cipale de Gargaliano, dominait tout le bourg : des meurtrières étroites
seulement s’y trouvaient percées à hauteur d’homme ; la porte, ouverte du
côté du levant, était située à près d’une vingtaine de pieds au-dessus du
sol; il n’y existait de croisées qu’au second étage : l’édifice était surmonté
d’une plate-forme en terrasse crénelée-tout autour; l’escalier, bâti en
dehors, se composait d’un massif entièrement séparé du corps de bâtiment,
dont il demeurait à trois mètres environ de distance; des pièces
de bois, placées comme un pont de la marche supérieure au seuil de la
porte et pouvant se retirer au besoin dans la tour, n’en permettaient
l’entrée qu’autant que ses habitans le voulaient bien. Cette espèce de fort
servait, sous la domination turque, de résidence à l’agent du fisc quand
il venait percevoir le kharadg ou tribut annuel, et tant que duraient
ses recouvremens.
De nombreux jardins paraient les environs, mais les cultures n’en
étaient pas fort variées; on ne plante guère en Morée, et même dans les
îles, que des espèces d’Ail et d’Ognons communes chez nous, le Gombeau
ou Retmi’e mangeable (Hibiscus esculentus, n.°949), dont les fruits
mucilagineux sont appelés Bamiès, le Persil, quelques autres herbes
potagères et des Fèves, dont notre cuisinier nous prépara un plat abondant
lorsqu’à Paris on n’en servait point encore sur les meilleures
tables. On y voyait aussi de beaux carrés de Lin. Un pied de Bourrache
( Borrago officinalis, n.° 264 ) semble être une nécessité dans chaque
enclos; j’ai retrouvé ce végétal cultivé de même jusque dans l’Archipel.
Des champs de Blé et de Cotonniers, des Yignes passablement tenues,
et surtout beaucoup d’Oliviers, enrichissaient la campagne; un charmant
coteau, par lequel Gargaliano est garanti des vents du nord, était couvert
de vieux Cyprès pyramidaux, que leur effet pittoresque a fait
remarquer par le voyageur GelL
A peine nos tentes furent-elles dressées en dehors et à l’est du bourg,
qui s’abaissait en pente douceà l’exposition du couchant, que nous fûmes
entourés de Grecs et de Grecques. Plusieurs avaient été en captivité chez
les Turcs, et attribuant leur délivrance aux Français, ils nous bénissaient
les larmes aux yeux; leur reconnaissance était sincère; les expressions
dont ces bonnes gens se servirent pour la peindre, achevèrent de
nous convaincre qu’on se fut trompé grossièrement en confondant avec
les véritables Hellènes l’ignoble population des ports de Morée devenus,
par la fréquentation des nations civilisées de l’Europe, de véritables
égouts de. corruption. Comme nous allions croiser nos jambes autour
de notre souper, où, faute de chaises pour s’asseoir, force nous était de
nous accroupir à la mode du pays, un enfant de six à sept ans tout au
plus, s’approchant de mon interprète, le pria, avec la gravité qu’y eût
mis un vieillard, de me demander si je voulais qu’il chantât pour égayer
le repas. «Mon père, ma mère et mes soeurs, dit-il, étaient tragodes,
« •Ibrahim les a tués, mais je savais déjà les accompagner de la voix
« quand ils moururent; et si votre effendi veut les complaintes de Marco
« Botzaris et du combat de Navarin, je les chante fort bien. * Au murmure
approbateur qui s’éleva de toute l’assistance, je compris que je ferais un
grand plaisir aux spectateurs en acceptant l’offre du pauvre petit orphelin,
lequel se mit, en nasillant, à répéter exactement les airs et les paroles
que nous avions déjà entendus au pied de l’antique Pylos (pag. 4 63). Il
improvisa ensuite des complimens rhytbmés sur notre voyage, et sa
petite intelligence nous parut surprenante. Cette faculté lui donnait une
sorte de crédit parmi ses compatriotes, qui ne le laissaient manquer
de rien et qui nous dirent l’avoir adopté ; il était considéré comme l’enfant
de tout le village.
Les mules étant demeurées assez nombreuses ici, nous fîmes marché
avec le fils du Papas ou curé et un autre habitant du lieu pour qu’on
nous en conduisît une douzaine au quartier-général pour le 4 5 du mois,
comptant en partir à cette époque pour visiter l’intérieur de la Messénie.
Gargaliano étant situé sur l’étage inférieur des racines du Système
Gérénien, sur la limite même de ce plateau élevé de Rambos, qui contient
une vingtaine de villages, il nous fallut, le 8 au matin, quand
nous nous remîmes en route, en descendre l’escarpement par une pente
diagonalement adoucie. Au sortir du bourg par le côté du sud-ouest on
marche sur les restes d’un vieux pavé vénitien tout détérioré. La plaine
inférieure, où l’on est bientôt rendu, large de plus d’une lieue au pied
de l’endroit que nous quittions, était d’abord couverte de beaux Oliviers.
L’île de Prodano se montrait vis-à-vis ; elle est moins élevée et moins