Nous fûmes bientôt environnés d’éboulemens horribles, entre lesquels
se trouvaient çà et là, comme dans le Zarnate, des cultures soutenues
par de petits murs qui nous furent de grands sujets de surprise par
leur situation, où nous les jugions inaccessibles : il en était qui paraissaient
être suspendues au-dessus de véritables abîmes. Parmi les fracasse-
mens qui nous tenaient en admiration, s’élevait une petite chapelle sur
la pointe d’un roc, où je ne puis comprendre qu’on ait jamais pu
monter; quelques dévots y viennent cependant entendre la messe à la
fête de je ne sais quel saint. L’encaissement au fond duquel nous voyagions,
en grimpant d’obstacles en obstacles, est tout rempli de blocs
brisés, entraînés des hautes régions par l’onde furieuse qui, au temps
des pluies ou des grandes fontes, se précipite à plein canal : ces blocs se'
sont tellement entreheurtés que leurs angles en sont demeurés arrondis,
et que leur surface est souvent assez polie ; on y reconnaît divers Marbres
superbes, entre lesquels le blanc saccbarin et celui qui présente des
teintes rosées, sont les plus beaux. Nous trouvâmes, à. une heure de
marche, la jolie fontaine de Saint-George, ainsi nommée d’une petite
chapelle contiguë qu’ombragent de vieux Noyers; un peu plus loin, dans
un adoucissement des pentes de gauche, il y avait une habitation, avec
un assez bon jardin ènceint de murs, dont le possesseur cultivait de très-
beaux Artichauts, quelques Laitues romaines et autres légumes, que nous
n’avions point rencontrés dans le reste de la Morée. Il y avait près de
trois heures que nous cheminions, quand nous arrivâmes à la dernière
habitation qu’on trouve dans la gorge, peu avant l’endroit où celle-ci se
. fourche et prend le nom de Dylangada; c’était un petit pyrgo, dont
les habitans absens avaient emporté l’échelle, et bien fermé la croisée
du premier, qui servait sans doute aussi de porte. Nous prîmes l’affluent
de gauche où, nos deux mules ne pouvant plus marcher, il fallut les
abandonner dans les grottes creusées à la base des remparts de l’encaissement;
des bergers et leurs moutons fréquentent ces cavités, quelques
pâturages croissant encore aux environs. Ayant dîné sous les voûtes de
marbre de ces étables naturelles, nous y laissâmes le peu de bagages
que nous avions portés, parce que l’escalade allait devenir si difficile
qu’il eût été impossible de s’y embarrasser de quoi que ce fût; chacun
prit donc ce dont il crut pouvoir se contenter jusqu’au surlendemain
et se mit à grimper, de son mieux, jusque vers une petite fontaine aux
environs de laquelle commençait la région des Sapins (n.° 1284), d’abord
grêles et disséminés, puis énormes et pressés les uns contre les autres.
Le Gui (n.° 1304), que dans nos contrées on ne trouve guère que sur les
arbres fruitiers, croissait ici sur le branchage résineux des forêts; je ne
l’avais encore vu sur des conifères qu’au Guadarama, dans le coeur de
l’Espagne, en 1809. Il faisait très-beau, mais le jour baissait lorsqu’en-
gagés sur des pentes très-dangereuses, où nous eussions certainement
roulé si des arbres ne nous eussent prêté leur appui, nous entendîmes
à quelque distance la voix redoutable de plusieurs Chiens, et bientôt
après le bêlement de nombreuses Brebis : un de nos guides nous avertit
qu’il allait passer devant pour prévenir les pâtres qui s’étaient élevés
dans une si haute région, afin qu’ils eussent à retenir leurs vigilans
gardiens ; et sur ‘sus pas nous arrivâmes dans une conque de montagnes
où était, à la jonction de deux torrens pittoresquement enfoncés entre
des rochers boisés, un petit plateau vers le milieu duquel s’élevait,
isolé et comme un clocher, le plus heau des Sapins séculaires de la
montagne ; cet endroit s’appelle Saint-Paraskévy : un enclos de ramee
formait autour du vieil arbre le parc dans lequel était déjà recueilli
le bétail dont nous avions entendu les voix; le tout appartenait a
Mourdzinos, et les gens aux soins desquels la garde en était confiée,
ayant su que nous étions les amis de leur maître, nous reçurent avec les
plus grandes démonstrations de respect, mettant à notre disposition tout
ce qu’ils possédaient. Ils se hâtèrent de nous construire un abri de feuillage,
de rassembler pour notre sommeil une litière de mousses;sde préparer
des agneaux gras, de traire du lait excellent et d’allumer de grands
feux. Le soleil s’était montré radieux durant toute la journée, qui fut
assez chaude; la nuit fut douce , et lorsque nous nous mîmes en route,
dès la pointe du jour suivant, le thermomètre de Béaumur marquait 9°.
Je découvris d’abord parmi les rochers, en sortant de la couchée, une
jolie petite Fougère inconnue, des botanistes ( Aspidium Taygetense,
n.° 1336); et passant peu après le ravin sur la gauche duquel est Saint-
Paraskévy, à 1900 mètres environ de hauteur, toute apparence de sen