seulement le nom d’Androussa est mentionné dans l’histoire. Les Chrétiens,
pour déjouer les projets des Musulmans, les y vinrent attaquer;
ils les y trouvèrent campés au nombre de 70,000 hommes. Le visir Aco-
mat, leur chef, perdit la vie dans la bataille, ainsi que le commandant
des Espagnols; ceux-ci, cédant au nombre, firent leur retraite en bon
ordre et se rembarquèrent à Coron, qui retourna ainsi au pouvoir des
infidèles, mais pour peu de temps, Morosini étant venu l’an 1685 en
faire le siège. Ce général fit jouer dans la matinée du 24 Juillet une
mine formidable qui produisit une large brèche, dont on ne put d’abord
profiter, parce que, des secours puissans arrivant aux assiégés par
terre, il fallut d’abord recevoir la bataille du grand renfort de Turcs
qu’on vit apparaître dans la journée. Le camp des Vénitiens était dressé
où se voit encore la batterie des Orloff : ils s’y trouvèrent à leur tour
assiégés; mais, s’étant défendus avec non moins de courage qu’ils furent
assaillis, leur -victoire fut complète. Le général fit mettre cent têtes des
officiers ennemis, tués dans la bataille, au bout des piques de son infanterie,
afin d’intimider les habitans de la forteresse; et comme le 30 il
allait donner l’assaut, une nouvelle armée turque vint encore le surprendre;
il fallut rendre un nouveau combat, où le visir Cosil-Bassa
perdit la vie. Cependant la défense des assiégés était opiniâtre, des
attaques contre le camp se succédaient chaque jour, jamais le général
vénitien n’avait éprouvé tant d’obstacles; pour en triompher, Morosini,
ayant pris de savantes dispositions, fit le 7 Août une attaque générale
contre l’armée de secours, et l’ayant complètement battue, il emporta
la ville, où l’on passa tout au fil de l’épée sans distinction d’âge ni de
sexe. On y trouva cent vingt-huit pièces de canon, dont soixante-huit
en fonte. Il se fit durant ce mémorable siège de grandes actions de bravoure,
maintenant toutes oubliées, mais dont l’Europe ne retentit pas
moins alors : un commandeur de Latour, gentilhomme français, un
prince de Brunswic et un comte de Savoie s’y distinguèrent; la gloire
qu’en acquit Morosini enivra, pour ainsi dire, Venise, qui proclama son
général le vainqueur des vainqueurs, et lui décerna l’étendard du grand-
seigneur, dont, parmi divers trophées, il avait fait hommage à la
République. Un sieur Beuzon fut laissé dans la ville en qualité de provéditeur
extraordinaire; ce magistrat dut être un bon administrateur,
puisqu’il établit un tel ordre dans les ruines sanglantes dont on lui
confia le gouvernement, que la ville ne fut jamais aussi prospère que
l’année suivante, où elle put fournir à Morosini un renfort considérable,
pour l’aider dans le siège de Néokastron ou Nouveau-Navarin.1
Coron demeura donc pour la troisième ou quatrième fois aux Vénitiens,
qui la perdirent définitivement en 1716, où cette malheureuse
ville revint aux Turcs: c’est de cette époque que date la ruine complète
du pays, où le commerce des Européens devint à peu près nul;
l’avarice et la. cruauté de pachas absolus et capricieux qu’envoyait la
Porte, ôtant toute confiance aux étrangers. Il y resta cependant quelques
agens consulaires : c’est de 1718 à 1721 que résidait à Coron , en
cette qualité, un parent de ce Pélegrin dont il a été parlé plus haut,
et qui nous apprend à qüel point d’avilissement ce qu’on appelait la
Nation, c’est-à-dire l’ensemble des négocions français, était tombé
dans l’Orient au commencement du dernier siècle. Le consul général
se tenait à Nauplie; ses agens de Mistra et de Monembasie avaient
été supprimés; depuis l’expédition des Orloff, Coron tombait dans un
état de décadence toujours croissant; quelques bâtimens de Trieste y
venaient à peu près seuls enlever à vil prix l’huile employée dans les
savonneries qui, au détriment de Marseille, prospèrent maintenant en
Istrie.
Les Turcs de Coron, qui passaient pour les plus méchans de la péninsule,
avaient provoqué trop de haines pour n’être pas au nombre des
premières victimes du réveil des Grecs; les massacres qui s’ensuivirent
achevèrent la destruction d’un lieu dont les remparts avaient causé
tous les malheurs. L’entrée des Français, eh 1828, vint sauver le peu
qui restait d’une population misérable, réduite tout au plus à cinquante
familles au lieu d’environ trois cents, qui s’y trouvaient au temps où
M. de Pouqueville vint s’embarquer dans ce port. M. le maréchal Maison
livra la ville, avec ses fortifications délabrées, au gouvernement grec
peu après s’en être emparé, et le célèbre Nikitas en eut d’abord le
commandement : c’est ce capitaine que les Gazettes avaient surnommé le
... i . Coronellij Descr. delà Morée, 1 .repart., p. 71.
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