assez bien tracé, quoique pierreux, est parfois taillé en marches d’escalier ;
il y a encore une forte lieue entre le kan de Yourlia et l’Eurotas, qu’on
traverse sur un pont très-pittoresque (pl. XXVIII), en passant contre
un amas de rocs bizarrement entasses. Le fleuve, qui descend du Nord-
Ouest, porte ici le nom de Raravas, qu’il perd un peu plus bas dans la
plaine après le confluent du bras qui lui vient d’Arakhova, pour s’appeler
Iri, et point Yasilipotamos, comme les voyageurs l’ont dit, en se répétant
les uns les autres, ainsi que toutes les cartes jusqu’à notre propre
feuille 6.e, mais toujours mal à propos. Au-dessus du pont le fleuve est
encaissé: son eau rapide est de la plus suave teinte; d’abord captif
dans ses berges de pierres à pic au fond d’une austère vallée, il s’ouvre
ensuite, à travers de grands Nérions qu’enlacent des guirlandes de Smilax
(n.91311). A partir du pont commence également cette abondance de
Cannevères (Arundo JDonax, L.), signalées comme des Roseaux par les
poètes, et dont les belles touffes, mollement caressées par des vents, méritèrent
au fleuve de Laconie l’épithète de xce&tiïovccg. Malgré tout ce qui
se rattache de poétique à ce cours d’eau tant célébré, je dois avouer que
ce n’est point à cause des traditions mythologiques qu’il m’occupa
d’abord ; n’y ayant pas plus aperçu de ces Cygnes dont le maître des
dieux daignait emprunter la forme, que de site convenable pour qu’ une
reine, autre que celle des Carpes, s’y pût baigner, le désenchantement
fut complet, et je ne considérai plus l’Eurotas, devenu l’Iri, que sous
le rapport de la géographie : je reconnus au premier coup d’oeil que son
cours avait été détestablement tracé jusqu’alors, et que, loin de serpenter
à égale distance des deux côtés presque parallèles de ce qu’on nommait
encore naguère le Bras du Màgne, il est beaucoup plus rapproché du
golfe de Coron que de la mer orientale. Aussi le changement de situation
que nous lui avons fait subir, donne-t-il au pays une physionomiè
tout-k-fait différente de celle qu’on lui avait supposée, et que nous voyons
avec surprise être encore reproduite dans un ouvrage dont les auteurs
ont parcouru les mêmes lieux peu de jours après nous.
Le chemin suit d’abord parallèlement les bords du fleuve au pied de
collines rougeâtres, qui ne permettent plus d’apercevoir Mistra, et qui
furent autrefois très-bien cultivées, si l’on en juge par les murs en degrés
qu’on y voyait encore et qui furent, comme ceux de Zarnate, destinés
à soutenir le sol. A travers un canton de terres en labour ou couvertes
de Mûriers, et bientôt sans suivre aucun sentier, tant nous étions pressés
d’atteindre les ruines que nos guides connaissaient fort bien sous les
noms de Paléokhori et de Lacédémonia, nous arrivâmes sur l’emplacement
même de Sparte, qui n’a jamais été méconnu d’aucune personne
instruite, quoi qu’on en ait pu conter pour faire de la poésie avec de la
prose; j’y fis dresser nos tentes dans une plantation de coton qui remplissait
l’aire d’un vaste théâtre antique &j au milieu duquel nous passâmes
la nuit du 17 au 18 Juin. Reconnaissant aussitôt qu’il fallait plus de
quatre ou cinq heures pour visiter même superficiellement ce qui reste de
la ville célèbre ou nous étions rendus, nous convînmes tous qu’il était
indispensable, pour en pouvoir parler au moins raisonnablement, de
s’y établir durant quelques jours, ainsi que nous l’avions fait a Messène.
Le Chénopode fétide (n.° 352 a) , plante vulgaire aux environs de Paris,
croissait ici en telle abondance, que l’ayant foulée sous nos tentes, il s’y
répandit une odeur cadavéreuse, qui nous fit supposer que des corps morts
étaient gisans sans sépulture à proximité; ce fut au matin seulement que
l’erreur fut reconnue, et je fis arracher jusqu’à une grande distance les
moindres pieds du végétal infect. Je parcourus ensuite, en y mettant le
temps que méritait le grand nom de Lacédémone, le vaste espace qu’occupa
la cité de Lycurgue; je me fusse, en vérité, cru digne de pitié, si je
m’étais, au milieu de ses sacrés débris, borné à parler aux échos, d’autant
plus que, si le nom de l’ancien Léonidas est oublié des Spartiates, parmi
lesquels, dans la guerre de l’indépendance, périrent inconnus plus d’un
Léonidas nouveau, celui de leur antique chef-lieu n’y est point inconnu,
et qu’il suffit de demander au premier venu ou fut Lacédémonia, pour
qu’il vous y conduise. On ne s’y heurtera pas même contre la cabane
d’un chevrier pour faire résonner une antithèse; mais on s’y trouvera dans
un isolement solennel, au milieu des vestiges d’une gloire dont notre enfance
s’enivra ; et dans le silence du désenchantement la parole profonde
dé l’Ecdésiasfe9 fut la seule dont le murmure me vint à la pensée.
1. Voir le dessin de ce théâtre à la pl. 47 du t. II de la section d’architecture.
2. Vanitas vanitatum, dix il Eccltsiastes : vanitas vernit alum et omnia vaniias. Cap. i , v. 2.
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