sesseur, que n’assista cependant aucun officier du génie, avait l’instinct
de l’art de la guerre ; il n’avait encore voulu admettre dans sa forteresse
aucune autre garnison que celle qu’y composaient des gens à lui. Le
Président, dont il se donnait pour le bras droit, n’avait pas jusqu’alors
essayé de lui en demander formellement la livraison, qu’il promettait
toujours de faire, mais qu’il reculait sous divers prétextes. Ce lieu est
élevé de plus de 540 mètres au-dessus de la mer : en réparant ses vieux
ouvrages, on y avait trouvé des armures, consistant en cuirasses, brassards
et casques du moyen âge; le nouveau seigneur de Karithène nous
les montra avec ostentation, et comme, si elles eussent été celles de ses
aïeux ; mais Colocotroni ignorait que je savais aussi bien que lui quelle
était son origine, ainsi que son histoire et celle de ses pères; j’en réserverai
les détails pour un autre ouvrage, il suffit ici de donner le portrait
de ce klephte célèbre (pl. XXIV) dans l’accoutrement bizarre qu’il avait
adopté; il n’habitait point sa citadelle, mais un corps de logis inférieur
compris dans l’enceinte primitive, qu’il avait étendu et rendu assez
logeable et plus susceptible d’être défendu. Il nous y présenta sa vieille
mère, pour laquelle il avait les plus grands égards; sa bru nous reçut
dans ses beaux habits de velours galonnés d’or sur toutes les coutures.
Karithène a près de 600 habitans, dont plusieurs possèdent aussi des
maisons fortes; entre autres une, située à mi-côte, consiste en une bonne
tour carrée oupyrgo dans le genre de ceux du Magne. Colocotroni régnait
en quelque sorte, et son pouvoir était absolu dans tout le canton; il nous
donna un guide pour aller visiter les ruines de Gortys, qui sont à deux
fortes lieues de sa demeure. On doit remonter, pour s’y rendre par la
route de Dimitzana, la rivière nommée chez les anciens Gortynus ou
Lusius, et qu’on appelle improprement aujourd’hui dans le pays Éry-
manthe; le vallon est à peu près inculte, mais il n’en est pas moins
délicieux, tant il est frais. En voyageant par sa rive gauche, on passe
d’abord un ravin appelé Rakorevma; après deux heures de marche,
vient le pont que nous avons représenté dans notre planche XXIV.
Des tronçons de colonnes antiques, dont celui de droite porte un reste
d’inscription en deux lignes, sont à l’entrée : un moulin et ses dépendances,
appartenant à Colocotroni, se voit au-dessus; l’eau de la rivière
était rapide, admirablement pure et bouillonnait sur un fond de sable
entre des rochers coupés brusquement, elle me parut excessivement
froide, et dès l’antiquité cette particularité avait été remarquée m Les
monts de Stemnitza s’élevaient sur notre droite; nous gravîmes ceux de
gauche, après avoir traversé le lit très-profond d’un court affluent, et
trouvâmes les rumes que nous venions étudier sur le plateau dont se
couronnent les premières hauteurs. Gortys n’était déjà plus qu’un bourg
au temps de Pausanias, et cependant une forte enceinte en carré long
s’y reconnaît encore sans interruption : on y voit aussi beaucoup de
ruines, et le nombre des fragmens de Marbre qui n’en ont point été
enlevés, atteste qu’elle dut être assez belle, quoiqu’elle n’ait jamais
dû être grande; cependant, son importance est démontrée, puisque
Alexandre y consacra sa cuirasse et sa lance, qu’on y vit encore long-
tèmps. On arrêta notre attention parmi les soubassemens d’un temple ,
qui fut peut-être celui d’Esculape, sur un grand quartier de Panthélique
bizarrement creusé, et qu’on prétend dans le pays avoir été le berceau
du fils d’un roi des anciens temps; je ne sais ce que ce put être. Ce qui
reste des murs, flanqués de tours dont deux sont rondes et encore passablement
conservées, est de construction polygonale dans de grandes
proportions; on y entre par une porte carrée, située dans un angle rentrant,
très-entière et sans le moindre ornement. MM. les architectes, qui
ont aussi visité ces lieux, en ont donné un petit plan avec la vue de
l’entrée (pl. 51 du Tome II).
Un joli hameau d’Atzigolo, dont les maisons éparses furent bâties
en pierres tirées de Gortys, était situé tout proche et au milieu de Vignes
fort belles, quoique dans un canton assez élevé au-dessus du niveau de
la mer; nous descendîmes ensuite au monastère voisin, dont la petite
et noire église est comme suspendue sur les coupures à pic du Gorfynus.
Les derniers tremblemens de terre ont fracassé les rocs sur lesquels
repose le couvent, et l’ont détaché d’une grotte contiguë où l’on communique
aujourd’hui par un pont de planches; et de ce lieu on jouit
d’une vue singulière, qui s’étend dans toute la longueur de la vallée
remplie de sites pittoresques. Il y avait au devant de l’entrée un énorme
i . Pausanias, APKAAIKA, cap. 28.
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