huit ans plus tard, les croisés s’étant rendus maîtres de Constantinople,
qui devint la capitale d’un empire catholique, il y eut à Modori, dépendant
de seigneurs francs, d’autres évêques, relevant du pape de Rome:
on conserve depuis cette époque le catalogue de dix-neuf de ces évêques
qui se sont succédé sans interruption jusqu’en \ 506", que le siège épis-
copal fut translaté à Corinthe pour n’y pas subsister long-temps.
La Morée ayant formé, comme on l’a vu dans notre introduction,
un État particulier, soumis à des conquérons champenois qui partagèrent
le pays en fiefs féodaux, l’évêque de Modon obtint dans cette
distribution deux fiefs de chevalier et son chapitre en reçut autant.
On trouve dans les documens du moyen âge qu’un Geoffroy de
Yille-Hardouin, revenant de la Terre-Sainte avec Renaud de Mont-
mirail, Etienne du Perche et autres gentilshommes français, voulant
prendre la route de Constantinople, fut jeté par la tempête dans le
port de Modon, et qu’il se proposa d’y séjourner pendant tout l’hiver
pour réparer son bâtiment. Ce Geoffroy de Yille-Hardouin était fils de
Jean et de dame Clinie, lequel Jean, chef de la seconde branche d’une
illustre famille, était frère puîné du célèbre Geoffroy de Yille-Hardouin,
maréchal de Champagne et grand-chancelier, qui ajouta par la suite le
titre de maréchal de Romanie à ses précédentes qualifications, lequel est
plus connu sous le nom du Chroniqueur, parce qu’il est reste de lui une
histoire curieuse et naïve de l’établissement de l’empire latin a Gons-
tantinople. Le neveu de Ville-ïïardouin le maréchal ou le chroniqueur
s’était croisé enj l99. « Durant le séjour qu’il fitàModon,ditduCangel,
« il se joignit à un seigneur du lieu qui, profitant des troubles de l’empire
« en dissolution, voulait se rendre indépendant; s’étant donné récipro-
« quement leur foi et ayant juré alliance, ils conquirent ensemble plu-
« sieurs places et étendirent assez loin leur domination. Toutefois
« Geoffroy de Yille-Hardouin en jouit peu, car le seigneur grec étant
« venu a mourir, son fils parvint à faire révolter le pays contre lui
« pour en demeurer seul possesseur. Se voyant ainsi dépouillé de ce
« qu’il avait enlevé aux Grecs, Geoffroy vmt à ^armée* du marquis
« de Montférat qui était pour lors au siège de Nauplie de'Romanie;
i . Édition de tBuchon ; t. II, p. 5y j et-De l’établissement des Français en Moree ; p. 36*
« c’est là qu’il trouva Guillaume de Ghamplitte, l’un de ses meilleurs
« amis, auquel il dit que s’il voulait passer avec lui dans la Morée avec
«. quelques troupes, il leur serait facile de faire de grandes conquêtes,
« lui promettant de relever de lui pour la part qu’il en ferait. Ils partirent
« ainsi de l’armée du consentement du marquis, emmenant avec eux
«• deux cents chevaliers d’élite et autres bonnes troupes, et arrivèrent en
« Morée, où d’abord ils se saisirent de Modon, qu’ils fortifièrent. Ce fut
« là où ils défirent Michel Comnène, duc de Duraz, qui était venu avec
« une puissante armée, à dessein de les, assiéger dans Modon; ils pour-
« suivirent ses débris jusqu’à Coron, et l’ayant prise, Geoffroy demeura
« maître de cette ville dont il fit hommage à Ghamplitte. | Les »deux
aventuriers ayant ensuite conquis Calamata et la presque-totalité de la
Morée, Ghamplitte prit le titre de prince d’Achaïe qu’il conserva jusqu’à
sa mort, arrivée vers \ 210. Ville-Hardouin, qui lui succéda et qui s’était
jusque-là intitulé sénéchal de Romanie, fut alors désigné sous le nom
de Geoffroy I.er, ou lè Grand.
On trouve quelqué différence entre ce qui vient d’être rapporté
d’après le savant investigateur des écrits byzantins, et la manière dont
la Chronique de Romanie conte les choses. Selon celle-ci, Guillaume
de Champlitte avait déjà soumis le nord du Péloponèse où il avait pris
terre près de Patras, le 1 .er Mai 1205, quand il fut rencontré par Geoffroy
de Yille-Hardouin au siège d’Argos, et non de Nauplie. L’historien de
Morée, qui confond notre Guillaume de Yille-Hardouin avec son oncle
le.sénéchal de Champagne, ou le chroniqueur, ne fait point partir les
deux aventuriers du golfe argolique, pour.venir directement à Modon,
mais il les y fait venir par terre en passant le long des rivages d’Achaïe
et d’Elide, où d’abord ils s’emparent de la ville d’Arcadia dont les
habitans se sauvent dans le château>;*ce n’est qu’ensuite que, se dirigeant
sur Modon, l’une des douze places fortes du Péloponèse, ils trouvèrent
cette ville encore toute bouleversée, et dans le triste état où nous avons
vu tout à l’heure (p, 65) que les Yénitiéhs l’avaient laissée. Il n’est du
reste pas di^ün mot dans tout le cours de ce récit, qui porte le plus
frappant caractère :d’exaétitude, de Michel Comnène, duc de Duraz, ni
de la défaite de sa grande armée.