misérable
que celle même de Modon; elle fut, nous dit-on, bâtie sous le régime
vénitien, et s’achevait seulement lorsque les Turcs enlevèrent définitivement
la Morée à la République. Il existait encore une autre égbse,
beaucoup plus petite, au sortir du bourg par le sud-ouest; on nous
assura qu’elle était la plus ancienne. Le bazar était en partie rétabli;
on y remarquait déjà un café avec son billard, et plusieurs boutiques
tenues par des marchands de Trieste, lesquels bientôt se seront approprié
le commerce de la Grèce, si Marseille n’y met ordre. Les femmes
filaient, assises à leur porte, le coton de leur champ ; d autres y tissaient
de la toile qui n’était pas toujours grossière. On ne boit guère à Gargabano
que de l’eau de pluie conservée dans de nombreuses citernes; on
trouve celles-ci à côté des caves et celliers dans les moindres carrefours,
ainsi qu’aux coins de chaque rue. Ce lieu est indique dans les premières
mappes de Morée sous le nom de Gurguba , écrit Gurguglia olim
Pelarte sur une carte de 4 685 : cette position répond exactement à celle
que d’Anville donne au Platamodes que mentionne Strabon1, et qu’il dit
se trouver à 4 20 stades de Coiyphasium et de la ville qu’on nomme
aujourd’hui Pylos.” Dans Mercator il est marqué en double-emploi;
d’abord à peu près à sa place, puis beaucoup plus au nord et près
d’Arcadia. Le Papas et le Démogeronte, qui vinrent fort civilement au-
devant de nous, m’assurèrent que primitivement Gargabano avait été
bâti sur le bord même de la mer, dont il se trouve aujourd’hui distant
d’une beue environ, et vis-à-vis de Prodano ou Prode, l’antique Proté,
i . LU. VlU, cap. m , S- XXH.
que nous apercevions à une petite distance de la côte ferme, avec laquelle
cette île forme une espèce de port ou plutôt d’abri pour les pirates. 1
Ceux-ci, se tenant autrefois habituellement en ces parages, les rendirent
tellement dangereux et commirent de si grands excès le long de la côte,
que les habitans s’en éloignèrent et vinrent s’établir sur les hauteurs,
ou ils avaient moins à redouter les surprises. Les rives occidentales de
l’Elide et de la Messénie, fertiles, riches, peuplées, ouvertes, dépourvues
de ports ou des vaisseaux protecteurs se pussent retirer en cas de mauvais
temps, ayant de tout temps été fort mal gardées, l’espace qu’on
appelle encore golfe d’Arcadia fut de tous temps sujet aux entreprises
des écumeurs de mer. Un vieil adage, qui nous a été traduit plus tard
chez les Kakovouniotes, dit que « Belvédera est la Vache à lait du Magne. f.
La Messénie et l’Elide, comme on le verra dans la partie géographique
de notre ouvrage, portaient le nom de province de Belvedère dans le
moyen âge, et quand les Maniotes commencèrent à se rendre redoutables
par des expéditions maritimes, ils s’y prenaient absolument comme les
Maroquins et les Barbaresques l’ont fait si long-temps avec impunité sur
les côtes méditerranéennes d’Espagne, dont ils étaient encore le fléau
vers le miheu du siècle dernier. M. PouqueviUe n’a pas manqué de
signaler ce fait, lorsque, voyageant au couchant de la Morée, il
« rencontre partout des périscopes veibant aux p la g ia i r e s c’est-à-
dire des sentinelles chargées de signaler les forbans. Nous n’avons plus
trouvé ni plagiaires ni périscopes, et nous devons cette justice à la
mémoire du président Capo d’Istria, que, sous son administration, la
piraterie avait entièrement cessé; le pays était parfaitement sûr; durant
plus de deux ans, il ne s’est pas commis en Grèce le moindre vol, soit
sur la mer, soit sur les chemins, et les tribunaux n’ont pas eu occasion
de prononcer une seule condamnation pour cause de brigandage à main
armée.
Un assez bon pyrgo ou tour carrée, susceptible de défense et capable
de résister à toute attaque imprévue, s’élevant non loin de l’égbse prini
. «Prode est éloignée de la côte d’environ trois quarts de lieue; elle a un peu plus d’une demi-
« lieue du nord-est au sud-ouest. On peut mouiller à l’abri de cette île , entre elle et la terre; on
« y trouve dix?sept et dix-huit brasses bon fond e( bonne tenue.* Belin, part. II, pag. 191.