en Grèce « uniquement, répétait-il, pour recueillir aussi des images et
</ chercher des couleurs pour orner ses tableaux. * J’aperçus cet émule
de l’auteur des Martyrs, seul et pensif sur la dunettè, rédigeant son
journal, où il essayait de peindre en prose poétique l’agitation que lui
causait la grandeur du spectacle; il me permit plus tard de jeter les
yeux sur sa feuille du 19 ; elle commençait de la sorte : « Ici donc règne
« la teinte d’âiur ! cdfcnme exilés entre les cieux et l’onde, elle nous
« environne tantôt riante, tantôt sombre, sans que la pointe brunâtre
« du rocher lointain, la blancheur de la plage sablonneuse ou la ver-
« dure d’une rive fleurie y ajoutent d’autres*nuances en Un seul point
« du vaste horizon. Nulle térre, même vaporeuse, n’apparaît à nos
« yeux ; nous sommes prisonniers dans les vaguesJimites d’un cercle
« immense : c’est le désert liquide. L’infini est sous nos pas, ainsi que
« sur nos têtes; mais le néant n’y* saurait disputer l’empire à la teinte
« d’azur, car j’entends la voix des grandes eaux qui s’élève pour m’ar-
« racher à de religieuses pensées. *
La cloche du dîner vint se joindre à la voix des grandes eaux, pour
avertir notre philosophe qu’il était temps de descendre dans l’entrepont.
Ce lieu devenait après chaque repas une véritable académie. Les
soirées étant longues, chacun cherchait à les remplir utilement par des
jfctures préparatoires: Strabon, Pausanias, Thucydide, Barthélémy,
l’Itinéraire à Jérusalem, ou M. de Pouqueville, passaient de main en
main. Ma‘i§ l’idée merveilleuse qu’on eut été teffté" de se former Bu
pays que nous allions explorer * d’après’lès Ihagnifiques descriptions où
s’obstinèrent de si grands auteurs ; n’était guère en harmonie avec ce
que nous en rapportaient les marins chargés de nous Conduire; ceux-ci
avaient récemment visité la Morée et ^s’accordaient à la représenter
comme la plus triste, la plus ingrate et la plus barbare Bes contrées
du globe. Sans prédilection ni mépris pour elle, Je tenais pour foii;
exagéré, en siens contraire, les divers rapports qu’on nous en faisait,
et tout ce qtié'j’en avais lu; sur le chapitre de la Grèce, comme sur tout
autre sans exception, j’attendais que j’eusse vu par moi-même pour
asseoir mon jugement. La majesté de ce désert liquide, au centre duquel
voguait notre frégate, pour employer les termes de notre compagnon
de vçyage , n’exaltait pas davantage mon imagination ; cependant,
lorsqu’arrivés au point ou le 10.e méridien oriental de Paris coupe le
A\.c parallèle, aucune terre ne demeurât plus visible pour la Cybèlq^
je* ne demeurai point insensible aux grandeurs d’une telle situation; je
m’abandonnai aux méditations qu’elle*,commandait, avec la réserve
cependant qu’y pouvait mettre un voyageur auquel pareille chose n’était
pas nouvelle; je me demandai, en promenant mes regards sur l’espace,
comment il se faisait qup je n’éprouvasse point ces fortes sensations qui
m’agitèrent à vingt ans, lorsque, partant pbur un autre hémisphère,
je me trouvai sur l’Océan,, hors de portée de tout-rivage, a la distance
d’une largeur de continent du continent le plus voisin. La Méditerranée
ne m’inspirait point, encore que toute terre eût disparu autour de
nous, cette sorte de stupéfaction, mêlée d’un respect qu’on ne sait à
quoi, rapporter et qui saisit tout être humain bien organisé, lorsqu’il
est parvenu dans les hauts parages d’une mer qui enserre le globe. La
Méditerranée n’a jamais produit sur moi d’autre émotion que celle qui
peut résulter de la vue d’un grandjac, dont le rivage s’est effacé dans
le lointain. Elle ne me donna jamais l’idée de l’infini; l’habitude de
voir des cartes d’Europe, où elle n’occupe guère qu’un espace égal à
celui de certains empires, la rapétisse toujours dans ma mémoire. J’ai
trouvé ses vagues courtes, roulantes plutôt que balancées, désordonnée^,
clapoteuses et sans majesté, quoique parfois mugissantes et furieuses.
Je n’y ai jamais admiré, même par les gros temps qui m’ont
fait courir de grands dangers à sa surface, de ces lames énormes qu’on
voit sur l’Oqgan arriver de si loin eh s’élevant comme de longues Alpes
avec leurs profondes vallées et qui, s’enflant avec pompe, poussént tout
à coup sur leur crête de lapis Biapré d’écume éblouissante, le vaisseau
qui semblait prêt à se briser contre le fond de l’abyme ou devoir s’engloutir
entre les flancs verdâtres d’un précipice îÆouvant. L’idée d’isolement
n’a rien de grand en mer quand elle ne s’y confond .pas avec
celle de cette prodigieuse distance de toute terre qui pro&rit l’espoir
de sauvetage,, et tant qu’on sait qu’il existe des côtes assez rapprochées
de soi'pour qu’on les puisse apercevoir de quelques points de l’horizon;
©est ce qui arrive dans la mer étroitement circonscrite que nous tra