Ægilium), île que nous avions distinguée au loin dès la veille, et dans
le genre Montécristo par sa conformation, sa nature, sa teinte et sa
hauteur, mais qui est beaucoup plus étendue, puisqu’elle a près de
deux lieues de longueur dans la direction du nord-ouest au sud-est. -
Giglio d’ailleurs n’est point déserte; on assure quelle a compté jusqu’à
neuf cents colons et qu’on y trouve quelques petits vallons assez bien
cultivés; on y a exploité de beaux marbres. En nous en approchant,
nous distinguâmes un gros quartier de rocher, qui forme un îlot à sa
base, puis des places verdoyantes éparses sur des pentes plus adoucies
que nous lès eüssioiS: supposées d’abord, diverses maisonnettes, des
vignes et des terrains à blé que soutenaient de ces amas de pierres en
manière de murs é c h e l o n n é s , que noqs venons destinais en si grande
quantité sur les côteTs de Çalabre, de Sicile, de Mnrée et dés C.yclades,
mais qui nulle part ne sont aussi jj'ombreux et aussi bien entendus que
dans cette belle partie du Magne appelée canton de Zarnâte.
Sur l’un des sommets j’observai avec ma longue vue un village protégé
par un mur d’enceinte, au centre duquel s’élevait le clocher; on
rangeait la pointe du sud, d*nt la frégate ne passa pas à plus de cinq
cents mètres, et nous reconnûmes que les rochers en étaient de même
nature que ceux que nous ne cessions de voir depuis le Ueu dp notre
embarquement. Quand l’île se montra par l’autçe côté, nous ^revîmes
le village dont il vient d’être question; il présentait un tqut autre
aspect : une grosse tour en cachait la plus grancft partie et devait en
être le boulevard; cette tour dut plus d’uneTois servir d’asyle aux gens
du pays, que tourmentent, à ce qu’il paraît, souvent lès barbaresques.
Nous portions sur l’Italie, dont nous fûmes tout près dans la soirée;
Montécristo avait enfin disparu dans l’ouest ; Giglio nous restait à l’arrière
; le mont Ârgentaro, qui forme une presqu’île sur ia côte d’Obi-
tello, s’élevait dèVaÆt nous, lorsqu’on jouit?tout-à-dbup «d’un spËgtacle
atmosphérique imposant, qui se prolongea jusqu’à la fin du jour. Des
nuages sombres, qui dès le matin semblaient nous poursuivre ci nous
menacer d’une abondante pluie, sans que les rayons d’un soleil ardent
qui en perçaient l’épaisseur de temps à autre eussent pu les dissiper,
attirés par l’attraction que doiyent exercer au loin les hauteurs (Je
Giglip, s’accumulèrent autour de cette île avec une surprenante rapidité,
et nous en dérobèrent subitement la vue : Giglio paraissait alors comme
fufcau temps des miracles le Sinaï sous la gloire du Seigneur, et de.sa
jaasse orageuse semblaient prête à jaillir des'tonnerres et des éclairs-Les
sombres vapeurs de la mer s’étant ainsi accumulées à l’ouest, flîorizon
devant nous s’en trouva dégagé et la cime du mont Argentaro fut dorée
par les rayons du couchant. Nous naviguions, parlant sans métaphore,
entre un abyme de ténèbres et des flots de lumière. Lorsqu’on eut viré
de bord, on passa tout près de Me de ARannuti ( l’Artemisia des
Romains ) ; cette île nous «ssta dans le sud; elle y éfjpit peu visible, pârce
qu’elle n’est pas aussi élevée que Giglio son Montécristo, quoiqu elle le
soit s?x ou sept f(fjs davantage au moins que Pianosa. Comme la nuit
était close, et que j’étais ftscendu dans la chambre du commandant
jinui; me rendre, raison dans son Neptune des routes tenues pendant la
journée, l’on- distingua dans la direction que tenait la frégate deux
bateaux pêcheurs jetant ou levant des filets. L’officier qui vint rendre
compte de cette rencontre, demanda avec la plus impassible tranquillité
s’il fallait se déranger un peu ou passer dessus : Arrivez, dit M. de
Robillard, et qu’on ne dérange pas ces pauvres gens.
Les vents furent tellement contraires durant la nuit du 17 au 18
qu’à la pointe du jour nous avions rétrogradé de plus de huit lieueS :
nous nous trouvions-de nouveau sous le vent de 1 éternel Montécristo,
ci-vans toujours en vue des îles d’Elbe et de Giglio. Ce n’est que dans
la matinée du 19 qu’on panvint à s’éloigner enfin de ces tristes parages,
pour se trouver assez près de l’embouchure du Tibre. Ceux des membres
dé fis Commission de Morée qui avaient autrefois visité Rome prétendirent
alors en reconnaître le?environs avec les lunettes du bord. Le
temps étai?magnifique; le soleil brillant; une risée favorable du nord
permit durant quelques heures de faire bonne(vouh:, et vers midi,
pour la première fois depuis que nous, avions quitte la France, üj 1
perdit la terre de vue ; nous étions en pleine mer autant qu’il est possible
de s’y trouver, lorsqu’on navigue sur la Méditerranée. C’etaitune
nouveauté pour la plupart des passagers. Ce majestueux isolement exaltait
l’imagination de l’un d’eux, métaphysicien profond, qui se rendait