« plus dix pèlerins, encore étaient-ils souvent insultés au passage par
« nos tyrans. ” H est probable qu’au temps où le Champenois conquit
la Morée, le couvent des Cyprès fut au moins restauré, s’il ne fut pas
même une de leurs oeuvres, dont les moines croient illustrer l’origine
en l’attribuant à la magnificence d’un empereur d’Orient; les fleurs de lis
sculptées aux deux côtés de la porte de l’église, indiquent assez son origine
française. Le dedans en est représenté dans la planche 21 du tome 4.er
de la section d’architecture; mais comme ses dehors ne se voyaient
nulle part, je les ai figurés du point, situé dans l’intérieur de la cour,
où l’habitation des moines demeure à droite1. Le dôme est extérieurement
décoré de plats en faïence incrustés dans le mortier qui en lie les
pierres et les briques; on voit de pareille vaisselle employée comme
embellissement sur beaucoup d’autres édifices de la Grèce actuelle : ce
genre de placage y remplace les sculptures où excellaient les aïeux de ces
Péloponnésiens modernes, si ignorans dans les arts du dessin, et qui,
pour barbouiller leurs églises des figures monstrueuses de saints qu’on y
révère, font ordinairement venir leurs décorateurs des côtes du golfe de
Venise, où pas un d’eux ne trouverait seulement a peindre des portes et
des contrevents. Entre les fresques dont l’un de ces pauvres diables
chargea les parois du couvent de Yourcano, nous citerons celle qu’on
distingue au-dessus dé l’entrée et qu’on a derrière soi quand on regarde
l’autel : la mort de la Yierge en est le sujet; on y voit la Mère du
Verbe, étendue sur un lit magnifique, entourée d’une multitude de saints
personnages et rendant l’ame. En haut, dans une gloire, est son divin
Fils au milieu de sa cour céleste, recevant cette ame de sa mère qui
a la figure d’un enfant au maillot; c’est aussi là que je crois me rappeler
avoir vu un Jonas énorme, s’échappant du ventre d’une Baleine
de moyenne taille, couverte d’écailles comme une Carpe, par le côté
opposé à la gueule et comme s’il sortait d’un étui. L’église est au milieu
d’une cour qu’environnent des magasins ainsi que les demeures des personnes
attachées au couvent, avec des jardins fort bien arrosés; le tout est
protégé par un mur de clôture, dont la porte est semblable à celle d’une
grande ferme de Picardie; contre un des côtés de cette porte sont incrustés
i . Voyez la vignette qui termine la table de notre atlas.
les deux pieds en marbre blanc d’une statue perdue, qui dût être de grandeur
de nature et fort belle : ces pieds* si étrangement placés, jouissaient
d’une certaine célébrité dans le pays même, ayant été remarqués et mentionnés
par divers voyageurs *> Mon interprète avait décidé lTiégoumène
a me les céder moyennant Un prix raisonnable; mais lorsque j’envoyai
le lendemain des sapeurs pour les extraire, il ne voulut plus tenir le
marché; un quidam qui n’avait point eu l’idée d’en offrir quelques
talaris, et qui n’eût pas souffert qu’un autre que lui rapportât en France
des obj ets de sculpture, dont il s’était imaginé avoir le monopole, s’étant
entremis dans l’affaire pour la gâter, les caloyers crurent tirer beaucoup
d’or de ces pieds, qu’un tel incident leur faisait croire plus précieux qu’ils
ne le sont à tout prendre, et les témoignages de leur barbarie sont demeurés
incrustés ou je les avais vus. Un employé de l’armée qui, nous
ayant précédés au couvent des Cyprès, n’avait point rencontré une
rivalité du même genre, acquit pour six à huit écus une tête en Marbre
de Paros, qui fut peut-être celle de la statue dont je n’ai pu acheter
les extrémités inférieures; j’ai examiné cette tête à Navarin, elle offrait
les traits d’un bel adolescent, et son exécution était du meilleur style:
on nous fit remarquer au-dessus de la porte du logement des moines
la console en saillie qu’elle avait long-temps occupée; on nous montra
aussi la pièce où avait été la bibliothèque, brûlée, à ce qu’on assura,
par les Arabes; je ne crus pas d’abord à cet incendie, prenant la chose
pour une manière de s’excuser de ce qu’il n’existait pas même un livre
de prières dans la maison; mais je revins de cette idée par les détails
où les moines entrèrent, en spécifiant que les neuf dixièmes de leurs
volumes, dont le nombre avait pu monter à mille, étaient italiens et
avaient été réunis par un supérieur dont la réputation de science s’était
long-temps conservée, et qui vécut sur les derniers temps de la domination
vénitienne. Il y avait, ajouta-t-on, existé quelques manuscrits
et cahiers de privilèges ou Chartres en vieux français, ce queje regrettai
beaucoup plus que les ouvrages imprimés, parce qu’on eût pu en exhumer
des documens sur des événemens touchant lesquels la chronique de Morée
i . Le traducteur de Gèll, n’ayant pas trouvé naturel que des pieds de statue pussent faire partie
d’une muraille, a imaginé qu’il était question dans le voyageur anglais de deux piédestaux, p. 25.
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