nuages vagues suspendus sur la mer qui bornait 1 horizon par-dessus
la chaîne de Tzaconie, abaissée vers le cap Maléa : Cérigo (l’antique
Cythère) se voyait parfaitement près de celui-ci; mais nous ne pûmes
discerner Candie, qu’on assure être visible quand le ciel est serein.
Il ne l’était point en ce moment, quelques vapeurs s’étant élevées peu
à peu au loin. Cependant la température se rafraîchit tout à coup, et
comme du milieu des neiges oh nous avions fait halte, nous étudiions le
magnifique panorama au centre duquel nous étions placés, en cherchant
a reconnaître endroit par endroit les noms qui se trouvent graves sur
la carte de M. Lapie, des nuages épais s’amoncelèrent sur le Taygète
comme pour nous y emprisonner. Un orage se préparait, nous ne nous
obstinâmes point à demeurer sur le point ou ses effets pouvaient etre
des plus terribles, et nous prîmes le parti de redescendre en toute hâte
à Saint-Paraskévy, ou nous arrivâmes harassés et bien mouillés; en
voyant tomber la pluie, les bons pâtres avaient jugé que nous aurions
besoin de nous sécher au retour. Nous trouvâmes donc l’abri, qu’ils nous
avaient construit la veille, rendu impénétrable avec des toisons, et de
bons feux ou le bois n’avait pas été épargné.
La verdure de la région des Sapins, oii nous nous trouvions ainsi
plongés dans l’humidité du ciel, avait pris une apparence de fraîcheur
qu’elle ne présentait point la veille, et beaucoup de plantes que nous
n’y avions pas remarquées, des Cryptogames surtout, s’y montraient
dans leur plus bel état de développement; cependant il devenait impossible
d’herboriser et de chasser au milieu des brumes compactes, et n’ayant
pas le temps d’attendre qu’une embellie les vînt dissipèr, il fallut quitter
dans la matinée du 30 les bergers du Pentadactyle, qui ne voulurent
recevoir aucun paiement pour les soins qu’ils nous avaient prodigués.
« Rapportez seulement à Mourdzinos, nous dirent-ils, que nous vous
« avons accueillis du mieux que nous avons pu, et nous serons trop
« récompensés s’il en témoigne la moindre satisfaction. ’’ Je ne crois pas
que dans les Alpes et dans les Pyrénées, dont les habitans n’ont pas
la mauvaise réputation des Maniotes, on ait jamais sous un chalet accordé
l’hospitalité d’une manière si touchante; mais, je ne sais pas non plus si
d’autres voyageurs seraient aujouid’hui aussi bien reçus que nous le
fûmes à Saint-Paraskévy. Quand nous arrivâmes à Androuvista, ou nous
retrouvâmes un ciel serein, les habitans, pour nous offrir des fleurs et
des cerises., étaient venus jusqu’à la fontaine du Cresson au son des
violons et des mandolines ; du plus loin qu’ils nous aperçurent, ils se
mirent à chanter ou plutôt à glapir en ces termes : « Ces Français sont
« les amis de Mourdzinos, et du nombre de ces libérateurs de la Grèce,
« qui grimpent avec l’agilité des Spartiates sur nos montagnes, qu’Ibra-
« him n’avait pu franchir. ”
Mourdzinos aussi vint nous recevoir à quelque distance de son château,
oit je n’entrai qu’un instant, parce que, Baccuet ayant été pris en
route par la fièvre, je voulais lui tenir compagnie au camp, oii le lendemain
un papas demanda à me parler. «J’ai appris, me dit celui-ci, qu’un
«. de vos compagnons était malade : nous n’avons pas de médecins dans
« le pays, mais je viens lui dire des prières et lire sur sa tête des passages
« de l’Evangile, dont je connais la vertu pour guérir ces sortes de maux. ”
Je répondis au saint homme, que nous ne doutions pas de l’efficacité de
son remède; mais que Baccuet n’était point encore dans un état assez
désespéré pour en essayer.
Ayant levé le camp dans la matinée du 2 Juin, pour revenir a'Cala-
mata, nous repassâmes d’abord par les casse-cous oii nous avions cheminé
naguère , et qui ne nous parurent plus aussi dangereux, par la comparaison
que nous en faisions avec le Pas de schiste et le Pas calcaire.
Etant venus surprendre Mavrico-Poulo dans sa tour, nous l’y trouvâmes,
ainsi que sa femme et sa fille, qu’il fit aussitôt appeler dans son appartement,
proprement tenus, et comme si toute la famille eût attendu
des visites. A partir de Malta, et après avoir traversé Malévrianika,
on voyage au milieu d’une plaine charmante durant une bonne demi-
heure; le ravin de Saint-Nicou, dont nous suivions le cours, s’enfonce
alors sur la gauche dans une brisure de rochers, qui n’a pas dix pas de
large et, coulant quelque temps emprisonné entre deux remparts a pic
fort élevés, va tomber dans le torrent que nous avions suivi en allant
de Kitriès à Dolis. On monte ensuite pour redescendre dans le lit du
Sandavapotamos, qu’on traverse sur un pont d’une arche; le pays, toujours
admirablement cultivé, est aussi très-fortement accidenté. A l’endroit